Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/200

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sensible à cette punition. Pour moi, je suis plus flatté de votre suffrage qu’il ne peut être accablé par la haine publique.

Mme  de Graffigny est actuellement[1] dans une ville qui est le rendez-vous des talents, et où vous devriez être. Dès que j’aurai mis au net quelques-uns des ouvrages dont vous me parlez, je ne manquerai pas de vous en faire part. J’ambitionne votre suffrage et votre amitié, et c’est dans ces sentiments, monsieur, que je serai toujours bien véritablement votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Voltaire.

1086. — À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
À Cirey, le 26 février[2].

Ô nouvelle effroyable ! ô tristesse profonde !
Il était un héros nourri par les vertus,
L’espérance, l’idole, et l’exemple du monde ;
Dieu ! peut-être il n’est plus !

Quel envieux démon, de nos malheurs avide,
Dans ces jours fortunés tranche un destin si beau !
À mes yeux égarés quelle affreuse Euménide
Vient ouvrir ce tombeau !

Descendez, accourez du haut de l’empyrée,
Dieu des arts, dieu charmant, mon éternel appui,
Vertus, qui présidez à son âme éclairée,
Et que j’adore en lui,

Descendez, refermez cette tombe entr’ouverte ;
Arrachez la victime aux destins ennemis ;
Votre gloire en dépend, sa mort est votre perte :
Conservez votre fils.

Jusqu’au trône enflammé de l’empire céleste
La Terre a fait monter ces douloureux accents :
« Grand Dieu ! si vous m’ôtez cet espoir qui me reste,
Sapez mes fondements.

  1. Mme  de Graffigny, comme nous l’avons déjà dit (voyez lettre 1018), avait quitté Cirey vers le 10 février 1739, après y être demeurée environ neuf semaines, et était allée à Paris.
  2. Cette lettre, à laquelle Frédéric ne répondit que le 15 avril suivant, est elle-même la réponse à la lettre de Frédéric, du 27 janvier 1739.