Page:Wharton - Sous la neige, 1923.djvu/22

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Pourtant sa réserve n’avait rien d’hostile. Je sentais simplement qu’il vivait dans une solitude morale trop profonde et trop reculée pour qu’on pût pénétrer facilement jusqu’à lui ; et j’avais l’impression, si tragique que fût la situation personnelle de Frome, que cet isolement tenait plus encore à l’accablement produit par les longs hivers glacés de Starkfield…

Une ou deux fois seulement je crus me rapprocher de lui, et ces instants ne firent qu’aviver mon désir d’en savoir davantage. Un jour, à propos d’un travail que j’avais exécuté en Floride l’hiver précédent, je fis allusion au contraste entre ce paysage tropical et celui qui nous environnait. À ma grande surprise, il me répondit :

— Oui, je sais… J’y suis allé autrefois, et pendant bien longtemps, moi aussi, en hiver, je revoyais ce pays… Mais à présent tout cela est enseveli sous la neige…

Brusquement il se tut, et j’eus à deviner le reste d’après l’inflexion de sa voix et le silence qui suivit.

Une autre fois, à peine monté dans le train, je m’aperçus que j’avais égaré un livre que je comptais lire pendant le trajet. C’était, je crois, un ouvrage de vulgarisation scientifique, un traité de biochimie.

Le soir, je n’y pensais déjà plus, lorsque, en rega-