Page:Zola - Vérité.djvu/65

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Dès deux heures, Marc se trouva sur la route de la Désirade, à la porte de Maillebois. Bongard possédait là une petite ferme, quelques champs qu’il cultivait lui-même, à grand-peine, tout juste pour manger du pain, comme il disait. Et Marc eut la chance de le trouver, au moment où il rentrait avec une charrette de foin. C’était un gros homme, roux, carré et fort, les yeux ronds, la face placide et muette, se rasant, mais la barbe rarement fraîche. Et la Bongard, elle aussi était là, faisant la soupe pour sa vache, une longue femme blonde, osseuse et pas belle, avec un air fermé, les pommettes rougies, le visage criblé de taches de rousseur. L’air méfiant, tous deux regardèrent entrer dans leur cour ce monsieur qu’ils ne connaissaient pas.

— Je suis l’instituteur de Jonville. Vous avez bien un petit garçon qui fréquente l’école communale de Maillebois ?

Fernand, le gamin, en train de jouer sur la route, accourait. C’était un gros garçon de neuf ans, comme taillé à coups de serpe, le front bas, le masque lourd. Et il était suivi de sa sœur Angèle, une fillette de sept ans, de même face épaisse, mais plus délurée, les yeux vifs où s’éveillait une intelligence qui tâchait de percer sa rude prison de chair. Elle avait entendu la question, elle cria d’une voix aiguë :

— Moi, je vas chez Mlle Rouzaire, et Fernand va chez M. Simon.

Bongard, en effet, avait mis ses enfants à l’école laïque d’abord parce que ça ne coûtait rien, et ensuite parce qu’il n’était pas avec les curés, d’une façon instinctive, sans raisonner la chose autrement. Lui, ne pratiquait pas, et si la Bongard allait à l’église, c’était par habitude et pour la distraction. Il était complètement illettré, savait à peine lire et écrire, n’estimait en sa femme, plus ignorante encore, que l’endurance de bête de somme,