Page:Zola - Vérité.djvu/158

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lui-même tenait l’école des garçons. Petite, brune, sans beauté, mais d’un grand charme, avec un visage large, à l’épaisse bouche de bonté, aux yeux noirs admirables, brûlants de tendresse et d’abnégation, sous un front haut et bombé, elle était, elle aussi, l’intelligence, la raison, la volonté saine et droite, née pour être l’éducatrice, l’émancipatrice des fillettes qu’on lui confiait. Elle sortait de cette maison de Fontenay-aux-Roses, de cette École normale où la méthode et le cœur d’un maître illustre, ont déjà enfanté toute une cohorte de bonnes pionnières, dont la mission est de créer les épouses et les mères de demain. Et, si, à vingt-six ans, elle se trouvait déjà institutrice titulaire, c’était grâce à l’utile besogne que les supérieurs intelligents, les Salvan et les Le Barazer, attendaient d’elle. Ils l’essayaient dans ce village obscur, un peu inquiets au fond de ses idées avancées, craignant de la voir fâcher les parents par son enseignement anticlérical, son ardente conviction que la femme apportera le bonheur au monde, le jour où elle sera libérée du prêtre. Mais elle y mettait beaucoup de sagesse et de gaieté ; et, bien qu’elle eût cessé de conduire ses fillettes à l’église, elle se montrait si maternelle, elle les instruisait et les soignait si tendrement, que les paysans finissaient par l’avoir en adoration. Et elle fut de la sorte, pour l’œuvre de Marc, une aide puissante, en prouvant au pays qu’on pouvait ne pas aller à la messe, croire moins au bon Dieu qu’au travail et à la conscience humaine, et être cependant la meilleure, la plus intelligente et la plus honnête fille de la terre.

Mis en échec à Jonville, forcé de compter avec l’instituteur, l’abbé Cognasse soulageait ses amertumes et ses colères au Moreux, la petite commune voisine, à quatre kilomètres, qui, n’ayant pas de curé, était desservie par lui.

Le Moreux, dont le nombre des habitants n’avait jamais pu atteindre deux cents, se trouvait perdu parmi