Page:Zola - Vérité.djvu/42

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fiévreuse la place des Capucins, si déserte et si calme d’habitude, c’était le monstrueux crime découvert le matin, ce pauvre enfant, cet élève des frères violenté, étranglé. Et il était comme présent, il n’y avait que lui, dans la cour ombragée où se dressait l’estrade, devant les rangs pressés des chaises, pendant que le père Philibin faisait l’éloge de l’établissement, de son directeur, le très distingué frère Fulgence, et de ses trois adjoints, les frères Isidore, Lazarus et Gorgias. Cette hantise s’accrut encore, lorsque ce dernier, un homme maigre et noueux au front bas et dur sous des cheveux noirs crépus, au grand nez en bec d’aigle entre des pommettes saillantes, à la bouche épaisse laissant voir des dents de loup, se leva pour lire le palmarès. Zéphirin était le meilleur élève de sa classe, dont il avait remporté tous les prix ; et son nom revenait sans cesse, et le frère Gorgias, dans sa longue soutane noire, avec la tache blanche de son rabat, avait une telle façon, lente et lugubre, de laisser tomber ce nom, que, chaque fois, un frisson croissant courait parmi la foule. Chaque fois, le pauvre petit mort semblait se dresser à cet appel, pour venir recevoir sa couronne et son livre à tranche dorée. Les couronnes et les livres s’amoncelaient sur la table, rien ne devenait plus poignant que le silence et le vide où étaient jetées tant de récompenses, à cet enfant modèle, si tragiquement disparu, dont le triste corps, torturé et souillé, gisait à quelques maisons de là. L’émotion de l’assistance fut bientôt trop forte, les sanglots finirent par éclater, tandis que le frère Gorgias continuait à lancer le nom, avec son habituel retroussement de lèvres qui découvrait, à gauche, un peu de ses dents blanches, dans un rictus involontaire où il y avait de la goguenardise et de la cruauté.

La solennité s’acheva au milieu d’un grand malaise. Malgré la belle assistance, accourue pour exalter les frères,