Page:Zola - Vérité.djvu/581

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eux, il n’agit qu’en tempête, terrorisant, sabrant tout. Et, depuis que ce bedeau de Chagnat le servait en humble créature, ils régnaient ensemble, ils avaient comme supprimé le maire Saleur, le gros homme simplement heureux d’être renommé à chaque élection, se déchargeant des soucis de la mairie sur le secrétaire, se laissant même conduire par lui à la messe, pour la vanité d’y montrer sa gloire de marchand de bœufs enrichi, bien qu’au fond il n’aimât guère les prêtres… Ah ! comme je comprends la torture ici du lamentable et tragique Férou, comme je m’explique son exaspération, le coup de folie qui en a fait un martyr !

D’un geste frémissant, Marc dit à quel point il était hanté par le souvenir du triste mort, abattu au loin d’un coup de revolver.

— Oui, lorsque je suis entré dans cette pauvre école, je l’ai vu qui se dressait. Affamé, n’ayant que les quelques sous de son traitement, pour lui, sa femme et ses filles, il y agonisait de se sentir le seul intelligent, le seul instruit, au milieu d’ignorants à leur aise, qui le méprisaient et le redoutaient comme une force dont ils se sentaient humiliés… Et cela fait comprendre aussi le pouvoir pris par Chagnat sur le maire, désireux de manger ses rentes en paix, dans la béate somnolence de tous ses appétits satisfaits.

— Mais la commune entière en est là, reprit Mignot. Il ne s’y trouve pas un pauvre, chaque cultivateur se contente du pain qu’il récolte, non par sagesse, mais par une sorte d’égoïsme, d’ignorance et de fainéantisme. S’ils sont en continuelle querelle avec le curé, c’est qu’ils l’accusent de manquer d’égards, de ne pas leur donner les messes et cérémonies auxquelles ils ont droit. Grâce à Chagnat, un peu d’entente était pourtant survenue, et ce qui s’est dit et fait ici, en l’honneur de saint Antoine de Padoue dépasse l’imagination… Les résultats sont déplorables,