Page:Zola - Vérité.djvu/339

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d’user de sa haute influence, d’obtenir, lui, le juif triomphal, roi de l’argent, un peu de pitié pour le misérable pauvre, le juif crucifié, qui agonisait là-bas. Et elle revint en larmes, frissonnante, comme au sortir d’un lieu éblouissant et redoutable. Elle ne se souvenait même plus bien. Le baron l’avait reçue avec un visage sévère, l’air irrité de son audace. Peut-être l’avait-elle trouvé avec sa fille, la comtesse de Sanglebœuf, une dame au visage blanc et glacé. Elle n’aurait pas su dire au juste comment on s’était débarrassé d’elle, ainsi que d’une pauvresse, avec des paroles de refus. Puis, elle s’était retrouvée dehors, les yeux aveuglés de tant de richesses entassées, cette Désirade merveilleuse, aux somptueux salons, aux eaux vives, aux claires statues. Et, depuis cette tentative avortée, elle était retombée dans son attente morne, elle n’était plus, toujours en deuil, sous la persécution des hommes et des choses, que la protestation vivante et silencieuse de la douleur.

Marc, dans cette maison de misère et de souffrance, ne comptait que sur David, d’une raison si nette, d’un cœur si droit et si solide. Depuis la condamnation de son frère, depuis dix ans bientôt, il le voyait à l’œuvre, sans impatience ni défaillance, ne désespérant jamais, malgré la difficulté de la tâche. Il gardait sa foi entière, la conviction de l’innocence de Simon, la certitude de la faire éclater un jour ; et il poursuivait son œuvre, dans une discrétion absolue, avec une limpidité, une déduction admirables, mettant des semaines, des mois pour avancer d’un pas, ne se laissant distraire par rien. Tout de suite il avait compris que, pour une telle besogne, quelque argent lui était nécessaire. Aussi avait-il fait deux parts de sa vie, en reprenant ostensiblement la direction de la carrière de cailloux et de sable, dont il tenait le fermage du baron Nathan. Aux yeux de tout le monde, il l’exploitait en personne, tandis qu’un homme dévoué, son contremaître,