Pauvre petite !/IV

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Paul Ollendorff (p. 61-66).
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IV



Je n’avais pas fait un pas vers Louise, je n’avais pas essayé de la retenir, et je regardais cette porte qui venait de se fermer sur elle, comme si mes yeux eussent pu la rouvrir et me ramener la « pauvre petite » des jeunes années, paisible et souriante, ne demandant rien au présent, et ne pensant pas qu’il dût y avoir un avenir. Mon cœur ne pouvait la croire coupable ; cette pensée me torturait ; aussi le sommeil ne vint-il m’engourdir que lorsque le jour commença à se glisser entre mes rideaux.

Savoir Louise sur une pente fatale, quel écroulement ! Mais je voulais ignorer encore qui l’y entraînait et surtout à quel degré elle était arrivée. J’en étais là de mes réflexions quand il fallut rentrer dans la vie réelle ; la journée était avancée ; l’heure du dîner approchait, et cet instant de réunion, si gai ordinairement à la campagne, était pour moi, ce jour-là, une heure d’angoisse.

N’allais-je pas rougir en l’embrassant ? N’allais-je pas jeter un regard inquisiteur et ridicule sur chacun de ses amis ?

La position devint facile quand j’entrai dans le salon. Elle était là, dans tout l’éclat de sa beauté sereine, plongée dans une conversation animée avec dom Pedro, plus obséquieux que jamais.

Matt était là aussi, se tenant un peu à l’écart, et je vis parfaitement qu’elle épiait cet aparté, comme un fauve regarde sa proie ! Je saisis sur un coin de sa bouche un soupçon de sourire, qui me blessa profondément… c’était comme si elle eût encore, comme autrefois dans la serre, nommé dom Pedro…

Jusque-là, cet homme me déplaisait ; mais, dès lors, je le pris en horreur, enveloppant, sans m’en rendre compte, Mathilde dans la même aversion.

On ne pardonne guère à ceux qui vous montrent la vérité quand on veut s’obstiner à en détourner les yeux, et puis j’aimais la « pauvre petite ». Jules, assis un peu à l’écart, se dérangea seul à mon entrée, il avait l’air heureux… je ne crois pas pourtant qu’il fût du nombre de ces maris trompés qui ne savent rien ; mais il avait le bon sens de penser que le seul parti à prendre est d’avoir l’air d’ignorer, si l’on veut rendre un retour possible.

. . . . . . . . . . . .

Mon séjour à V… fut court, la présence de dom Pedro me troublait, quoique Louise semblât avoir oublié sa confidence ; et, sous aucun prétexte, je n’y aurais fait la moindre allusion. Le moment du départ venu, elle m’embrassa avec effusion et me glissa dans l’oreille :

— N’est-ce pas que je suis heureuse d’avoir un ami comme dom Pedro ?…

Je n’eus pas le temps de répondre, Jules s’approchait. Je lui tendis la main et sautai dans la voiture… Toute la journée, ce mot « ami » résonna à mon oreille ; j’aurais voulu l’en arracher, et pourtant, malgré moi, il me faisait sourire !