Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/243

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geait pas le mercredi, et elle s’était ajournée au vendredi, voulant fêter le jeudi de la mi-carême. On avait deux jours pour se retourner.

Ève, ce matin-là, était plus douce et languissante que de coutume, pâlie un peu, avec une préoccupation triste au fond de ses beaux yeux. Elle mettait cela sur le compte de la fatigue vraiment excessive que lui avaient causée les préparatifs de la vente. Mais la vérité était que, depuis cinq jours, Gérard l’évitait d’un air de gêne, après avoir esquivé tout rendez-vous nouveau. Certaine qu’elle allait enfin le voir, elle avait osé encore se mettre en soie blanche, cette toilette jeune qui la rajeunissait ; mais toute qu’elle était restée, avec sa peau de blonde, sa taille superbe, son noble et charmant visage, les quarante-six ans d’âge se faisaient durement sentir dans le teint qui s’empourprait et dans la flétrissure des lèvres, des paupières, des tempes délicates. Et Camille, elle aussi, bien qu’elle fût désignée naturellement comme une des vendeuses les plus achalandées, s’était obstinée à son ordinaire toilette, une robe sombre, couleur carmélite, si peu jeune fille, sa toilette de vieille femme, comme elle la nommait elle-même avec son rire aigu. Mais sa longue face de chèvre mauvaise luisait d’une joie cachée, et elle arrivait à être presque belle, à faire oublier son épaule contrefaite, tant ses lèvres fines et ses grands yeux étincelaient d’esprit.

Dans le petit salon bleu et argent où elle attendait les convives, avec sa fille, Ève eut une première déception, en voyant entrer seul le général de Bozonnet, que son neveu Gérard devait amener. Il expliqua que madame de Quinsac s’était levée un peu souffrante et qu’en bon fils Gérard avait tenu à rester près d’elle. D’ailleurs, tout de suite après le déjeuner, il viendrait à la vente. Pendant que sa mère écoutait, en s’efforçant de cacher sa peine, sa crainte de ne pouvoir, en bas, forcer Gérard à une explication,