Page:Wilde - Poèmes, trad. Savine, 1907.djvu/65

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 «Je savais que tu viendrais, car dès que les
 branches desséchées bourgeonnèrent, dès que la
 sève du printemps gonfla ma verte et tendre écorce,
 ou qu'elle jaillit en myriades nombreuses de fleurs
 qui raillaient l'heure de minuit par leur forme lunaire,
 sans rien craindre de l'aurore, dès que les
 chants ravis du sansonnet
 «ont réveillé l'écureuil endormi parmi ses provisions
 de grains, dès que les fleurs de coucou bordèrent
 d'une frange l'étroite clairière, à travers mes jeunes
 feuilles une extase de volupté s'épandit comme un
 vin nouveau, et dans toutes mes veines de mousse
 battit le pouls agité d'un sang amoureux, et les
 vents violents de la passion secouèrent la virginité
 de ma tige svelte.
 «Les faons vinrent en troupe le soir et posèrent
 leurs narines fraîches et noires sur mes branches les
 plus basses, tandis que sur la plus haute, le merle faisait
 un petit nid de brins d'herbes pour sa compagne.
 Et de temps en temps un roitelet reposait sur une
 branche mince, à peine capable de porter un poids
 si charmant.
 «Près de moi, les bergers d'Attique donnaient
 des rendez-vous; sous mon ombre se couchait Amaryllis,
 et autour de mon tronc Daphnis poursuivait la
 fillette craintive jusqu'à ce qu'enfin lasse de jouer, elle
 sentit sa chevelure défaite s'agiter sous un souffle