Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/324

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ce que le divin Aristote, le sage Platon, et l’incomparable Descartes, ont affirmé si légèrement.

En philosophie, ce sont des progrès égaux, ou de se délivrer des préjugés, ou d’acquérir de nouvelles connaissances. L’un éclaire, l’autre instruit. Le plaisir le plus vif qu’un homme raisonnable puisse avoir dans ce monde est, à mon avis, de découvrir de nouvelles vérités. Je m’attendais d’en faire une abondante moisson dans votre Métaphysique[1] ; Mme  du Châtelet m’enlève ce bien déjà possédé, d’entre les mains de mon ami.

Quel sujet pour une élégie ! Cependant il en reste là,

Car il avait l’âme trop bonne[2].

Ne vous attendez donc à aucun reproche. Je vous prie de vouloir seulement dire à la divine Émilie que mon esprit se plaint au sien des ténèbres qu’elle vous empêche de dissiper.

Dans les ténèbres égaré
D’une métaphysique obscure,
J’attendais, pour être éclairé.
Quelques mots de votre écriture.
De l’astre brillant qui nous luit,
Charmante et divine Émilie,
Voulez-vous tirer tout le fruit ?
Ah ! permettez, je vous en prie.
Que, dans mon paisible réduit[3],
Vienne cette philosophie,
Dont certes je ferai profit.

Je suis édifié de voir revivre à Cirey les temps d’Oreste et de Pylade. Vous donnez l’exemple d’une vertu qui, jusqu’à nos jours, n’a malheureusement existé que dans la Fable.

Ne craignez point, monsieur, que je trouble les douceurs de votre repos philosophique. Si mes mains pouvaient cimenter ou raffermir les liens de votre divine union, je vous offrirais volontiers leur ministère. J’ai essuyé une espèce de naufrage dans ma vie[4] ; le ciel me préserve d’en occasionner à d’autres !

Je crois cependant avoir trouvé un expédient, moyennant lequel vous pourrez sans risque, et sans troubler la tranquillité d’Émilie, satisfaire à ma curiosité. Ce serait, monsieur, de me communiquer, toutes les fois que vous me faites le plaisir de m’écrire, quelques traits de votre Métaphysique, répandus dans vos lettres. La confiance que j’ai en vous, jointe à l’ardeur

  1. Le Traité de Métaphysique est au tome XXII, page 189.
  2. Vers de Scarron, dans le Virgile travesti, liv. 1er.
  3. Après ce vers on lit, dans les Œuvres posthumes, celui-ci :
    éloigné du monde et du bruit,
    qui n’est pas dans l’édition de Kehl.
  4. Frédéric fait allusion aux chagrins domestiques qu’il eut en 1730, et dont il parle dans la Vie de son père, mais avec les plus grands ménagements.