Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/385

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pures et spirituelles que par la foi ! Ce qui a trompé Descartes, Malebranche, et tous les autres sur ce point, c’est une chose réellement très-vraie : c’est que nous sommes beaucoup plus sûrs de la vérité de nos sentiments et de nos pensées que de l’existence des objets extérieurs ; mais, parce que nous sommes sûrs que nous pensons, sommes-nous sûrs, pour cela, que nous sommes autre chose que matière pensante ?

Je ne crois pas que le petit nombre de vrais philosophes qui, après tout, font seuls, à la longue, la réputation des ouvrages, me reprochent beaucoup d’avoir contredit Pascal. Ils verront, au contraire, combien je l’ai ménagé ; et les gens circonspects me sauront bon gré d’avoir passé sous silence le chapitre des miracles[1] et celui des prophéties, deux chapitres qui démontrent bien à quel point de faiblesse les plus grands génies peuvent arriver, quand la superstition a corrompu leur jugement. Quelle belle lumière que Pascal, éclipsée par l’obscurité des choses qu’il avait embrassées ! En vérité les prophéties qu’il cite ressemblent à Jésus-Christ comme au grand Thomas ; et cependant, à la faveur de la vaine apparence d’un sens forcé, un génie tel que lui prend toutes ces vessies pour des lanternes.

O mentes hominum ! o quantum est in rébus inane !

(Pers., sat. i, v. 1.)

Et moi, plus inanis cent fois que tout cela, d’avoir hasardé le repos de ma vie pour la frivole satisfaction de dire des vérités à des hommes qui n’en sont pas dignes ! Que vous êtes sage, mon cher Formont ! Vous cultivez en paix vos connaissances. Accoutumé à vos richesses, vous ne vous embarrassez pas de les faire remarquer ; et moi, je suis comme un enfant qui va montrer à tout le monde les hochets qu’on lui a donnés. Il serait bien plus sage, sans doute, de réprimer la démangeaison d’écrire qu’il n’est même honorable d’écrire bien. Heureux qui ne vit que pour ses amis ! Malheureux qui ne vit que pour le public ! Après toutes ces belles et inutiles réflexions, je vous prie, ou vous, ou notre ami Cideville, de serrer sous vingt clefs ce magasin de scandale que Jore vient d’imprimer, et qu’il n’en soit pas fait mention jusqu’à ce qu’on puisse scandaliser les gens impunément.

Voilà une Pèlopèe[2], de l’abbé Pellegrin, qui réussit. O tempora !

  1. Le chapitre sur les miracles a fourni à Voltaire le sujet d’une seule remarque (la xliie) voyez tome XXII, pages 49-50. Il n’y en a aucune sur le chapitre des prophéties.
  2. Voyez la lettre 348.