Page:Zola - Vérité.djvu/710

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Et Marc, debout, défaillant de bonheur, en regardant venir de loin ce triomphe, au travers d’une telle passion fraternelle et tendre, songeait à l’atroce arrestation de Simon, le jour où une voiture l’avait emmené de Maillebois, au moment même de l’enterrement du petit Zéphirin. Une cohue furieuse se ruait, pour s’emparer du misérable rouler, le déchirer. Des clameurs atroces retentissaient : « À mort, à mort, l’assassin, le sacrilège ! à mort, le juif ! » Et la cohue galopait derrière les roues, ne lâchait pas sa proie, tandis que Simon, très pâle, glacé, répondait par son continuel cri : « Je suis innocent ! je suis innocent ! je suis innocent ! » Et, aujourd’hui que cette innocence éclatait, après des années si longues, quelle transformation saisissante cette population rajeunie et comme transfigurée, les enfants et les petits-enfants des insulteurs aveuglés d’autrefois, peu à peu grandis dans la vérité, devenus des applaudisseurs enthousiastes, rachetant à force de sincérité et d’amour le crime de leurs pères !

Mais le landau s’arrêta devant la grille, et l’émotion grandit encore, lorsqu’on vit en descendre Simon, soutenu par son frère David, resté plus alerte et plus vigoureux. Simon, maigri, réduit à un souffle, le visage adouci par la grande vieillesse, avait cependant gardé ses fins cheveux blancs d’un blanc de neige. Il eut un sourire pour remercier David de son aide, et des acclamations frénétiques reprirent, devant ces deux frères unis par un si long et si prodigieux héroïsme, le frère douloureux qui n’avait jamais douté de l’immolation de son frère, le frère admirable qui s’était donné à son frère, pour l’honneur et pour la vie. Les acclamations continuèrent, quand Delbos descendit à son tour, avec le maire Léon Savin, le grand Delbos, comme on le nommait dans la foule, le héros de Beaumont et de Rozan qui n’avait pas craint d’affirmer la vérité, aux jours affreux où