Page:Zola - Vérité.djvu/45

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— Vous entendez, monsieur, vous entendez ces anarchistes ! Des frères si dévoués, qui aiment tant les enfants, qui ont pour eux des soins si maternels !… Tenez ! Polydor habite avec son père, sur la route de Jonville, à un kilomètre d’ici. Eh bien ! hier soir, après cette cérémonie, on a craint quelque mauvaise rencontre, le frère Gorgias l’a accompagné jusqu’à sa porte… N’est-ce pas, Polydor ?

— Oui, répondit laconiquement le gamin, de sa voix sourde.

— Et c’est eux qu’on insulte, qu’on menace ! continua la servante. Vous voyez ce pauvre frère Gorgias faisant deux kilomètres, allant et venant dans la nuit noire, pour que rien n’arrive à ce petit homme-là. Vrai ! ça dégoûterait d’être prudent et gentil !

Marc, qui examinait l’enfant, était frappé de sa volonté de silence, de la somnolence hypocrite où il semblait se faire un nid de doux refuge. Et il n’écouta pas davantage Pélagie, dont il négligeait d’habitude les propos. Mais, comme il rentrait dans le petit salon, où Geneviève lisait, tandis que Mme  Duparque et Mme  Berthereau s’étaient remises à leur perpétuel tricot, pour les œuvres religieuses, il s’inquiéta en voyant sa femme, le livre abandonné, très émue de ce qui se passait sur la place. Elle vint à lui, se jeta presque à son cou, dans un élan de tendresse peureuse, adorablement jolie en son émoi.

— Que se passe-t-il donc ? demanda-t-elle. Est-ce qu’on va se battre ?

Et il la rassurait, lorsque Mme  Duparque, levant les yeux de son ouvrage, répéta sévèrement sa volonté.

— Marc, j’espère bien que vous n’allez pas vous mêler de cette vilaine histoire… Soupçonner, outrager les frères, vraiment c’est de la folie ! Dieu finira par venger les siens.