Page:Zola - Vérité.djvu/541

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ce crime de suprême aveuglement. Depuis le jour du meurtre, il était convaincu de l’innocence de Simon, il ne cachait pas sa désolation d’assister à ce spectacle lamentable, les prêtres et les fidèles du Christ, du Dieu de bonté, de vérité et de justice, s’acharnant à l’œuvre la plus monstrueuse d’iniquité, de sauvagerie et de mensonge. Pour lui, cette faute serait durement châtiée, car l’Église, si menacée déjà, se détruisait de ses propres mains, hâtait sa ruine. Son vieux rêve caressé d’une Église de France indépendante et libérale, évoluant dans le grand mouvement démocratique du siècle, semblait bien mort désormais. D’autre part, les capucins lui rendaient la vie intenable, leur chapelle si achalandée achevait de tuer la paroisse, et le curé voyait sa chère église de Saint-Martin un peu plus désertée, appauvrie chaque jour. Les offrandes, les messes s’en allaient de plus en plus, passaient toutes au triomphal saint Antoine de Padoue. Lui, de mœurs très sobres et très simples, s’accommodait personnellement de son casuel réduit. Mais il souffrait de voir ses pauvres ruinés, leur ayant donné tout, jusqu’à la laine de son matelas. Le langage des obligations hypothécaires sur le paradis mit alors le comble à sa tristesse, et une colère indignée le jeta hors de toute résignation chrétienne. C’était là une exploitation trop impudente, il osa dire en chaire sa révolte de prêtre du Christ, sa douleur d’assister à cette déchéance grossière de ce grand christianisme qui avait renouvelé le monde et que tant d’illustres esprits avaient haussé aux plus purs sommets de l’idéal. Puis, il était allé rendre une dernière visite à son ancien soutien, son évêque et ami, Mgr Bergerot. Et, le sentant incapable de continuer la lutte, se voyant lui-même vaincu, paralysé, il avait donné sa démission de curé de Saint-Martin, il s’était retiré dans une petite maison du faubourg, où il comptait vivre d’une rente infime, en dehors de cette Église