Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/183

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bavardage, dès qu’il y avait là quelqu’un pour l’écouter. Mais l’histoire inévitable où elle retombait, qui la passionnait, qu’elle recommençait sans fin, était celle de son fils Charles, de la bonne du marchand de vin d’en face avec laquelle il avait eu la bêtise de coucher, et de l’enfant qu’il venait d’en avoir. Autrefois, Charles, avant de partir pour le service, était l’ouvrier le plus laborieux, le fils le plus tendre, rapportant toute sa paye. Certes, il restait travailleur et bon garçon ; mais, tout de même, le service militaire, en le dégourdissant, l’avait dégoûté un peu du travail. Ce n’était pas qu’il le regrettât, car il parlait de la caserne comme d’une prison, tout en étant aussi crâne qu’un autre. Seulement, l’outil lui avait semblé lourd, lorsqu’il s’était agi de le reprendre.

— Alors, ma chère, Charles a beau être toujours gentil, il ne peut plus rien faire pour nous… Je le savais pas pressé de se marier, à cause de la charge. Avec cela, très prudent avec les filles. Et il a fallu cette bêtise d’un moment, cette Eugénie qui le servait, lorsqu’il entrait boire un verre en face… Naturellement que ce n’était pas pour l’épouser, bien qu’il lui ait porté des oranges, lorsqu’elle est allée accoucher à l’hôpital. Une sale traînée, qui a déjà disparu avec un autre homme… Seulement, le bébé reste. Charles l’a pris pour lui, l’a envoyé en nourrice, et il paye les mois. Une vraie ruine, des frais qui n’en finissent plus. Enfin, tous les malheurs nous sont tombés à la fois sur la tête.

Madame Toussaint parlait ainsi depuis une demi-heure, lorsqu’elle s’interrompit brusquement, en voyant madame Théodore toute pâlie par l’attente.

— Hein ? vous vous impatientez. C’est que Toussaint ne rentrera pas de sitôt. Voulez-vous que nous allions jusqu’à l’usine ? Je saurai bien s’il doit rapporter quelque chose.

Elles se décidèrent à descendre, elles s’arrêtèrent encore