Page:Zola - Vérité.djvu/636

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des frères, et qui en regardait les murs d’un regard fixe. Tout de suite, il reconnut l’homme qu’il avait aperçu, le mois d’auparavant, en compagnie de Polydor, derrière un massif de l’avenue de la Gare.

Et, cette fois, il n’hésita plus, en pouvant ainsi l’examiner à l’aise, sous le grand jour : c’était bien le frère Gorgias, un Gorgias en vieille redingote, graisseuse, ravagé par l’âge, la face creusée, les membres tordus, mais toujours reconnaissable à son grand nez farouche d’oiseau vorace, entre ses pommettes saillantes. Delbos ne s’était pas trompé, le frère Gorgias était revenu et devait rôder dans le pays depuis de longs mois déjà.

Dans la rêverie profonde où il venait de tomber, sur cette place endormie, presque toujours déserte, il eut conscience de ce regard attaché sur lui, qui le fouillait profondément. Il se tourna sans hâte, ses yeux se rencontrèrent avec ceux de la personne arrêtée à quelques pas. Lui aussi, sûrement, la reconnut. Mais, au lieu de s’effarer, de fuir comme il avait fait une première fois, il eut son habituel retroussement de lèvres, qui découvrait, à gauche, un peu de ses dents de loup, dans un rictus involontaire où il y avait comme de la goguenardise et de la cruauté. Puis, l’air tranquille, il parla, en montrant du geste les murs délabrés de l’école des frères.

— Hein ! monsieur Froment, quand vous passez ça doit vous faire plaisir, cette ruine ?… Moi, voyez-vous, ça me jette hors de moi, j’ai envie d’y mettre le feu, pour y brûler les derniers de ces lâches.

Puis, comme Marc, saisi que ce bandit osât lui adresser la parole, frémissait sans répondre, il eut encore son terrible rire muet.

— Ça vous étonne que je me confesse à vous ?… Vous avez été mon pire ennemi. Mais pourquoi vous en voudrais-je ? vous ne me deviez rien, vous vous battiez pour vos idées… Ceux que je hais, ceux que je poursuivrai