Page:Zola - Vérité.djvu/165

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compromis au point de perdre sa situation ? Puis, jusque-là, ils s’aimaient trop, ils se désiraient trop, aucun dissentiment, aucune querelle ne pouvaient devenir graves entre eux. À la fâcherie la plus légère, ils s’embrassaient, et tout finissait dans un grand frisson, dans une pluie de baisers ardents.

— Ah ! chère, chère Geneviève, quand on s’est donné, jamais plus on ne se reprend.

— Oui, oui, mon Marc adoré, je t’appartiens, et je te sais si bon, fais de moi ce qu’il te plaira.

Aussi, la laissait-il très libre. Elle serait allée à la messe, qu’il n’aurait pas trouvé la force de l’en empêcher, sous le prétexte de respecter sa liberté de conscience. À la naissance de leur petite Louise, la pensée de s’opposer à son baptême ne lui était pas même venue, tant l’usage, les habitudes reçues le tenaient encore tout entier. Il commençait à éprouver parfois de sourds regrets. Mais est-ce que l’amour ne suffisait pas à tout réparer, est-ce qu’on ne finissait pas toujours par s’entendre, malgré les pires catastrophes, lorsqu’on se retrouvait chaque soir unis étroitement, en une même chair et un seul cœur ?

Si Marc restait hanté par l’affaire Simon, c’était qu’il ne pouvait cesser de s’en occuper. Il avait juré de ne prendre aucun repos, tant qu’il n’aurait pas découvert le vrai coupable, et il tenait sa parole, plus encore par passion que par strict devoir. Dès qu’il avait une après-midi libre, chaque jeudi, il courait à Maillebois, il rendait visite aux Lehmann, dans leur sombre et triste boutique de la rue du Trou. La condamnation de Simon avait retenti là en coup de foudre, toute une exécration publique semblait jeter du monde la famille du forçat, ses amis, jusqu’aux simples connaissances qui lui gardaient quelque fidélité. La clientèle du petit tailleur juif l’abandonnait, le craintif Lehmann et sa femme, si lamentablement résignés, seraient morts de faim, s’il n’avait pas trouvé à