Page:Zola - Vérité.djvu/349

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plus saint des hommes. Le frère Gorgias n’était pas nommé mais, à partir de ce moment, chaque jour, il y eut un article et, peu à peu, toute la version imaginée par les supérieurs du frère se déroula, en opposition avec la version de David, déjà prévue, sans que celui-ci l’eût fait connaître. Il s’agissait de la ruiner à l’avance. Carrément, on niait tout : le frère Gorgias n’avait pu s’arrêter devant la fenêtre de Zéphirin, des témoins ayant établi sa rentrée à l’établissement dès dix heures et demie, le paraphe du modèle n’était pas de lui, puisque les experts y avaient formellement reconnu l’écriture et la main de Simon. Et, dès lors, c’était bien simple. Simon, après s’être procuré un modèle, avait imité le paraphe du frère, pris sur le cahier de Zéphirin. Puis, sachant que les modèles étaient timbrés, il avait déchiré le coin, avec une astuce vraiment diabolique, afin de faire croire à une précaution de l’assassin. Tout cela dans le but infernal de rejeter son crime sur un serviteur de Dieu pour assouvir sa haine de damné contre l’Église. Et cette histoire extravagante, répétée chaque matin par le journal, ne tarda pas à devenir l’acte de foi des lecteurs abêtis, empoisonnés de mensonges.

Mais, cependant, il y avait eu un peu de flottement d’abord, d’autres explications avaient circulé, le frère Gorgias lui-même semblait s’être abandonné à des confidences inquiétantes. C’était une extraordinaire figure que ce frère Gorgias, jusque-là resté dans l’ombre, tout d’un coup jeté au plein jour. Il avait eu pour père un braconnier, Jean Plumet, dont la comtesse de Quédeville, l’ancienne propriétaire de Valmarie, s’était ingéniée à faire un garde-chasse ; et il n’avait jamais connu sa mère, une rôdeuse de bois, ramassée un soir, puis disparue après ses couches. L’enfant, Georges, allait avoir douze ans, lorsqu’il avait perdu son père, abattu d’un coup de feu, par un ancien compagnon de braconnage. Il était resté à