Page:Zola - Vérité.djvu/422

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une petite femme, il y avait des jours où elle restait bien enfant, s’amusant à des riens, disant de grosses sottises, retournant à sa poupée, avec qui elle tenait d’extraordinaires conversations. Et c’était ces jours-là que son père se sentait repris d’inquiétude, tremblant devant tant de puérilité encore, se demandant si l’on ne finirait pas par la lui voler et par obscurcir cette raison, d’une aube si limpide et si fraîche.

— Ah ! oui, mon papa, c’est bête, ce que me disait tout à l’heure ma poupée. Mais, que veux-tu ? elle n’est pas encore bien raisonnable, elle !

— Et tu espères la rendre raisonnable, ma chérie ?

— Je ne sais pas trop. Elle a la tête si dure ! Pour l’histoire sainte, ça va encore ; elle en retient le mot à mot. Mais, pour la grammaire et l’arithmétique, c’est une vraie bûche.

Et de rire. Le triste logis avait beau être vide et glacé, elle l’emplissait par moments de sa gaieté enfantine, sonnante comme une fanfare d’avril.

Cependant, à mesure que les jours s’écoulaient, elle devenait plus grave, plus préoccupée. Quand elle rentrait de ses visites du jeudi et du dimanche à sa mère, elle rapportait de chez ces dames des airs de réflexion, de grands silences rêveurs. Le soir, lorsqu’elle travaillait sous la lampe, elle s’oubliait parfois à regarder longuement son père, avec des yeux de bonté triste. Et ce qui devait arriver finit par se produire.

Ce fut pendant une chaude soirée, sous la menace d’un orage, dont la nuée d’encre alourdissait le ciel. À leur habitude, le père et la fille travaillaient, dans l’étroit rond de clarté qui tombait de l’abat-jour ; et, par la fenêtre grande ouverte sur Maillebois, noir et endormi, des papillons de nuit entraient, troublant seuls le profond silence du petit frémissement de leurs ailes. La fillette, qui avait passé l’après-midi place des Capucins,