Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome7.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans nos bois, dans nos champs, je te vois, je t’adore ;
Ton temple est, comme toi, dans l’univers entier :
Je n’ai rien à t’offrir, rien à sacrifier ;

    avec le plus d’énergie est Minutius Félix écrivain du troisième siècle de notre ère vulgaire.
    « Putatis autem nos occultare quod colimus, si delubra et aras non habemus ? Quod enim simulacrum Deo fingam, cum, si recte existimes, sit Dei homo ipse simulacrum ? Templum quod exstruam, cum totus hic mundus, ejus opere fabricatus, eum capere non possit ; et cum homo latius mancam, intra unam aediculam vim tantæ majusiatis includam ? Nonne melius in nostra dedicandus est mente, in nostro imo consecrandus est pectore ? » [Octavius, xxxii.]
    « Pensez-vous que nous cachions l’objet de notre culte, pour n’avoir ni autel ni temple ? Quelle image pourrions-nous faire de Dieu, puisqu’aux yeux de la raison l’homme est l’image de Dieu même ? Quel temple lui élèverai-je, lorsque le monde qu’il a construit ne peut le contenir ? Comment enfermerai-je la majesté de Dieu dans une maison, quand moi, qui ne suis qu’un homme, je m’y trouverais trop serré. Ne vaut-il pas mieux lui dédier un temple dans notre esprit, et le consacrer dans le fond de notre cœur ? »
    Cela prouve que non-seulement nous n’avions alors aucun temple, mais que nous n’en voulions point ; et qu’en cachant aux gentils nos ceremonies et nos prières, nous n’avons aucun objet de nos adorations à dérober à leurs yeux.
    Les chrétiens n’eurent donc des temples que vers le commencement du règne de Dioclétien, ce héros guerrier et philosophe qui les protégea dix-huit années entières, mais séduit enfin et devenu persécuteur. Il est probable qu’ils auraient pu obtenir longtemps auparavant, du sénat et des empereurs, la permition d’ériger des temples, comme les Juifs avaient celle de bâtir des synagogues à Rome ; mais il est encore plus probable que les Juifs, qui payaient très-chèrement ce droit, empêchèrent les chrétiens d’en jouir. Il les regardaient comme des dissidents, comme des frères dénaturés, comme des branches pourries de l’ancien tronc. Ils les persécutaient, les calomniaient, avec une fureur implacable.
    Aujourd’hui plusiurs sociétés chrétiennes n’ont point de temples tels sont les primitifs, nommés quakers, les anabaptistes, les dunkards, les piétistes, les moraves, et d’autres. Les primitifs mêmes de Pensylvanie n’y ont point érigé de ces temples superbes qui ont fait dire à Juvénal :
    Dicite, pontifices, in sancto quid facit aurum ?,
    et qui ont fait dire à Boileau avec plus de hardiesse et de sévérité :
    Le prélat, par la brigue aux honneurs parvenu,
    Ne sut plus qu’abuser d’un ample revenu ;
    Et, pour toute vertu, fit au dos d’un carrosse.
    À côté d’une mitre armorier sa crosse.
    Mais Boileau, en parlant ainsi, ne pensait qu’à quelques prélats de son temps, ambitieux, ou avares, ou persécuteurs : il oubliait tant d’évêques généreux, doux, modestes, indulgeants, qui ont été les exemples de la terre.
    Nous ne prétendons pas inférer de la que l’Egypte, la Chaldée, la Perse, les Indes, aient cultivé les arts depuis les milliers de siècles que tous ces peuples s’attribuent. Nous nous en rapportons à nos livres sacres, sur lesquels il ne nous est pas permis de former le moindre doute. (Note de Voltaire.) — Le vers latin cité dans l’avant-dernier alinéa n’est point de Juvénal, mais de Perse, satire II, 60 ; les vers de Boileau sont dans le Lutrin, chant VI, vers 39-42. (B.)