Page:Zola - Vérité.djvu/668

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quatre-vingt-dix ans passés, ce conquérant de femmes, cet ensorceleur d’âmes dévotes, recommençait le coup triomphal de sa jeunesse. S’il venait de perdre Valmarie, dont la tendresse de la comtesse de Quédeville lui avait fait jadis le royal cadeau, il était en train d’obtenir maintenant la Désirade des bonnes grâces de la toujours belle Lia, qu’il appelait passionnément « ma sœur Marie en Jésus-Christ ». Administrateur de ses aumônes et de ses dons, il avait déjà partagé la fortune, en commanditant des œuvres religieuses, en versant surtout des sommes considérables aux souscriptions ouvertes par les partis réactionnaires, pour alimenter la guerre féroce, faite à la République et à ses institutions. Et, quand la comtesse fut, un soir, trouvée morte sur sa chaise longue, l’air endormi en son indolence, elle était ruinée, ses millions avaient tous passé dans les caisses noires, il ne restait que la Désirade, dont un testament instituait le père Crabot seul héritier, à la charge d’y installer une fondation chrétienne de son choix.

Mais c’étaient là les secousses dernières de la fin d’un monde, et Maillebois tout entier passait aux mains de ces socialistes dont les dames pieuses rêvaient autrefois comme de bandits, coupeurs de bourses et détrousseurs de filles. L’ancienne petite ville cléricale appartenait désormais à la pensée libérée, à la raison victorieuse, au point qu’on n’aurait plus trouvé dans son conseil municipal un seul membre réactionnaire. Le temps était loin où Darras se lamentait de n’y pas avoir une majorité simplement républicaine, et non seulement Philis, le maire des curés, dormait oublié au cimetière, mais Darras lui-même, le maire des vendus et des sans patrie, venait de mourir, en laissant la mémoire d’un esprit hésitant, singulièrement timoré. On l’avait remplacé, à la mairie, par un homme de grand sens et d’énergique travail, Léon Savin, le cadet d’Achille et de Philippe, les deux jumeaux