Page:Zola - Vérité.djvu/529

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entendu les malédictions de Férou sortir de terre : un pays fichu, complètement pourri par les curés, empoisonné par les journaux immondes, enfoncé dans une telle boue d’ignorance et de crédulité, que jamais plus on ne l’en tirerait. Au lendemain du monstrueux arrêt de Rozan, il s’était imaginé un réveil possible, il avait attendu un soulèvement des consciences droites, des intelligences saines, sous le vent d’horreur qui soufflait. Et rien ne bougeait, les plus braves semblaient s’être terrés dans leur coin, l’ignominie suprême s’accomplissait, grâce à l’imbécillité et à la lâcheté universelles.

À Maillebois, Marc aperçut Darras, le visage décomposé, simplement désespéré de voir la mairie lui échapper encore, devant le triomphe du clérical Philis. Mais, surtout, la rencontre de ses anciens élèves, Fernand Bongard, Auguste et Charles Doloir, Achille et Philippe Savin, le navra, en lui montrant, d’une façon définitive, combien peu il avait réussi à mettre en eux de justice sociale et de courage civique. Fernand ne savait rien, haussait les épaules. Auguste et Charles s’étaient remis à douter de l’innocence de Simon. Quant aux deux jumeaux, Achille et Philippe, ils restaient convaincus de l’innocence ; mais quoi ? ils ne pouvaient pas faire une révolution à eux seuls ; et d’ailleurs, un juif de plus ou de moins, ça n’avait pas d’importance. La terreur régnait, chacun rentrait chez soi, bien résolu à ne pas se compromettre davantage. C’était pis à Beaumont, où Marc eut la folie d’aller voir s’il ne pourrait pas réveiller certaines consciences, déterminer quelques puissants à tenter un dernier effort, afin de faire casser immédiatement l’arrêt scélérat. Lemarrois, auquel il osa s’adresser, sembla le prendre pour un fou. Il lui répondit nettement, presque brutalement, malgré son habituelle bienveillance, que l’affaire était désormais terminée, et qu’il y aurait de la démence à vouloir la reprendre, tellement le pays en