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un effet fort profane et fort agréable. Si vous voulez, je vous enverrai encore cette guenille. Quant aux autres misères que vous avez vues dans le portefeuille d’un de vos amis[1], je puis vous assurer qu’il n’y en a peut-être pas une qui soit de bon aloi ; et si vous voulez m’en envoyer copie, je les corrigerai, et j’y mettrai ce qui vous manque, afin que vous ayez mes impertinences complètes.

Il y a trois mois que l’auteur de Mahomet II m’envoya son manuscrit. Je trouve qu’il faut beaucoup de génie pour faire porter une tragédie à un terrain si aride et si ingrat. La prétendue barbarie de Mahomet II, accusé d’avoir tué sa maîtresse pour plaire à ses janissaires, est un conte des plus absurdes et des plus ridicules que les chrétiens aient inventés. Cette sottise, et toutes celles qu’on a débitées sur Mahomet II, sont le fruit de la cervelle d’un moine nommé Bandelli. Ces gens-là ne sont bons qu’à tout gâter.

Adieu, monsieur ; bon voyage. Puis-je avoir l’honneur de vous faire ma cour à votre retour ? N’allez pas vieillir en Portugal[2], Mme  du Châtelet, entourée de barbares, va bientôt avoir la consolation de vous écrire ; et moi, je ne cesserai en aucun instant de ma vie de vous être attaché avec la plus tendre et la plus respectueuse reconnaissance.


1167. — À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
De Bruxelles.

Monseigneur, en revenant de ces tristes terres[3], dans le voisinage desquelles Votre Altesse royale n’a point été, j’ai l’honneur de lui écrire pour me consoler. J’espère que Votre Altesse royale m’enverra longtemps ses ordres à Bruxelles ; je les recevrai beaucoup plus tôt, et plus sûrement que quand ils faisaient tant de cascades de Paris à Bar-le-Duc et à Cirey. Je recevrai au moins vos ordres directement, dans l’espérance qu’un jour, avant de mourir, videbo dominum meum facie ad faciem[4].

Je prends la liberté d’adresser à Votre Altesse royale une petite relation, non pas de mon voyage, mais de celui de M. le baron de Gangan[5]. C’est une fadaise philosophique qui ne doit être lue

  1. Sans doute d’Argental.
  2. D’Argenson n’y alla pas.
  3. Celles de Beringen et de Ham. Voyez la lettre 925.
  4. Ce fut ainsi que Dieu parla à Moïse. (Exode, xxxiii, v. 11.)
  5. Cet ouvrage n’a jamais été connu, du moins sous ce titre. (K.) — Décrois,