Page:Zola - Vérité.djvu/450

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libres. Des générations seraient nécessaires. La pensée de son pauvre Simon le hantait, dans sa douleur de n’avoir pu faire lever, comme une saine moisson, le peuple de vérité et de justice, capable de se révolter contre l’iniquité ancienne et de la réparer. La nation se refusait toujours à être la noble, la généreuse, l’équitable, en laquelle il avait cru si longtemps. Cela lui meurtrissait le cerveau et le cœur, il ne pouvait s’habituer à une France d’imbécile fanatisme. Puis, une gaie vision passa, il revit la petite Charlotte, si éveillée, si heureuse avec sa place de première, et il se reprit à espérer, l’avenir était à l’enfant, pourquoi des enjambées de géant ne seraient-elles pas faites par ces petits êtres délicieux, le jour où des intelligences solides et droites les mèneraient à la lumière ?

Comme il rentrait chez lui, à l’école, il fit une rencontre qui, de nouveau, lui serra le cœur. Mme  Férou passait, un paquet à la main, reportant de l’ouvrage. Elle avait perdu sa fille aînée, morte plus de misère que de fièvre, après de longues souffrances. Et elle continuait de vivre avec la cadette, dans un taudis infâme, se tuant l’une et l’autre de travail, sans pouvoir manger à leur faim.

Marc l’arrêta, en la voyant filer, les regards baissés, très honteuse de son indigence. Ce n’était plus la grosse blonde agréable, à la bouche charnue et aux beaux yeux clairs, à fleur de tête, mais une pauvre femme tassée, ravagée, vieillie avant l’âge.

— Eh bien ! madame Férou, la couture va-t-elle un peu ?

Elle balbutia, finit par se rassurer.

— Oh ! monsieur Froment, ça ne va jamais, nous avons beau nous abîmer les yeux, c’est la fortune, quand nous arrivons à nous faire vingt-cinq sous par jour, à nous deux.