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L’ASSOMMOIR.

pantalon de travail. Et Gervaise, penchée, sentait monter une odeur de tabac, une odeur d’homme malpropre, qui soigne seulement le dessus, ce qu’on voit de sa personne. Non, le vieux chapeau n’était plus dans le coin de gauche. Il y avait là une pelote qu’elle ne connaissait pas, quelque cadeau de femme. Alors, elle se calma, elle éprouva une vague tristesse, continuant à suivre les objets, en se demandant s’ils étaient de son temps ou du temps des autres.

— Dites donc, Badingue, vous ne connaissez pas ça ? reprit Lantier.

Il lui mettait sous le nez un petit livre imprimé à Bruxelles : les Amours de Napoléon III, orné de gravures. On y racontait, entre autres anecdotes, comment l’empereur avait séduit la fille d’un cuisinier, âgée de treize ans ; et l’image représentait Napoléon III, les jambes nues, ayant gardé seulement le grand cordon de la Légion d’honneur, poursuivant une gamine qui se dérobait à sa luxure.

— Ah ! c’est bien ça ! s’écria Boche, dont les instincts sournoisement voluptueux étaient flattés. Ça arrive toujours comme ça !

Poisson restait saisi, consterné ; et il ne trouvait pas un mot pour défendre l’empereur. C’était dans un livre, il ne pouvait pas dire non. Alors, Lantier lui poussant toujours l’image sous le nez d’un air goguenard, il laissa échapper ce cri, en arrondissant les bras :

— Eh bien, après ? Est-ce que ce n’est pas dans la nature ?

Lantier eut le bec cloué par cette réponse. Il rangea ses livres et ses journaux sur une planche de l’armoire ; et comme il paraissait désolé de ne pas avoir une petite bibliothèque, pendue au-dessus de la