Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/164

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je vous prie, à l’attachement de vos amis, et ne rendez pas votre champ aride, à force de le faire rapporter. La vivacité de votre esprit mine votre santé, et ce travail exorbitant use trop vite votre vie.

Puisque vous me promettez de m’envoyer les endroits de la Henriade que vous avez retouchés, je vous prie de m’envoyer la critique de ceux que vous avez rayés.

J’ai le dessein de faire graver la Henriade (lorsque vous m’aurez communiqué les changements que vous avez jugé à propos d’y faire) comme l’Horace[1] qu’on a gravé à Londres. Knobelsdorff, qui dessine très-bien, fera les dessins des estampes ; l’on pourrait y ajouter l’Ode à Maupertuis[2], les Épîtres morales[3], et quelques-unes de vos pièces qui sont dispersées en différents endroits. Je vous prie de me dire votre sentiment, et quelle serait votre volonté.

Il est indigne, il est honteux pour la France, qu’on vous persécute impunément. Ceux qui sont les maîtres de la terre doivent administrer la justice, récompenser et soutenir la vertu contre l’oppression et la calomnie. Je suis indigné de ce que personne ne s’oppose à la fureur de vos ennemis. La nation devrait embrasser la querelle de celui qui ne travaille que pour la gloire de sa patrie, et qui est presque le seul homme qui fasse honneur à son siècle. Les personnes qui pensent juste méprisent le libelle diffamatoire qui paraît[4] ; elles ont en horreur ceux qui en sont les abominables auteurs. Ces pièces ne sauraient attaquer votre réputation ; ce sont des traits impuissants, des calomnies trop atroces, pour être crues si légèrement.

J’ai fait écrire à Thieriot tout ce qu’il convient qu’il sache, et l’avis qu’on lui a donné touchant sa conduite fructifiera, à ce que j’espère.

Vous savez que la marquise et moi nous sommes vos meilleurs amis ; chargez-nous, lorsque vous serez attaqué, de prendre votre défense. Ce n’est pas que nous nous en acquittions avec autant d’éloquence et de dignité que si vous preniez ce soin vous-même ; mais tout ce que nous dirons pourra être plus fort, parce qu’un ami, outré du tort qu’on fait à son ami, peut dire beaucoup de choses que la modération de l’offensé doit supprimer. Le public même est plutôt ému par les plaintes d’un ami compatissant qu’il n’est attendri par l’oppressé qui crie vengeance.

Je ne suis point indifférent sur ce qui vous regarde, et je m’intéresse avec zèle au repos de celui qui travaille sans relâche pour mon instruction et pour mon agrément.

Je suis avec tous les sentiments que vous inspirez à ceux qui vous connaissent, votre très-fidèlement affectionné ami,

Fédéric

Mes assurances d’estime à la marquise.

  1. C’est l’Horace gravé par l’Anglais John Pine, de 1733 à 1737, 2 vol. in-8o. — Frédéric songea encore, pendant quelque temps, à faire graver la Henriade ; mais, étant devenu roi, il renonça à ce projet.
  2. L’ode à MM. de l’Académie des sciences.
  3. Ou Discours sur l’Homme.
  4. La Voltairomanie.