Page:Zola - Vérité.djvu/294

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poison religieux, ferment mauvais de tous les désordres et de toutes les souffrances.

Plus tard, Marc voyait Geneviève dans la petite maison dévote de la place des Capucins. C’était là qu’il l’avait connue, entre sa grand-mère, Mme  Duparque, et sa mère, Mme  Berthoreau, dont la tendresse vigilante s’exerçait surtout à parfaire l’œuvre du couvent, en écartant de la jeune fille tout ce qui aurait pu en faire une créature de vérité et de raison. Pourvu qu’elle pratiquât en paroissienne obéissante, on lui demandait simplement de se désintéresser du reste des choses, on la préparait à vivre dans un aveuglement complet de la vie. Et il fallait à Marc un certain effort déjà, pour se la rappeler telle qu’il l’avait aimée, dès les premières entrevues, délicieusement blonde, le visage doux et fin, si désirable, avec son éclat de jeunesse, son odeur pénétrante de belle amoureuse, qu’il ne se souvenait plus très bien du reste, de l’intelligence et du bon sens qu’elle montrait alors. Il y avait entre eux le coup de passion, la flamme de désir qui soulève le monde, et dont il l’avait sentie brûler comme lui, car elle tenait de son père ce besoin d’amour, sous son éducation glacée. Sans doute elle n’était point une sotte, il devait la juger pareille aux autres jeunes filles, desquelles on ne sait rien ; et, certainement, il s’était promis de voir ça plus tard, au lendemain du mariage, quand elle serait tout entière à lui. Mais, à cette heure, s’il évoquait leurs premières années de Jonville, il s’apercevait de son peu d’efforts pour la mieux connaître et pour la faire sienne davantage. Ces années, ils les avaient passées tous deux dans un ravissement mutuel, dans une telle ivresse de leurs baisers de chaque soir, qu’ils n’avaient pas même conscience des différences morales qui pouvaient les séparer. Elle était vraiment intelligente, et il ne la chicanait pas trop sur les singuliers trous qu’il découvrait parfois dans son entendement.