Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/457

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que de tant d’amertumes, celle de n’avoir pu te récompenser moi-même n’est pas la moins sensible à ce cœur infortuné.

POLLY.

Ah ! mon adorable maîtresse ! que vous me faites verser de larmes, et que vous me glacez d’effroi ! Que voulez-vous faire ? quel dessein horrible ! quelle lettre ! Dieu me préserve de la lui rendre jamais ! (Elle déchire la lettre.) Hélas ! pourquoi ne vous êtes-vous pas expliquée avec milord ? Peut-être que votre réserve cruelle lui aura déplu.

LINDANE.

Tu m’ouvres les yeux ; je lui aurai déplu, sans doute : mais comment me découvrir au fils de celui qui a perdu mon père et ma famille ?

POLLY.

Quoi ! madame, ce fut donc le père de milord qui…

LINDANE.

Oui, ce fut lui-même qui persécuta mon père, qui le fit condamner à la mort, qui nous a dégradés de noblesse, qui nous a ravi notre existence. Sans père, sans mère, sans bien, je n’ai que ma gloire et mon fatal amour. Je devais détester le fils de Murray : la fortune qui me poursuit me l’a fait connaître ; je l’ai aimé, et je dois m’en punir.

POLLY.

Que vois-je ! vous pâlissez, vos yeux s’obscurcissent…

LINDANE.

Puisse ma douleur me tenir lieu du poison et du fer que j’implorais !

POLLY.

À l’aide, monsieur Fabrice, à l’aide ! Ma maîtresse s’évanouit.

FABRICE.

Au secours ! que tout le monde descende, ma femme, ma servante, monsieur le gentilhomme de là-haut, tout le monde…

(La femme et la servante de Fabrice, et Polly, emmènent Lindane dans sa chambre.)
LINDANE, en sortant

Pourquoi me rendez-vous à la vie ?