Page:Zola - Vérité.djvu/285

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riches, enfiévré de cette iniquité sociale, affolé par les souffrances des siens, poussé à rêver la destruction violente de cet abominable monde, afin de rebâtir sur les ruines la Cité de vérité et de justice.

Il aperçut Saleur, le maire du Moreux, venu en belle redingote neuve, désireux d’être agréable à l’abbé Cognasse, depuis que ce dernier triomphait. Au Moreux, la paix régnait maintenant entre la commune et l’abbé, malgré l’exécrable humeur de celui-ci, grondant toujours d’avoir à faire quatre kilomètres pour des paroissiens qui auraient bien pu se donner le luxe d’un curé. Toute l’estime qui s’était retirée de l’instituteur, maigre, hâve, mal payé, sans un sou de bien au soleil et rongé de dettes, était allée au prêtre, solide et florissant, beaucoup mieux tenté, ayant pour lui les baptêmes, les mariages, les enterrements. Et, dans ce duel inégal, l’instituteur, fatalement battu, enrageait.

— Eh bien ! monsieur Saleur, en voilà un carnaval ! ça ne vous fait pas honte de vous prêter à des ignominies pareilles ?

Saleur, tout en n’étant pas au fond avec les prêtres, fut vexé. Il vit là une attaque contre sa situation bourgeoise d’ancien marchand de bœufs enrichi, vivant de ses rentes dans la jolie maison qu’il s’était fait arranger, rajeunie et peinte à l’huile. Aussi chercha-t-il une parole digne.

— Vous feriez mieux de vous taire, monsieur Férou. La honte est pour ceux qui ne savent pas réussir dans la vie à être des gens propres.

Férou allait répandre, irrité de trouver là toute la basse morale dont il souffrait, lorsque Jauffre parut à son tour, ce qui détourna sa colère.

— Ah ! c’est vous, mon collègue, qui portez leur drapeau de mensonge et d’imbécillité ! Belle action pour un éducateur des petits et des humbles de notre démocratie ! Vous