Page:Zola - Vérité.djvu/735

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pas un méchant homme, ce Marsoullier, simplement vaniteux et poltron, très flatté de devenir ainsi un personnage, avec la sourde crainte des circonstances fâcheuses, si l’affaire tournait mal. Neveu du dévot Philis, il vivait de sa place de bedeau, très mal rétribuée depuis qu’un groupe de plus en plus rare de fidèles entretenait seul l’église Saint-Martin ; et on le disait incroyant, de pensée très libre, mangeant ce pain d’hypocrisie parce qu’il ne savait pas en gagner un autre. Mais les derniers fidèles qui le payaient, les catholiques ulcérés de leur défaite, de la solitude où tombait l’Église, s’emparèrent tout de suite de son histoire, voulurent le faire marcher, pour exploiter ce scandale si opportun, envoyé sûrement par Dieu. Jamais ils n’auraient espéré une telle occasion de reprendre la lutte, il s’agissait d’utiliser ce cadeau de la Providence, dans un suprême effort. Aussi vit-on de nouveau des jupes noires se glisser le long des rues, de vieilles dames colporter des contes extraordinaires. Une personne, restée inconnue, disait avoir rencontré François le soir du crime, avec deux autres hommes masqués, des francs-maçons sûrement. La franc-maçonnerie, pour sa messe noire, comme tout le monde le savait, avait besoin du sang d’une jeune fille, et François venait d’être obligé par le sort de donner le sang de la sienne. Cela n’expliquait-il pas tout, la violence sauvage du sectaire, le meurtre contre nature ? Seulement, les inventeurs de ce conte inepte ne trouvèrent pas un journal pour l’imprimer, et ils durent le répandre eux-mêmes parmi le petit peuple. Le soir même, il avait fait le tour de la ville, on le retrouvait jusqu’à Jonville, au Moreux, dans toutes les communes voisines. Et le mensonge était semé, il n’y avait plus qu’à attendre la moisson empoisonnée de l’ignorance populaire.

Mais, ainsi que Marc l’avait dit, les temps étaient changés. Partout, le même haussement d’épaules accueillait