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AVERTISSEMENT DE MOLAND.


Nous avons dit dans l’avertissement qui est en tête d’Irène qu’Agathocle fut composé en même temps que cette dernière tragédie. Voltaire, à la date du 15 août 1777, l’envoyait à d’Argental avec ce billet : « Les voilà enfin, ces cinq pâtés, trop froids et trop insipides, qui ne sont point du tout pour votre pays, et que je ne vous envoie, mon divin ange, que par pure obéissance. Je vous demande bien pardon d’obéir. Renvoyez-moi par la même voie ces cinq pièces de four, qui ne doivent être servies sur aucune table. Ne les montrez à personne. Ayez pitié de votre ancienne créature qui a perdu la tête, et à qui il ne reste que son cœur. »

Cependant il reprenait courage et confiance dans son œuvre, et le 20 septembre il écrivait au même : « S’il y a encore dans Paris quelques honnêtes gens qui n’aient pas abjuré le bon goût introduit en France pour quelque temps par nos maîtres ; si on pouvait retrouver quelque étincelle de ce goût dans l’ouvrage dont le fond ne vous a pas déplu ; si cet ouvrage, retravaillé avec soin, pouvait trouver place au milieu des enchantements des boulevards et des soupers où l’on mange des cœurs avec une sauce de sang[1] ; alors peut-être une pièce honnête, approuvée par vous, ferait ressouvenir les Français qu’ils ont eu autrefois un bon siècle. Plus nous attendrons, et plus cette pièce mériterait de l’indulgence. La singularité d’un tel ouvrage, donné à quatre-vingt-quatre ans, pourrait adoucir la critique des ennemis irréconciliables, et inspirer même de l’intérêt au petit nombre qui regrette le temps passé. J’aimerais mieux même hasarder la chose à quatre-vingt-dix ans qu’à quatre-vingt-quatre, pourvu que je la visse jouer auprès de vous, dans une loge, assisté de quelques Mathusalems. »

Nous avons dit comment, après quelques hésitations, Irène avait pris décidément le pas sur Agathocle. Irène fut la dernière pièce de Voltaire représentée du vivant de l’auteur. Il avait eu le temps, toutefois, de distribuer les rôles d’Agathocle : « Je crois que Larive et Molé joueront bien les rôles des enfants d’Agathocle, qu’Ydasan convient fort à Monvel, que les cheveux blancs et la voix de Brizard suffiront pour Agathocle, et que le rôle

  1. Allusion à Gabrielle de Vergy, tragédie de du Belloy, jouée le 12 juillet 1777.