Pierrot Narcisse

La bibliothèque libre.
Librairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 179-255).




DÉDICACE


A Iwan Gilkin.


Voici bien trois ans et demi
Que j’ai rimé « Pierrot Lunaire ».
Je suis encore ton ami :
C’est braiment extraordinaire.

C’est pourquoi, — puisque c’est mon sort,
Captif de la rime et du nombre,
D’avoir Pierrot jusqu’à la mort
A côté de moi, comme une ombre, —


Ces vers frêles, tout blancs de lui,
Ces vers où j’ai baisé de givre,
Loin des bassesses d’aujourd’hui,
Tous les chers yeux qui me font vivre,

Ce poème triste et moqueur,
Qui sautille au rythme fantasque,
Au rythme fantasque d’un cœur
Qui serait un tambour de basque,

Ce doux lys d’hiver, pâle et pur,
O fleur de douleur et de joie !
Ce lys de silence et d’azur,
Ce lys de lune, je l’envoie

D’un seul geste fier et tremblant,
Malgré les ânes qui vont braire,
Vers un Pierrot vêtu de blanc
Qui me ressemble comme un frère !


PIERROT, sans profession.
ARLEQUIN, neveu de Cassandre.
CASSANDRE, oncle d’Arlequin, député de Bergame.
MEZZETIN, malade imaginaire,
PREMIER ABBÉ,
DEUXIÈME ABBÉ,
TROISIÈME ABBÉ,
LE SOMMELIER.
ÉLIANE, nièce de Cassandre.

amis de Pierrot.

PIERROT, en costume moderne. Tenue de soirée, en satin blanc.

Col très haut. Gibus blanc. Paletot à pèlerine blanc. 25 ans. ARLEQUIN. Maillot noir et blanc. 16 ans. CASSANDRE. Habit de sénateur. 60 ans. MEZZETIN. Complet de fourrure. 3o ans. ÉLIANE. Robe couleur feuille morte, cheveux noirs. Les trois abbés en satin violet.


SCÈNE PREMIÈRE

A Bergame Une nuit de carnaval. L’intérieur d’un grand café, fleuri de glaces et de dorures. Groupes de masques çà et là. Musiques lointaines et contradictoires.

PREMIER ABBÉ
Hé ! Garçon ! du café !

DEUXIÈME ABBÉ
De la Chartreuse !

TROISIÈME ABBÉ

A boire !

Pierrot, monte à l’autel, et voici mon ciboire,
Et chante Alléluia, Pierrot, et bénis-nous :
Chante ! Les desservants vont plier les genoux.


DEUXIÈME ABBÉ
Eh bien ! Qu’attends-tu ?

PREMIER ABBÉ

Chante : accomplis ta promesse ! Oh ! fi du prêtre blanc qui ne sait plus sa messe !

TROISIÈME ABBÉ

L’église est belle, vois ! L’encens rêve dans l’air,
Le cher encens du kirsch, du kummel, du bitter !
Je surprends la saveur des prières latines
Dans le cantique en fleur que les bénédictines
Murmurent doucement dans les flacons pieux.

PREMIER ABBÉ
Chante ! Ou bien nous croirons que Pierrot devient vieux !

DEUXIÈME ABBÉ

Chante ! c’est l’heure folle et divine, ô ma pinte !
L’heure qui danse, l’heure amoureuse qui tinte
Comme un grelot d’argent au cou d’un épagneul.
Chante ! cette heure est folle.

PREMIER ABBÉ

Un jour tu seras seul.

TROISIÈME ABBÉ

Chante ! cette heure est frêle et pleine de gavottes.
Regarde ces flacons : on dirait des dévotes !
Une câve à liqueurs, pour nous, c’est un couvent
Très doux et très béat, onctueux et fervent.
La chartreuse vous a des airs de pénitente
Qui veut vous convertir, et dont la chair vous tente.
Elle a le charme obscur d’un amour interdit,
Sucre et velours, impie, et quelque peu maudit.
On boit ! c’est comme si l’on baisait une abbesse…
On éprouve un besoin de courir à confesse !
Et de se faire absoudre, et de recommencer !

DEUXIÈME ABBÉ
Il ne nous entend pas ; à quoi peut-il penser ?

TROISIÈME ABBÉ

Fais un signe au jubé ! Des musiques dormantes S’évaderont pour nous des cumins et des menthes, Et le riche plain-chant mystique des liqueurs Comme un orgue puissant réchauffera nos cœurs !

PREMIER ABBÉ
Je crois qu’on l’a bouché !

DEUXIÈME ABBÉ

Pierrot mélancolique !

TROISIÈME ABBÉ Pierrot devient athée !

PREMIER ABBÉ

Il n’est plus catholique !

Un soir de carnaval !

DEUXIÈME ABBÉ

Mécréant ! Apostat ! Crime contre la soif ! Crime contre l’Etat !

TROISIÈME ABBÉ Horreur ! Demeurer sourd aux conseils de l’absinthe !

PREMIER ABBÉ

A la diète, Luther !

DEUXIÈME ABBÉ

Va-t’en ! Père Hyacinthe ! A la place d’un cygne il nous reste un oison. Défroqué de la joie, à la porte !

TROISIÈME ABBÉ

En prison !

PREMIER ABBÉ

Allons ! il en est temps : pour juger ce fossile,
Nous nous réunissons tous les trois en concile,
Et nous l’abandonnons au pouvoir séculier !
Hé ! Monsieur le bourreau !

DEUXIÈME ABBÉ

Monsieur le sommelier !

LE SOMMELIER

Bon !

TROISIÈME ABBÉ

Vous allez, d’après l’us ecclésiastique,’
Mettre à la question cet infâme hérétique.
Veux-tu boire ? Une fois !

PREMIER ABBÉ (saisistant Pierrot)
Veux-tu boire ?

TROISIÈME ABBÉ (même jeu)

Deux fois !

DEUXIÈME ABBÉ

Veux-tu boire ?

TROISIÈME ABBÉ
Trois fois !

PIERROT (se dégageant)

Eh ! Laissez-moi ! Je bois Depuis des heures, des heures, je bois à pleine Bouche, depuis des jours, depuis une semaine, Je ne sais, mais je bois, mais je suis ivre-mort !

PREMIER ABBÉ
Mais tu n’as rien bu, rien !

DEUXIÈME ABBÉ

Ivre ! c’est un peu fort !

PIERROT

Vous ne le voyez pas ? Je dis que je suis ivre !

TROISIÈME ABBÉ
Il est ivre ? Et de quoi ?

DEUXIÈME ABBÉ
De quoi ?

PIERROT

De quoi ? Du givre, De cet hiver soudain, si lucide et si clair, Et de la transparence adorable de l’air !

DEUXIÈME ABBÉ

Il est fol !

TROISIÈME ABBÉ

A lier !

PIERROT

Je suis ivre, vous dis-je ! Ivre du mâle hiver, du grésil, du vertige, De toutes ces blancheurs qui songent sous l’azur. Le ciel chaste est plus grand, plus limpide, plus pur ; Le seul bruit de mon pas sonore sur l’asphalte Me saoule éperdument de ma force et m’exalte. O ces âcres baisers du vent dans mes cheveux ! Mon sang bout. Je suis beau. Je sais. Je puis. Je veux. D’énergiques parfums dilatent ma narine ; Et portant haut la tête, et bombant la poitrine,

Le cerveau pavoisé de glorieux projets,
Toisant tous les passants comme un roi ses sujets,
Et cinglant du manteau cette race servile,
Impétueusement je traverse la ville
Et la campagne, en fête, ayant je ne sais quoi
De viril et de fier soufflant derrière moi !

PREMIER ABBÉ

Si tu veux de l’hiver, Pierrot, je te conseille
Le Champagne frappé : c’est l’hiver en bouteille !
C’est le seul qui me rie !…

PIERROT

Oh ! la neige me rit !
Elle a je ne sais quel mystérieux esprit
Qui semble un paradoxe exquis de la nature.
Elle est la fantaisie, elle est la fioriture
De ce monde banal, uniforme et malsain :
La neige me ressemble, et je suis son cousin !

DEUXIÈME ABBÉ

La neige est ta cousine ? Eh ! c’est un fier lignage ! Nous ne te savions pas ce nouveau cousinage !

TROISIÈME ABBÉ

Elle est blanche ; il est gris : le cousinage est clair ! Dis « ma tante » à la lune !

PREMIER ABBÉ

Et « mon oncle » à l’hiver !

TROISIÈME ABBÉ

Là-bas, au pôle Nord, n’as-tu point de petites
Sœurs ?

PREMIER ABBÉ
Ni de belle-mère avec des stalactites ?

DEUXIÈME ABBÉ
Pour boire à leur santé débouchons ces flacons !

PIERROT

Vos concetti sont lourds à côté des flocons
De la neige qui tourne et qui valse et qui chante !
Tombe, hermine des cieux, sur la cité méchante,
Tombe comme un pardon sur ces êtres épais !
Couvre-les de candeur, de silence et de paix !
Et quand tous dormiront de leur sommeil stupide,
Le page Fleur-d’Hiver prendra son vol limpide,
Loin de leur rêve impur, vers la pâle forêt
Où les lys de l’azur éternel, en secret,
Pleureront doucement, un à un, sur sa tête.
Et pour le consoler de votre ivresse bête,

A travers les rameaux des vieux ormes frileux,
La lune penchera ses rayons fabuleux,
Et mon cœur chantera dans ces flûtes d’ivoire !

PREMIER ABBÉ

Une dernière fois, mon ami, veux-tu boire ?
La moutarde finit par me monter au nez !
Veux-tu boire, à la fin, ou je…

PIERROT

Vous y tenez ?
Eh bien, oui ! je boirai ! Holà ! le plus grand verre !
Clarence, ton tonneau ! Ta botte, Bassompierre !
Un verre musical et profond comme un puits !

(Il se precipite au dehors et revient avec sa coupe pleine de neige.)

PREMIER ABBÉ Hé ! garçon, du Pomard !

DEUXIÈME ABBÉ

Holà ! garçon, du Nuits !

PIERROT

Non ! mais un vin plus fort que toutes vos tisanes,
Aigu, brillant et froid comme les pertuisanes,

Un vin couleur du temps, un vin couleur de l’air,
Et ce vin, c’est la neige, et je bois à l’hiver !

(Pendant ce toast, entrent Arlequin et Mezzetin.)

ARLEQUIN

Le toast est, sur ma foi, le plus galant du monde,
Mais il n’est pas certain que l’hiver te réponde.
Moi, je bois au printemps, car je suis amoureux !

PIERROT (étonné)

Amoureux !

LES ABBÉS
Il est fou !

MEZZETIN (avec intérêt)

Mais non : il est fiévreux,

PREMIER ABBÉ

Savez-vous d’où lui vient ce bel enthousiasme ?
De la neige !

ARLEQUIN
Il a bu !

MEZZETIN

Qui sait ? C’est un miasme,
C’est une maladie inédite, un nouveau
Trouble de l’estomac, du foie ou du cerveau.
Est-ce contagieux ?

PIERROT
Pas du tout : prends un siège.

MEZZETIN (pensif)
Si c’était un remède ?… Eh ! garçon, de la neige !

PIERROT
Ce n’est pas un remède !…

MEZZETIN [se ravisant)

Ah !… garçon, du kummel !
C’est pour me réchauffer, car je souffre du gel.
Comme remède, hélas ! ce kummel est bien fade !

PIERROT

Hélas ! non, Mezzetin : je ne suis point malade.
ARLEQUIN

Ni malade ni fou, mes amis ! — Amoureux !

Je m’y connais ; c’est comme moi : je suis heureux.

Je rougis, je frémis, je sens mon cœur éclore.
L’amour se lève en moi, rose comme une aurore,
Et je suis fou des fleurs qui fleuriront demain.
J’aime. Je vais aimer. On dirait qu’une main
Mystérieuse et frêle et pleine de paresse
S’alanguit sur mon front pensif et le caresse,
Et c’est une douceur dont j’ai peur de mourir.

MEZZETIN (observant Arlequin)

De quoi diable Arlequin peut-il bien se nourrir ?
Ses yeux sont frétillants et ses oreilles roses.

PREMIER ABBÉ

Pierrot boit de la neige, et lui broute des roses !
Ce sont là deux façons neuves de se nourrir !

ARLEQUIN

Écoute-moi, Pierrot ! J’aime, je vais souffrir !

Et mon âme se fond dans cette rêverie.

Elle est pure, elle est fraîche, et c’est une prairie

Enfantine, couleur de songe et de matin,

Une prairie humide, où l’haleine du thym

Et le profond parfum des herbes écrasées

Embaument le riant exil de mes pensées.

Dis-moi, Pierrot, mon cher Pierrot, dis-moi pourquoi

Quelqu’un est là, tout près de moi, derrière moi,

Qui me regarde et dont je sens les yeux nocturnes
M’ensorceler la chair de baisers taciturnes,
Et que je ne vois pas, et dont le cœur aimant
Palpite sur mon cœur, et vient obscurément,
Comme un écho lointain de la houle marine,
S’apaiser et s’éteindre, ici, dans ma poitrine !
— Ton cœur, n’est-il pas vrai, ressent le même émoi ? Tu ne dis rien… Pierrot, je t’ai blessé…

PIERROT (à Arlequin)

Tais-toi !

(A part) Cet Arlequin me trouble. Amoureux ! Je l’envie,
Et sa douceur m’irrite. On dirait que la Vie
Se sert de cet enfant cruel pour m’assiéger.

(A Arlequin)

Taisez-vous, Arlequin ! Pierrot, c’est l’étranger,
C’est le passant qu’on ne connaît jamais, l’avare
De son cœur orageux et fou, c’est le barbare
Qui pleure de ce qui vous fait rire, et qui rit
De tout ce qui vous fait pleurer, c’est un esprit,
Une lumière espiègle et pensive qui vibre
Un peu plus haut que votre amour ! Pierrot est libre !
— Et ne me parlez plus, car vous m’offenseriez !

ARLEQUIN

Comme vous aimeriez, Pierrot, si vous aimiez !

(Entrent Cassandre et Eliane.)

CASSANDRE

Tout beau ! Que disait-on, et pourquoi ce tapage ?
Vous parliez politique ?

ARLEQUIN
Oh ! non !

ELIANE (à Arlequin)

Bonsoir, mon page ! Bonsoir, Monsieur Pierrot !… Vous ne dites plus rien Maintenant ; c’est très mal. Messieurs, savez-vous bien Que c’est inconvenant, et que je pourrais croire Que vous parliez de moi ?

PREMIER ABBÉ

C’est une sotte histoire, Madame. Mezzetin est malade et se plaint De battements de cœur quand son broc n’est pas plein, Et puis ne souffle mot jusqu’à ce qu’il soit vide. Arlequin, votre page, est devenu candide Et chante des sonnets dignes d’un écolier Amoureux de sa bonne ; et quant au chevalier De la blanche figure, il mange de la neige, Boit à la santé de l’hiver, du gel, que sais-je ! Ils sont fous, archifous, refous et contrefous ! !

CASSANDRE

Eh quoi ? Vous n’avez pas de passe-temps plus doux ?

DEUXIÈME ABBÉ

Ils sont là tous les trois, mornes, défaits, lugubres, Comme de lourds pédants et des pions insalubres ! Pierrot, croque-mort blanc, essence de vieillard, On va te saluer ainsi qu’un corbillard !

TROISIÈME ABBÉ

Enterreur de la joie, échanson des ténèbres,
Tu feras ton chemin dans les pompes funèbres !

PREMIER ABBÉ

Tu ressembles autant à ton blanc devancier
Que le fils d’une reine au fils d’un épicier !

DEUXIÈME ABBÉ (à Arlequin)

Pareils à des serpents, souples et mirifiques,
Les premiers Arlequins étaient moins pacifiques.
Leur perfidie exquise ondulait et sifflait,
Et le spectre solaire en fleur les habillait.
Toi, tu n’es pas leur fils : regarde ton costume !
Car tu n’es même pas un Arlequin posthume !
Non, tu n’es pas le fils des fils de l’arc-en-ciel :
Ton habit noir et blanc a l’air officiel,

Et je songe, en pleurant sur ces couleurs austères,
A quelque vieux damier souillé par des notaires !

(Pierrot se voit dans une glace et jette un cri.)
ARLEQUIN

Pierrot, qu’as-tu ?

ELIANE
Pierrot, vous souffrez…

MEZZETIN

Qu’est-ce ?

PIERROT (étendant la main vers la glacé)

Là !
Là !… Quelqu’un…

(Il s’évanouit.)

MEZZETIN
Il est mort !…

ELIANE (se penchant sur Pierrot.)

O la bizarre, ô la

Douce figure pâle !…

ARLEQUIN
Il va mieux.

CASSANDRE

Une crise

Légère…

EL1ANE

Il est sauvé.

ARLEQUIN
C’est fini.

PREMIER ABBÉ

Ça dégrise

Désagréablement.

CASSANDRE

Messieurs, ma nièce et moi, Pour vous dédommager de cet instant d’émoi, Nous vous invitons tous à venir, vers onze heures, Souper demain chez nous…

PREMIER ABBÉ

Il faudra que tu meures Encor plus d’une fois, Mezzetin !…

CASSANDRE

Est-ce fait ?

PREMIER ABBÉ

Accepté !

DEUXIÈME ABBÉ
De grand cœur.

CASSANDRE

On sera satisfait.

ELIANE Vous viendrez, Mezzetin ?

MEZZETIN

C’est un honneur extrême.

ELIANE

Amenez donc Pierrot.(.4 ^j-feî«»».)Etsitu veuxqu’ont’aime, Amène ton Pierrot… A demain.

CASSANDRE

A demain !


SCÈNE DEUXIÈME

L’avenue qui mène à la villa d’Eliane. Paysage de neige, et de grands arbres givrés. Bourrasque et clair d’étoiles.

PIERROT

Suis-je encor loin ? Oh ! oui ! Tant mieux ! Si ce chemin
Où je marche voulait marcher en sens inverse,
Je marcherais ainsi, toujours… Il neige à verse,
Le ciel est aussi noir qu’un nègre, et le" vent fou
M’échevelle et me plie en deux, et dans le cou
M’applique éperdument ses froides lèvres blanches !
Lourdement je bats l’air de l’aile
Et j’ai peur d’arriver où l’on m’attend.

(Il fait quelques pas.)
Mon sort

Se jouera cette nuit, et je me sens moins fort

Qu’avant ce maudit soir de carnaval !… Je tremble.
Quelque danger lointain me menace…

(Ecoutant.)

… Il me semble

Qu’on me parle tout bas…

« Pierrot, dis-moi pourquoi Quelqu’un est là, tout près de moi, derrière moi, Qui me regarde et dont je sens les yeux nocturnes M’ensorceler la chair de baisers taciturnes, Et qui… »

Je ne sais plus… Arlequin m’a fait mal. J’ai peur de cet enfant : il me sera fatal… … Je sens des roses sous la neige…

«… Une paresse S’alanguit sur mon front pensif et le caresse !

— Et ne me parlez plus, car vous m’offenseriez !

— Comme vous aimeriez, Pierrot, si vous aimiez ! »
… O ce bel Arlequin, je crois que je l’envie !
Arlequin cependant, ce n’est rien que la vie,

Que la jeunesse… hélas ! ce n’est rien que cela !
Rien que cela !…

ARLEQUIN (de loin)
Tra la ! La hi la ! La ho la !

PIERROT

Faut-il rester Pierrot, ou bien cesser de l’être ?

Pourquoi vais-je là-bas ? Je ne suis plus mon maître,
Et j’obéis. A qui ? Je ne sais.

ARLEQUIN (de ioin)
La ho la !

PIERROT

C’est la jeunesse. Rien que cela, que cela !
Le rêve le plus fier vaut-il que l’on dédaigne
La naïve douleur d’un cœur jeune et qui saigne ?
Vivre et rêver ! Rêver ou vivre ? Il faut choisir.

(Il sonne à la porte d’Eliane.)


SCÈNE TROISIÈME

Le boudoir d’Eliane, couleur lilasmourant. Une psyché. Des fleurs. Une haleine d’ambre traîne dans les rideaux. Arlequin danse.

ARLEQUIN La hi la ! La ho la ! — Pierrot !

PIERROT

Vous ?

ARLEQUIN

Quel plaisir
De te revoir avant les autres !… Ma cousine
Va rentrer : elle est là, dans la villa voisine,

Et m’a prié de te distraire en attendant…
Mon oncle est en affaire avec son intendant :
Il déguste les vins destinés à la fête,
Et ses préparatifs lui font tourner la tête !

PIERROT (contraint
Je ne vous retiens pas, Arlequin.

ARLEQUIN

Tu m’en veux ?

Je t’ai froissé…

PIERROT
Du tout… je suis un peu nerveux…

ARLEQUIN

Bien vrai ?

PIERROT

Mais oui !

ARLEQUIN

Tant mieux ! Tourne, que je te voie ! Encore ! Ton habit est beau… C’est de la soie… Cassandre ne veut pas que je m’habille ainsi. Il est laid, n’est-ce pas, mon oncle ? Il est aussi

Grognon et déplaisant que mon maître d’école…
C’est mal ce que j’ai dit ?

PIERROT

Très mal, ô tête folle ! Car tu pourrais très bien lui ressembler plus tard !

ARLEQUIN

Moi !

PIERROT

Toi !

ARLEQUIN

Moi ! Ressembler à Cassandre, un vieillard !
PIERROT

Cette flamme : Arlequin ! Cassandre : cette cendre !
Le plus bel Arlequin fait le plus froid Cassandre.
Beau page imberbe et blond, charmant petit coquin,
Vous aurez quelque jour aussi votre Arlequin,
Auquel vous prêcherez l’abstinence et le jeûne !
Il aura ce grand tort à vos yeux d’être jeune,
Et vous aurez aux siens ce grand tort d’être vieux !

ARLEQUIN

Vieillir ? Mourir un peu tous les jours ? J’aime mieux Vieillir en une fois d’un coup de carabine !

PIERROT

Bravo ! Bravissimo ! Bayard ! Mais Colombine ?
Mais Eliane ? Mais…

ARLEQUIN

Mais elle m’aimera

Avant !

PIERROT
Peste ! Et sinon ?

ARLEQUIN

Sinon ? Elle attendra

Sous l’orme !

PIERROT
Sous le saule !

ARLEQUIN

Elle vient ! Je m’esquive !..

Ta main ?… A la bonne heure !… Et vive Pierrot ! Vive Arlequin ! Vive nous ! Vive tout le monde ! (// sort.)

(Entre Eliane ; elle porte au poing une perruche attachée par une chaînette d’argent.)

PIERROT (a Eliane)

Il
Saute comme un pantin qu’on tire par un fil.
A ses talons légers je crois qu’il a des ailes.
Et c’est un tourbillon d’oiseaux joyeux et frêles
Qui scintille et qui neige et qui fuse en jasant.
Il ne courberait pas un brin d’herbe en dansant.
Votre cousin devient un jeune homme, Madame.
Il ne s’en doute pas, mais je crois, sur mon âme,
Que vos jolis yeux pers l’ont métamorphosé.

ELIANE

Arlequin ? cet enfant !… Il serait bien osé
Et bien impertinent, n’est-ce pas ?

PIERROT

Mais, Madame,
S’il est impertinent, ce sentiment-là, dame !
Tous mes concitoyens sont des impertinents.

ELIANE

Vous vous trompez : tous ne sont pas inconvenants
A ce degré…

PIERROT
Vraiment ?

ELIANE

La surprise est flatteuse ! Je ne vous savais pas l’humeur complimenteuse A ce point : Cher Monsieur, vous êtes fort galant ; Et vous ne sauriez pas vous montrer insolent De cette façon, vous !

PIERROT

Arlequin vous adore. Il vous aime, Madame, et n’en sait rien encore…

ELIANE

Vous plairait-il, Monsieur, d’avancer ce fauteuil ?

PIERROT (obeissant)

Il vous parle : sa voix chante comme un bouvreuil Tout au fond de son âme, et lorsqu’il vous regarde, Il a les yeux fleuris…

ELIANE

Monsieur, prenez donc garde. Il vient par cette porte un affreux vent coulis. Fermez à double tour…

PIERROT (même feu)

Il vous aime, je lis

Si bien dans sa pensée…

ELIANE (nerveuse)

Oh ! la plaisante histoire Que vous me chantez là, Monsieur. Je pourrais croire Que vous venez ici me demander ma main…

PIERROT (étonne")

Moi, Madame ?

ELIANE

Attendez !… au nom de ce gamin. Tâchez donc d’écouter avec intelligence !

PIERROT

Mais, Madame, je vous…

ELIANE (piquée)

Vous êtes d’une agence ? Vous plaidez avec feu pour vos clients, mais quand C’est pour vous, cher Monsieur, êtes-vous éloquent Aussi ? Vous jouez bien les menuets des autres, Trop bien ; mais à présent jouez-moi donc les vôtres ; Votre musique, à vous, doit avoir des appas… J’écoute…

PIERROT

Excusez-moi : je ne compose pas !

ELI ANE (minaudant)

Que regardez-vous là, Monsieur ? est-ce ma ruche ? Elle est du bon faiseur… Ma guimpe ?

PIERROT

La perruche !

ELIANE Comment la trouvez-vous ?

PIERROT

Adorable ! Or et feu, Un vrai rubis qui vole… Oh ! c’est pour elle un jeu Charmant que d’être ainsi sur votre doigt perchée…

ELIANE (riant faux) Vous enviez son sort ?

PIERROT

Non ! elle est attachée !

ELIANE (s’animant peu à peu)

A merveille ! Monsieur Pierrot ! le tour est fin,
Délicat, transparent, et je comprends enfin
Le rébus !… Vous aimez les perchoirs sans chaînettes !
Je ne prise pas fort, pour moi, vos devinettes :
Qui vous donne le droit de me parler ainsi ?
Le perchoir ne veut pas d’un perroquet transi.
Dispensez-moi, Monsieur, d’écouter ces sornettes !

PIERROT (avec un salut ironique)
Vous m’offrez le perchoir, mais avec les chaînettes !

ELIANE

Mais vous êtes un fat, Monsieur, un malappris !
Qui pensiez-vous entendre et qu’aviez-vous compris ?
Je vous connais très peu. Mon oncle vous invite.
Je vous reçois. On cause, on plaisante, et puis, vite,
Sur un mot, sur un seul, Monsieur Pierrot sourit
Avantageusement, et se met dans l’esprit
Qu’on l’aime, et puis ce soir il ira, par la ville,
Dans l’âme des badauds mirer son âme vile,
Et leur dire : « Eliane ? Elle m’aime, mais moi,
Moi, je ne l’aime pas ! »

PIERROT (regardant longuement Eliane)

Non certes ! Sur ma foi,

Cette aventure-là doit demeurer secrète.
Et l’on sera discret, si vous êtes discrète !

ELIANE

Discret ! Discrète ! Ah ! c’est ineffable ! Je vous
Sais gré, mon cher Monsieur, de vous montrer si doux !
Votre impromptu n’est point d’un comique ordinaire.
Vous pourriez le nommer : « L’Amant Imaginaire »
Et nous en amuser à souper aujourd’hui !

PIERROT

Vous vous contenterez de « L’Amant malgré lui ! »

ELIANE (toisant Pierrot)
Alors vous êtes sûr, Monsieur, que je vous aime ?

PIERROT (simplement)

Mais oui !

ELIANE
Qui vous l’a dit ?

PIERROT

Hermione elle-même ! Du Racine tout pur ! C’est un fort bon auteur !

ELIANE (s’oubliant)

Du Racine arrangé par un contrefacteur !
Il se pourrait, Monsieur qu’on sifflât votre pièce.
Cassandre est un puriste ; il adore sa nièce ;
Convenez qu’il aurait le droit, si je voulais,
De vous faire chasser d’ici par ses valets,
Comme un lâche insulteur de femmes que vous êtes,
A grands coups de balai sur votre échine !

PIERROT

Faites.

Vous m’aimez, Eliane !… Eh bien ? Et vos valets ? Je voudrais bien les voir, ainsi que vos balais ! Vous ne balayez pas ?

ELIANE

(Courant vers la forte, puis soudain dans les bras de Pierrot.)

Je t’aime ! J’étais folle !…
Pardonne-moi : j’ai tant souffert ! Je suis frivole,
Coquette ; je n’avais jamais aimé, j’avais
L’âme sèche, l’esprit vide, le cœur mauvais.
J’étais la Célimène inconstante et légère ;
Au véritable amour je restais étrangère,
Et je riais dSs pleurs que l’on versait pour moi ;
Mais maintenant je suis une autre femme ; toi,
Tu comprends cela, tu seras secourable
A la femme vaincue, à l’être misérable

En qui tu fais éclore un lys surnaturel,
Un beau lys aussi blanc que la neige et le gel !

PIERROT

Je n’aimerai qu’un lys du jardin de la Lune,
Et qui se fanerait sous vos doigts.

ELIANE

Je suis une

Malheureuse qui t’aime, oh ! qui t’aime ! Depuis
Ce jour, ce jour cruel où je t’ai vu, je suis
Une autre femme ! Je me hais, je me renie !
Pitié ! Pitié de moi ! Toute mon ironie
Est morte ! C’est par toi que j’appris la douceur !
Je veux être à la fois ta maîtresse et ta sœur.
Pitié ! Ne marche pas sur mon cœur ! c’est impie
D’écraser celle qui s’abdique, qui s’expie
Elle-même, et qui couche à tes pieds son orgueil.
Tu ne peux plus sortir de ma pensée en deuil,
Tu me hantes, tu me possèdes, je n’existe
Qu’en toi, par toi, pour toi. Je t’ai vu pâle, triste,
Souffrant du mal obscur de n’être pas aimé !…

(La perruche s’envole.)

PIERROT (secouant la tête) Eliane lit mal dans un livre fermé.

ELIANE (hors d’elle)

Frappe-moi, meurtris-moi, mais parle. Ton silence
Me tue. Oh ! par pitié, vois ce cœur qui s’élance
Frileusement vers toi comme un oiseau mouillé.
Il saigne, si la vie amère l’a souillé,
Il saigne, mais ce sang lave comme un baptême.
Sois bon, ne raille pas, aime celle qui t’aime !
Calme-la, guéris-la d’un baiser tiède et pur !
Réapprends-lui, Pierrot, la lumière et l’azur !
Je t’aime… Écoute-moi !. . Je connais ta souffrance,
Et je la guérirai ! Laisse cette espérance
Voltiger dans mon cœur comme un parfum subtil !
N’est-il pas vrai que tu souffrais hier, n’est-il
Pas vrai ! Rappelle-toi, Pierrot, ce soir de fête…

PIERROT (à part)

Je me rappelle tout !… O cette étrange tête
Fraternelle et si douce, et qui me ressemblait !
Cette tête pensive et pâle qui voulait
Partager ma chimière et ma mélancolie !
La reverrais-je encore si j’aimais l’autre ?.. .(A EUane.)0\ibli&\
Oublie, ô ma pauvre âme en émoi ! Cet amour
Qui te métamorphose et t’éclaire, le jour
Où j’en aurais pitié, deviendrait de la haine !
Écoute… C’est la fin de toute ivresse humaine,
Et ce serait la fin de la nôtre, vois-tu !
Si je refuse, va ! ce n’est point par vertu,

Ni par orgueil, ni par vanité, ni par feinte,
Non…

ELIANE

Mais alors, pourquoi ? Dis-moi pourquoi ?
PIERROT

Par crainte

ELIANE

Par crainte ?

PIERROT

Je me sens, moi le fou, le railleur, Lâche devant l’épreuve et devant la douleur. Tu connais peu la femme, ô femme trois fois femme ! Mais nous serions demain la fable de Bergame ! Crois-moi ! Ce bel amour vient d’une vanité De femme : je n’ai pas, comme d’autres, été, Lamentable et piteux, languir sous ta fenêtre. Eliane vaincue a rencontré son maître. Ton âme de coquette a bondi sous l’affront, Et c’est par vanité que tu courbes le front ! Vanité ! Vanité ! Voilà toute l’histoire. Tu me ferais payer bien cher cette victoire, Et tu te vengerais, chaque jour, en détail. J’ai peur du vent qui souffle à travers l’éventail,

C’est le même qui souffle à travers la montagne.
Signé : Gastibelza.

ELIANE (comme au sortir d’un rêve et se calmant feu à peu)
Pauvre amour en Espagne !

PIERROT

Tu n’y penseras plus demain, à ton réveil.

ELIANE

Hélas !

PIERROT

Comme la neige aux baisers du soleil,
Tu te réveilleras froide et rose, étonnée,
Disant : « J’avais rêvé que je m’étais donnée ! »

ELIANE

Ainsi, je t’oublierai ?

PIERROT

Sans peine, et tu riras De toi-même et de moi quand tu me reverras.

ELIANE (pensive)

Peut-être…

PIERROT

Ton amour était une amourette.
La femme de Pierrot doit être une Pierrette.
Es-tu Pierrette ?

ELIANE

Hélas !

PIERROT

Tu n’es pas de mon sang,

Eliane !…

ELIANE

Et pourtant, tu tiens le même rang Que nous, et tes aïeux aimèrent mes aïeules !

PIERROT

Mais les uns sont morts seuls, les autres mortes seules,
Séparés par le sang dont ils étaient sortis,
Punis de s’être aimés et de s’être assortis !

ELIANE (étonnée)

Je ne te comprends plus, Pierrot : tu m’embarrasses ! Es-tu bien sûr de vivre ?

PIERROT (grave)

Ecoute : il est deux races —■> Vieilles comme l’azur et comme la clarté : L’une éprise de force et de réalité, Belle, luxuriante, héroïque, ravie Par la banalité splendide de la vie. Et cette race-là ç’est celle des heureux ! L’autre est la race des rêveurs, des songe-creux, Et de ceux qui, nés sous le signe de Saturne, Ont un lever d’étoile en leur cœur taciturne ! C’est la race farouche et douce des railleurs Qui traînent par le monde un désir d’être ailleurs, Et que tue à jamais la chimérique envie De vivre à pleine bouche et d’observer la vie. C’est la race de ceux dont les rêves blasés Se meurent du regret d’être réalisés ! L’une est pleine de joie, et l’autre de rancune, L’une vient du soleil, et l’autre de la lune ; Et l’on fait mieux d’unir l’antilope au requin Que les fils de Pierrot aux filles d’Arlequin !

ELIANE (souriant)

La chose est vraisemblable, hélas ! mais peu galante,
Et votre métaphore est par trop violente !
Oh ! vous auriez bien pu, sans vous en trouver mal,
Choisir, pour être juste, un plus bel animal !
Requin me paraît dur !… (Elle rit.)

PIERROT (vivement)

Ah ! cet éclat de rire Sonore, frémissant, et qui s’enfuit à tire D’ailes, comme un oiseau délivré vers le jour, Ce beau rire, Eliane, emporte votre amour !

ELI ANE (riant plus fort)

Cette comparaison semble moins familière. Requin m’avait déplu : j’aime assez la volière. C’est d’un style plus noble, et vous avez du tact.

PIERROT

Volière, plus j’y pense, est bien le terme exact !
Vous ne tarderez pas à confirmer l’image :
Car votre âme déjà s’emplit d’un doux ramage ;
Une colombe en rêve y murmure : « Arlequin 1 »

ELIANE

Arlequin, après vous ? Non ! Ce serait mesquin .. PIERROT

Ce sera le plus fol oiseau de la volière !

ELIANE Arlequin ?… Un enfant…

PIERROT

Et vous en serez fière Plus tard, après bien des étés et des printemps, Quand vous aurez trois fois ou quatre fois vingt ans !

ELIANE

Il se peut faire… Dieu ! j’ai perdu ma perruche !
Ma perruche !

PIERROT (cherchant)

Là ?

ELIANE
Non !

PIERROT

Je la vois : elle juche Là-haut… Chut… ! Je la tiens !

(Rattachant [oiseau au poing (TEliane.)

— Désormais, parlez bas, Quand vous direz des mots qu’elle n’approuve pas !

ARLEQUIN (du dehors)

Eliane !

ELIANE

On attend..

PIERROT (avec une politesse détachée)

Prenez mon bras, Madame.

ELIANE (même jeu)

Avec plaisir, Monsieur.

ARLEQUIN (entrant)

Venez ! On vous réclame Depuis tantôt… mon oncle et nos amis sont là…

PIERROT

Quoi ! tu ne chantes plus la hi la, la ho la ?

ARLEQUIN (faisant la moue) On chante quand on veut…

ELIANE

Quelle métamorphose

Soudaine !

PIERROT

Eh bien ! qu’as-tu ? Te voilà tout morose…
ARLEQUIN (contraint)

Mais non…

PIERROT
Je t’ai-blessé ?

ARLEQUIN

Je ne vous retiens pas,

Pierrot…

(Pierrot et Eliane sortent.) Il m’a joué !… C’est infâme ! c’est bas ! Pierrot que j’aimais tant !… O la figure blanche ! Tu me le payeras cher, et j’aurai ma revanche !

(// se regarde dans la glace.) A toi, Pierrot, deux mots ! — Parle ! — Je connais deux Amoureux d’Eliane, et sur l’honneur, l’un d’eux Est de trop !… Bien !… Très bien !… C’est superbe !

ELIANE (entrant et se mirant)

Une mouche

Au coin de l’œil… une autre ici, près de la bouche…
Oh ! comme je suis rose !…

ARLEQUIN
Eliane ?

ELIANE
Arlequin !

ARLEQUIN
Que fais-tu là, méchante ?…

ELIANE

Et toi, petit coquin ?

ARLEQUIN (tragique)

Je me vengeais !

ELIANE
De qui ?

ARLEQUIN
De Pierrot !

ELIANE

Ah ! Devine

Ce qu’il me demandait ?… Ma main !

ARLEQUIN (éclatant)

Bonté divine !

Mais je le tuerai, mais…

ELIANE
Non…

ARLEQUIN

Mais…
ELIANE (très douctment)

J’ai refusé,

Moi !…

ARLEQUIN

Vrai !

ELIANE
J’en aime un autre…
ARLEQUIN (menaçant)

Oh !

ELIANE (soulignant Us mots)

Qui n’a pas osé

Me le dire…

ARLEQUIN (fébrile)
Son nom ?

ELIANE

Tu le sauras… Adieu !

! (Elle le baise au front.)

ARLEQUIN

Oh ! Je suis fou !… Mon front !… A l’incendie ! Au feu !


SCÈNE QUATRIÈME

La salle à manger, sombre, avec toute la lumière sur la joie du dessert. En face de la grande fenêtre qui regarde le parc, une glace de Venise.

PREMIER ABBÉ (à Elianc)
Mille grâces !
Vraiment, cette fête est charmante !

ELIANE

Un soupçon de kummel ? Ou bien un doigt de menthe ? PREMIER ABBÉ

Un doigt…

PIERROT (avec une galanterie dédaigneuse)

Un doigt, l’abbé, ce n’est guère, on le voit En regardant les doigts de Madame… Un seul doigt ! Allez-y de la main tout entière !…

DEUXIÈME ABBÉ

Adorable !

Le voilà bien galant !…

ELI ANE (piquée)

Il l’est toujours… à table !

PREMIER ABBÉ

Touché !

PIERROT
C’est là surtout qu’il faut l’être…

ELIANE

A regret !

PIERROT

A moins d’être certain d’avoir le vin discret !

ELIANE

Je vous attendais là : cette heure est opportune !
Vous allez raconter quelque bonne fortune ?

Sept hommes, au dessert, cela nous promet bien
Deux cents confessions !…

PIERROT

Sept hommes, oui ; mais rien Qu’une femme, et ce nombre en devient dérisoire !

ELIANE

Vous avez de la femme une idée un peu noire !

PIERROT

Noire ? Oh ! non ! je le jure ! Et cependant le noir
Vous va si bien !

ELIANE

Et mon idée, à moi, ce soir, La croyez-vous très… blanche ?

PIERROT

Oh ! non ! mais, en revanche, Elle pourrait bien être à la fois noire et blanche Comme le bel habit de votre beau cousin… Ou verte, s’il vous plaît, la couleur du raisin Trop haut !

PREMIER ABBÉ

Assez, mon cher ! à propos de ce chiffre
Et de cette couleur vous nous joueriez du fifre ?
Assez ! Et vous, Monsieur Cassandre, dites-nous
Une parole sage, et qui nous rende fous.
Ou bien toi, Mezzetin, chante-nous ta ballade
En l’honneur d’Hippocrate !…

MEZZETIN

Oh ! fi ! cette salade
M’absorbe… et je l’absorbe, et cela me plaît mieux
Que de chanter des vers en roulant de grands yeux,
Et de m’écerveler à raffiner des pointes !
O salade ! On devrait te manger, les mains jointes,
Si l’on avait deux autres mains pour te manger !

PREMIER ABBÉ

Mange donc, Mezzetin… (A part.) Je saurai me venger !
(A Mezzetin) Comment te portes-tu depuis tantôt,chermaître<’

MEZZETIN

Pas trop mal : un moment fugitif de bien-être,
Trop fugitif, hélas !

PREMIER ABBÉ

Et cependant tes yeux Sont vifs, ton teint est rose…

MEZZETIN (s’attristant peu à feu)

Oh ! je ne vais pas mieux

Pourtant…

PREMIER ABBÉ

Regardez-le, mes amis, ses oreilles A travers ses cheveux semblent des fleurs vermeilles !

MEZZETIN Oh ! je me sens plus mal !…

PREMIER ABBÉ

Ta narine frémit…

MEZZETIN Hélas ! J’ai le vertige, et j’ai peur…

CASSANDRE (à part)

Il blêmit !

PREMIER ABBÉ

Ton ventre glorieux, après tant de batailles,
N’a rien à redouter des plus vastes futailles !

MEZZETIN (de plus en plus anxieux)

Mon cœur bat…

PREMIER ABBÉ

Et ton nez, ardent comme un fanal, Semble un évêque en train de passer cardinal !

MEZZETIN

Oh ! j’expire !…

PREMIER ABBÉ,

Expirer ! La bonne comédie ! Ta face éblouissante a l’air d’un incendie ! Les pompiers vont te suivre !

DEUXIÈME ABBÉ

Et demain, les lourdauds De notre Observatoire apprendront aux badauds Qu’ils ont vu quelque immense aurore boréale !

PREMIER ABBÉ Quelle santé superbe !

DEUXIÈME ABBÉ
Effrayante !

ARLEQUIN

Idéale !

MEZZETIN

Je meurs… la terre tourne… à l’aide ! un médecin !

Je suis mort !… (Il tombe sur la table.)

CASSANDRE

Il suffit. On le fait à dessein.
Il ne parlera plus, s’il est mort !… Allons, vite,
Ranimez-le…

TROISIÈME ABBÉ

Veut-on que je le ressuscite ?
C’est facile : voyez plutôt !… Cher Mezzetin,
Ces rieurs sont obtus, et je te crois atteint
Beaucoup plus gravement que tu ne veux le dire !

MEZZETIN

Toi, du moins, tu comprends !…

TROISIÈME ABBÉ

Comment pouvez-vous rire ? Ne voyez-vous donc pas qu’il est malade ?

MEZZETIN

Oh ! oui !

TROISIÈME ABBÉ

Malade ! Très malade !… Il s’est évanoui

Deux ou trois fois pendant qu’il mangeait la salade !

MEZZETIN (attendri)
O cet ami ! comme il est bon ! Je suis malade !

CASSANDRE (à part)

Il renaît !

ELIANE (à part)

Il sourit !

TROISIÈME ABBÉ

Malade serait peu…
MEZZETIN (souriant)
Oh ! oui, très peu, fort peu !…

TROISIÈME ABBÉ

J’affirme, tête-bleu ! Qu’il est encor plus bas qu’il ne dit !

ARLEQUIN

Son haleine

Est courte !

TROISIÈME ABBÉ

Sa prunelle inquiétante est pleine
D’une étrange lueur…

MEZZETIN (riant)
C’est cela !

TROISIÈME ABBÉ

C’est certain :

Tu n’as plus qu’un moment à vivre.. Mezzetin !
Tu m’as l’air d’être mort !

MEZZETIN (se jetant dans ses bras)

Tu me sauves la vie !

ELI ANE

Si vous mourez ainsi, Monsieur, j’en suis ravie !
PREMIER ABBÉ

O ce cher Mezzetin ! Pardonne : j’avais tort !

Et maintenant, Messieurs, un cri : « Vive le mort ! »

TOUS

Vive le mort !

PREMIER ABBÉ

Pierrot ! tu gardes le silence ! Pourquoi ne ris-tu pas ?

PIERROT (béat)

O divine indolence ! Céleste nonchaloir de la fin des repas ! J’écoute la chanson du kirsch ne parlez pas. Oh ! taisons-nous : causer est une impolitesse. Écoutons le discours que nous tient Son Altesse Le kirsch, prince allemand de très vieille maison, Le kirsch, âpre seigneur de cette âpre saison, Beau margrave givré d’argent pâle et d’hermine, Traînant derrière lui l’odeur puissante et fine Des profondes forêts où se grise le vent !

ARLEQUIN Tout cela dans un verre ?

ELIANE

Oh ! vous êtes savant ! Vous avez le palais pédant. Voulez-vous boire Encore un petit brin de cette Forêt-Noire ?

DEUXIÈME ABBÉ

Regardez-le fumer son havane, passant
Et repassant, l’œil clos, sous son nez frémissant,
Comme une fleur de feu le rubis du cigare !

TROISIÈME ABBÉ Oh ! prends garde, Pierrot !

DEUXIÈME ABBÉ

Tu vas te brûler ! Gare !

PIERROT (aspirant son cigare)

Dessert ! ô cher instant qu’il faut éterniser !
O la folle chaleur ! C’est plus doux qu’un baiser,
Et j’ai l’illusion d’une lèvre amoureuse
Qui me cherche et me fuit ! Quelle est donc la chartreuse
Qui pourrait m’inspirer ce rêve d’être aimé ?
Et ce rêve, ô délice, est très vite fumé !

CASSANDRE

Mais à de vains propos c’est assez condescendre !

ELI ANE Devisons d’autre chose…

MEZZETIN

A votre tour, Cassandre !
Votre groupe, le centre, est-il pour le rejet
Du budget ?…

ARLEQUIN
Mezzetin qui parle du budget !

PREMIER ABBÉ

Il est fort compétent : il est lui-même un centre,
Et ne cesse d’enfler certain budget : son ventre !

CASSANDRE (important)

Le centre, hier encore, penchait pour le rejet ;
Mais je l’ai supplié de voter le budget.
Seulement, pour porter un coup au ministère,
— Vous n’en soufflerez mot : c’est encore un mystère ! —
Nous devons proposer, tout au dernier moment,
Un petit, très petit, petit amendement
Par lequel on verra soudainemet par terre
Le budget côte à côte avec le ministère !

MEZZETIN

Peut-on vous demander un éclaircissement ?

CASSANDRE

Faites !

MEZZETIN
Qu’entendez-vous par un amendement ?

CASSANDRE

Diable !

MEZZETIN
Je vous attends !

PREMIER ABBÉ

Je brûle de comprendre !

CASSA N D RE (embarrassé)
Ce que j’entends par là ? Comment le leur apprendre ?

ARLEQUIN (lancé)
Je vous l’expliquerais d’un mot, si je voulais !

PREMIER ABBÉ

Bravo !

TROISIÈME ABBÉ
Vive Arlequin !

ARLEQUIN

(plongeant sous la table et ramenant les mollets postiches de son oncle)

Voyez ces faux mollets !
MEZZETIN (riant)

Le drôle !

CASSANDRE (furieux)
L’insolent !

ARLEQUIN

Eh bien ! c’est ce qu’on nomme

Un amendement ! !

CASSANDRE (se levant)
Monstre ! Assassin !

ELIANE

Le pauvre homme !

CASSANDRE (poursuivant Arlequin autour de la table)

Ma canne !

ARLEQUIN (sautant par-dessus sa chaise)
Le Derby !

PREMIER ABBÉ
Hourrah !

DEUXIÈME ABBÉ

Très bien sauté !

CASSANDRE
Te voilà, pour le coup, pendard, déshérité !

ARLEQUIN (revenant derrière Cassandre)

C’est de la politique !… Et puis cette perruque,
CASSANDRE

Le gueux !

TROISIÈME ABBÉ
O le genou !

ARLEQUIN (enlevant sa perruque)

… Qui couvre votre nuque… CASSANDRE (apoplectique)

Je te tuerai !

ARLEQUIN (fuyant)

De loin ! Eh bien ! cet ornement, Dans le jargon du cru, c’est un amendement !

CASSANDRE (poursuivant Arlequin) Arrêtez !… Arrêtez !

ARLEQUIN (disparaissant)

A bas le ministère ! !

(Tous les convives se lèvent pour s’interposer et suivent la chasse.
Pierrot seul reste absorbe’, devant son kirsch.)

PIERROT (accoudé sur la table)

Les voilà donc partis… Je vais pouvoir me taire..
J’ai trop vécu depuis ce soir… Je veux rêver,
Redevenir enfin mon maître, et me sauver
Dans le silence auguste et fier de ma pensée !…
Je suis content de moi : cette fête est passée,
Et je sens que mon âme en garde le meilleur…
Eliane, Eliane ! ô cher caprice ! ô fleur
Capiteuse et maligne ! ô fleur cueillie en songe !
Tu seras le plus fol et le plus beau mensonge
Des mensonges cruels qui font la vérité,
Et tu n’as rien souffert de la réalité !
Et toi, son Arlequin, cœur d’enfant, cœur de soufre,
O flamme qui fais mal, sourire dont on souffre,

Petit cierge amoureux brûlant par les deux bouts,
Arlequin, Eliane, évanouissez-vous !

(Il se lève.)

Combien j’en ai déjà, pâles, coiffés de nimbes,
Combien de ces profils féeriques, dans les limbes
De ma mémoire, et dans le vague clair-obscur
De mon âme, ô profils de tendresse et d’azur,
Aimés avant de vivre, et morts avant de naître,
Que je n’ai pas aimés, et que j’aimais peut-être !
(Se croisant les bras.)
Comme on devient mauvais, implacable et moqueur,
A se pencher ainsi sur les gouffres du cœur !
Et comme le cristal de la divine enfance
Se fêle étrangement à la première offense !
On en garde à jamais un sourire attristé,
Où la peur de souffrir semble de la fierté !
(Regardant le parc.)
O belle et froide nuit ! La neige au loin, la neige
Tombe sur les rumeurs du monde sacrilège,
Douce sœur du silence et des esprits plaintifs !
La lune se promène, et ses rayons furtifs,
Passant et repassant sur les herbes glacées,
Ce sont les chers désirs et les chères pensées
De quelqu’un qui m’appelle et que je ne vois pas…

ARLEQUIN (entrant essouffle)

Personne !

PIERROT

Les voici : j’entends le bruit d’un pas…
Je ne veux plus les voir… Fuyons !… Ah !

(Il se voit dans la glace.)
ARLEQUIN (à fart)

Quelle chasse !
Cassandre renâclait comme une contrebasse ;
Eliane riait ; un des abbés cherchait
A retenir la contrebasse, et moi, l’archet
De ce gros instrument orageux et classique,
J’allais comme le vent, de peur de la musique !
Tiens ! Je ne suis pas seul… Pierrot !… Que fait-il là’
On dirait qu’il répète un menuet !…

PIERROT (regardant son image)

O la
Douce apparition, ô la lumière en fête !
Je la revois… c’est elle, elle-même, la tête
Fraternelle et si pure, et qui me ressemblait !
Cette tête pensive et pâle qui voulait
Partager ma chimère et ma mélancolie !
Elle bouge… Elle vit…

ARLEQUIN (à part)

Si l’on croit que j’oublie

Le bon tour que Pierrot a voulu me jouer,
Je consens, sur mon âme, à me laisser rouer !
Écoutons… cet écran peut avoir des oreilles !

(Il se cache.)

PIERROT (se contemplant)

C’est un autre, et c’est moi… Ses lèvres sont pareilles
Au sang vierge d’un cygne assassiné, ses yeux
Profonds comme des cieux, ses yeux mystérieux
Sont deux lacs de tristesse et de candeur où sombre
Le soir silencieux de mes yeux, et dans l’ombre,
Plus lointain qu’un espoir et plus pur qu’un regret,
Son visage éploré me suit comme un portrait.

ARLEQUIN

A qui parle-t-il donc de sa voix lente et basse ?
Personne !…

PIERROT (à son reflet)
Parle ! oh ! parle !

ARLEQUIN

Il regarde la glace !…

PIERROT (s’exaltant)

Je comprends maintenant !… C’était toi, cher absent,

Cher fantôme à la fois invisible et présent,

Qui me gonflais le cœur de cette étrange ivresse !

ARLEQUIN

Il parle à son reflet…

PIERROT

Cette immense tendresse Eparse autour de moi, ce besoin de souffrir, Cette soif de te voir, et la peur d’en mourir, Ces roses sous le gel, ces roses mensongères Dont le parfum tout bas, comme des voix légères, M’ensorcelait la chair, ces roses folles, ces Roses qui fleurissaient à mes tempes, à mes Narines, à mes yeux, toute cette jeunesse, Tout cela me venait de toi, n’est-ce pas ? N’est-ce Pas ? Tout cela venait de toi !…

ARLEQUIN

Bon ! j’ai compris !
Le cousin de la neige à la fin s’est épris
De son image !… Ah ! Ah ! Pierrot ! nous allons rire !
Et je me vengerai !…

PIERROT
Tu ne veux rien me dire ?

(Lent, presque chanté.)

O cœur plein de mon cœur, vaste comme les mers,
Espoir inexaucé de mes lèvres hautaines,
Qui nous a révélé ces ivresses lointaines,
Par delà l’heure triste et les baisers amers ?

ARLEQUIN (répétant)
Espoir inexaucé de mes lèvres hautaines.

PIERROT

Mes yeux tendres et las fleurissent tes yeux chers

A RL EQU1N (même jeu)
Par delà l’heure triste et les baisers amers.

PIERROT

Purs comme un ciel enfant, bons comme les fontaines !

ARLEQUIN (même jeu)
Mes yeux tendres et las fleurissent tes yeux chers !

PIERROT

Quel silence enivré d’étoiles incertaines !

ARLEQUIN (même jeu) Pur comme un ciel enfant, bon comme les fontaines,

PIERROT (éperdu)

Un baiser de la lune a fiancé nos chairs !

(Il se précipite, les bras tendus, vers la glace, qu’il brise, et tombe, son habit blanc rouge de sang.)


SCÈNE FINALE

PIERROT, ARLEQUIN, CASSANDRE, ELIANE MEZZETIN, LES TROIS ABBÉS

PIERROT
Oh ! je me Suis tué !… (Il/este absorbe.)

CASSANDRE

Pourquoi tout ce tapage ?

PREMIER ABBÉ Pierrot se trouve mal !…

ELIANE

Qu’arrive-t-il, mon page ?

DEUXIÈME ABBÉ Est-ce un assassinat ?

CASSANDRE

O mon pauvre miroir !

MEZZETIN Que s’est-il donc passé ?…

ARLEQUIN (triomphant)

Pierrot, fou de se voir
De trop près dans la glace, a baisé son image !
Et voilà, mes amis, d’où vient tout ce tapage ! <J V

TROISIÈME ABBÉ
Donnez-lui donc à boire : il me paraît souffrant !

CASSANDRE (solennel)

Et voilà ce que c’est que d’être indifférent
Aux choses de l’Etat !

ELIANE
Au charme d’une oeillade ! ’

MEZZETIN

Et voilà ce que c’est de n’être pas malade !

ARLEQUIN Hé ! seigneur du grésil ! r"

ELIANE

O marquis de l’hiver ! ’ Vous ne dites plus rien !…

MEZZETIN

Il est mort ! ô mon cher

Pierrot, serais-tu mort ?…

CASSANDRE (secouant Pierrot)

Holà ! prince du givre ! •

PIERROT (se relevant) ’ ^

Oui, je me suis tué : mais comme je vais vivre !