Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/268

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dix-huit mois, son fils l’a quittée, pour ne pas être à sa charge, et il tâche de gagner sa vie de son côté, sans y réussir, je crois. Madame Mathis entrait, une petite femme brune, à la face triste et douce, effacée. Toujours vêtue d’une même robe noire, elle parlait à peine, vivait dans la retraite, d’une timidité inquiète de pauvre créature sans cesse battue par l’orage. Lorsque l’abbé Rose lui eut remis les dix francs, discrètement enveloppés, elle rougit, remercia, promit de les rendre dès qu’elle toucherait son mois, car elle n’était point une mendiante, elle ne voulait pas rogner la part de ceux qui avaient faim.

— Et votre fils Victor, demanda l’abbé, a-t-il trouvé un emploi ?

Elle hésita, ignorant ce que faisait son fils, restant des semaines maintenant sans le voir. Et elle se contenta de répondre :

— Il est très bon, il m’aime bien… C’est un grand malheur que notre ruine soit venue, avant son entrée à l’École Normale. Il n’a pu passer l’examen… Au lycée, il était un élève si appliqué, si intelligent !

— Vous avez perdu votre mari, lorsque votre fils avait dix ans, n’est-ce pas ?

Elle rougit de nouveau, crut que l’histoire était connue des deux prêtres qui l’écoutaient.

— Oui, mon pauvre mari n’a jamais eu de chance. Les déboires l’avaient aigri, ses idées s’étaient exaltées, et il est mort en prison, à la suite d’une bagarre dans une réunion publique, où il avait eu le malheur de blesser un agent… Pendant la Commune, autrefois, il s’était battu. C’était pourtant un homme très doux et qui m’adorait.

Des larmes étaient montées à ses yeux. L’abbé Rose, attendri la congédia.

— Enfin, espérons que votre fils vous donnera du con-