Page:Zola - Vérité.djvu/111

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la nouvelle, qu’il m’a d’ailleurs confirmée, car il connaît un greffier, au Palais.

Et, prenant le numéro du journal, le froissant, le jetant avec dégoût dans un coin de la pièce :

— Ah ! cette feuille immonde, elle est l’exécrable poison qui corrompt et détruit tout un peuple. Si l’iniquité devient possible, c’est qu’elle empoisonne de mensonges les petits, ce pauvre peuple de France encore ignorant, si crédule aux contes dont on flatte ses passions basses… Et le pis est que ce journal s’est répandu d’abord partout, est allé dans toutes les mains, en restant neutre, en n’étant d’aucun parti, simple recueil de romans-feuilletons, de faits divers, d’articles de vulgarisation aimables, à la portée des moindres intelligences. Ainsi, pendant de longues années, il est devenu l’ami, l’oracle, le pain quotidien des innocents et des pauvres, de la multitude qui ne peut penser par elle-même. Et voilà qu’il abuse désormais de sa situation unique, de sa clientèle immense, en se mettant à la solde des partis d’erreur et de réaction, en battant monnaie avec tous les impudents tripotages financiers et toutes les louches aventures politiques… Que des journaux de combat mentent, injurient, cela est presque sans conséquence. Ils soutiennent une faction, on les connaît, on les lit sur leur étiquette. Ainsi, La Croix de Beaumont a fait une campagne atroce contre notre ami Simon, l’instituteur juif, empoisonneur et tueur d’enfants ; et je ne m’en suis guère ému. Mais que Le Petit Beaumontais ait publié les ignobles et lâches articles que vous savez, ces délations, ces calomnies ramassées dans la boue, il y a là un crime, l’empoisonnement sournois d’un peuple. S’être introduit chez les simples d’un air de bonhomie, et mêler ensuite de l’arsenic à chaque plat, les faire délirer, les pousser aux actions monstrueuses, dans l’intérêt du tirage, je ne sais pas de crime plus grand…