Page:Zola - Vérité.djvu/99

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en son abandon de femme tendre, foudroyée par le destin. Les Lehmann, eux aussi, ne trouvaient que des soupirs, un désespoir éperdu de pauvres gens, résignés sous le mépris. Ils continuaient de tirer l’aiguille, convaincus également de l’innocence de leur gendre, mais n’osant même la proclamer tout haut devant leur clientèle, dans la terreur d’aggraver son cas et de perdre leur pain. Le pis était que l’effervescence grandissait à Maillebois et qu’une bande de braillards, un soir, était venue briser les vitres de la boutique. Il avait fallu vivement mettre les volets. De petites affiches manuscrites donnaient rendez-vous aux patriotes pour faire flamber la maison. Et, pendant quelques jours, un dimanche surtout, à la sortie d’une solennité religieuse, chez les capucins, la passion antisémite devint telle, que le maire Darras dut demander de la police à Beaumont, jugeant nécessaire de faire garder la rue du Trou, afin d’empêcher quelque saccage.

D’heure en heure, l’affaire déviait, s’empoisonnait, se changeait en un champ de bataille social où les partis allaient s’égorger. Sans doute, des ordres avaient été donnés au juge Daix pour qu’il menât rondement l’instruction. En moins d’un mois, il convoqua, interrogea tous les témoins, Mignot, Mlle  Rouzaire, le père Philibin, le frère Fulgence, des enfants de l’école, des employés de chemin de fer. Le frère Fulgence, avec son exubérance ordinaire, tint à ce que ses trois adjoints, les frères Isidore, Lazarus et Gorgias, fussent aussi interrogés ; et il exigea même qu’on pratiquât une perquisition dans son école, au sujet du modèle d’écriture : naturellement, on ne trouva rien. Mais Daix crut devoir surtout procéder à une minutieuse enquête sur le rôdeur qui aurait pu, la nuit du mercredi au jeudi, s’introduire près de la victime. Dans chacun de ses interrogatoires, Simon n’avait cessé de jeter son cri d’innocence, disant simplement