Page:Wilde - Poèmes, trad. Savine, 1907.djvu/213

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feuille de cette pâle asphodèle qui entoure le front

 las de Proserpine, et verse le soir des rosées si merveilleuses,
 qu'elle rêve des campagnes d'Enna, près
 de la lointaine mer de Sicile,
 où souvent elle pourchassa l'abeille à la ceinture
 d'or, de lis en lis, dans la prairie unie, avant que
 son ténébreux maître lui eût fait goûter au fruit
 fatal, à ce grain de grenade, avant que les noirs
 coursiers l'eussent emportée au loin, jusque dans
 le pays vague et sans fleurs, au jour languissant et
 sans soleil.
 Oh! pour une heure de minuit, avoir pour maîtresse
 la Vénus de la petite ferme de Mélos! Oh! si
 pour une heure seulement quelque antique statue
 s'éveillait à la passion; et que je pusse faire oublier
 à l'Aurore de Florence son muet désespoir, m'accoler
 à ces membres puissants et faire mon oreiller de
 cette poitrine géante!
 Chante, chante encore! Je voudrais être ivre de
 vie, ivre de la vendange foulée sous le pressoir, de
 ma jeunesse; j'oublierais les luttes d'un labeur
 stérile, la vallée déchirée, les yeux de Gorgone de la
 Vérité, la veillée sans prière, et le cri qui implore
 la prière, les dons inféconds, les bras levés, l'air
 morne et insensible.
 Chante, chante encore! O Niobé emplumée, tu
 peux donner de la beauté à la douleur, et dérober
 à