Page:Zola - Vérité.djvu/96

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simplement en villégiature chez ses parents, pour quelques semaines.

Dès lors, il ne se passa guère de jour sans que Marc rendît visite aux Lehmann. La rue du Trou, qui donnait dans la rue Plaisir, était une des plus sordides du quartier pauvre, et la maison, à un étage, se composait seulement, au rez-de-chaussée, d’une boutique obscure, d’une arrière-boutique plus obscure encore, puis, au-dessus, de trois chambres, où l’on montait par un escalier noir, sans compter en haut le vaste grenier, la seule pièce où descendait parfois un rayon de soleil. L’arrière-boutique, d’une humidité verdâtre de cave, servait à la fois de cuisine et de salle à manger. Rachel reprit sa chambre morne de jeune fille, et le vieux ménage dut se contenter d’une seule pièce, pour abandonner la troisième aux enfants, qui avaient heureusement le grand grenier à eux, une gaie et vaste salle de récréation. Et c’était pour Marc un continuel sujet de surprise qu’une adorable femme comme Rachel, d’une beauté si rare, eût poussé dans un tel cloaque, de parents besogneux, sous l’écrasement d’un long atavisme d’inquiète misère. À cinquante-cinq ans, le père Lehmann était le juif classique, petit et chafouin, au grand nez, aux yeux clignotants, la bouche perdue au fond d’une épaisse barbe grise. Le métier l’avait déjeté, une épaule plus haute que l’autre, ajoutant à son attitude humble comme une continuelle gêne anxieuse. Sa femme, qui tirait l’aiguille avec lui du matin au soir, se perdait dans son ombre, encore plus effacée d’humilité et de sourde angoisse. Tous deux menaient une petite existence difficile, la vie gagnée à grand-peine par un travail acharné, grâce à une clientèle lentement acquise, les rares israélites à leur aise de la contrée, quelques chrétiens désireux de bon marché. L’or de la France dont se gorgeait la juiverie, à en croire les antisémites, ne s’entassait certainement pas là, et une