Page:Zola - Vérité.djvu/395

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— Pourquoi donc cela ? demanda Marc.

— Oh ! parce que l’heure est passée… Une femme dans l’enseignement, une humble institutrice primaire, quand elle est née de parents pauvres, ne tente guère les épouseurs. Où trouver l’homme qui veuille bien accepter la charge d’une compagne gagnant peu, astreinte à de lourds devoirs, forcée de vivre au fond de quelque pays perdu. Si elle n’a pas la chance d’épouser un instituteur et de mettre leur misère en commun, elle reste fatalement vieille fille… Moi, j’en ai fait mon deuil, je suis heureuse tout de même.

Et, vivement, elle ajouta :

— Bien entendu, le mariage est l’acte nécessaire, il faut qu’une femme se marie, car elle n’a pas vécu, elle n’a pas rempli sa destinée, si elle n’a pas été épouse et mère. Il n’est point de santé ni de bonheur possible, pour une créature humaine, en dehors de sa complète floraison. Et je n’oublie jamais, dans mes leçons à mes fillettes, qu’elles doivent avoir un jour un mari et des enfants… Seulement, quand on est une oubliée, une sacrifiée, on est bien forcée de s’arranger un coin de contentement. C’est pourquoi je me suis taillé ma part de besogne, et je ne me plains pas trop, j’ai réussi à être mère tout de même, parce que j’ai à moi toutes les enfants des autres, ces chères petites dont je m’occupe du matin au soir. Je ne suis pas seule, j’ai une grande famille.

Elle riait, elle disait avec simplicité son admirable dévouement, comme si elle s’était crue l’obligée des générations d’écolières qui consentaient à être les innombrables filles de son esprit et de son cœur.

— Oui, conclut Marc, lorsque la vie se montre dure pour un de nous, il faut que ce déshérité se montre bon pour elle. C’est l’unique façon qu’il a de conjurer le malheur.