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LES ROUGON-MACQUART.

qu’il pouvait bien retourner au chantier, elle se récriait. Non, non, pas encore ! Elle ne voulait pas l’avoir de nouveau au lit. Elle savait bien ce que le médecin lui disait, peut-être ! C’était elle qui l’empêchait de travailler, en lui répétant chaque matin de prendre son temps, de ne pas se forcer. Elle lui glissait même des pièces de vingt sous dans la poche de son gilet. Coupeau acceptait ça comme une chose naturelle ; il se plaignait de toutes sortes de douleurs pour se faire dorloter ; au bout de six mois, sa convalescence durait toujours. Maintenant, les jours où il allait regarder travailler les autres, il entrait volontiers boire un canon avec les camarades. Tout de même, on n’était pas mal chez le marchand de vin ; on rigolait, on restait là cinq minutes. Ça ne déshonorait personne. Les poseurs seuls affectaient de crever de soif à la porte. Autrefois, on avait bien raison de le blaguer, attendu qu’un verre de vin n’a jamais tué un homme. Mais il se tapait la poitrine en se faisant un honneur de ne boire que du vin ; toujours du vin, jamais de l’eau-de-vie ; le vin prolongeait l’existence, n’indisposait pas, ne soûlait pas. Pourtant, à plusieurs reprises, après des journées de désœuvrement, passées de chantier en chantier, de cabaret en cabaret, il était rentré éméché. Gervaise, ces jours-là, avait fermé sa porte, en prétextant elle-même un gros mal de tête, pour empêcher les Goujet d’entendre les bêtises de Coupeau.

Peu à peu, cependant, la jeune femme s’attrista. Matin et soir, elle allait, rue de la Goutte-d’Or, voir la boutique, qui était toujours à louer ; et elle se cachait, comme si elle commettait un enfantillage indigne d’une grande personne. Cette boutique recommençait à lui tourner la tête ; la nuit, quand la