Port-Royal/Appendices/02

La bibliothèque libre.
Librairie de L. Hachette et Cie (Tome premierp. 517-518).

la maladie et les frimas le retinrent ; mais il avait pu assister à toutes les leçons sur Saint-Cyran, et le caractère singulier et complexe de ce grand réformateur intérieur avait été pour lui toute une révélation. Il m’engageait même à publier à part un choix des belles pensées chrétiennes de Saint-Cyran.

Le Cours que je faisais se tenait dans la bibliothèque de l’Académie. Les élèves y assistaient ; mais j’avais de plus autorisé toutes les personnes de la ville à s’y rendre. Parmi mes auditeurs, j’eus souvent l’honneur de compter, indépendamment des professeurs mes collègues, M. Druey, conseiller d’État, qui depuis s’est fait une réputation politique, à la tête d’une révolution qu’il poussa avec violence, et qu’il modéra ensuite comme il put. Hégélien de doctrine, il assista notamment à mes leçons sur Malebranche, et il témoigna en être satisfait. S’il était permis de mêler un sourire à ces souvenirs sérieux, je dirais que la réunion fréquente (les lundi, mercredi et vendredi de chaque semaine), au pied de cette chaire, de la jeunesse des deux sexes, avait fini par amener de certaines rencontres, de certaines familiarités honnêtes, des railleries même comme le sexe le plus faible ne manque jamais d’en trouver le premier, quand il est en nombre, en face de l’ennemi. Plus d’un de mes élèves, dès qu’il entrait, avait, du côté des dames, un sobriquet tiré de Port-Royal et qui circulait tout bas : Lancelot, Le Maître, Singlin, etc. — Je ne sus tout cela que plus tard. Enfin, il y eut l’année suivante plus d’un mariage et quelques fiançailles dont on faisait remonter l’origine à ces réguliers et innocents rendez-vous que mon Cours avait procurés… Mais ceci m’éloigne par trop de mon sujet.


À PROPOS DU DISCOURS PRÉLIMINAIRE.


(Se rapporte à la page 31.)


En revoyant d’anciens papiers, d’anciennes lettres, j’en retrouve une, entre autres, de mon ami (un intime ami d’alors) M. J.-J. Ampère. Elle se rapporte précisément à ce Discours d’introduction. On y verra avec quelle attention délicate ce monde choisi de l’Abbaye-au-Bois suivait de loin quelqu’un d’absent qui lui appartenait et qui avait été une fois accueilli dans son sein. Le Discours préliminaire par lequel j’avais ouvert mon Cours avait été publié quelques semaines après dans la Revue des Deux Mondes, et à cette occasion M. Ampère m’écrivait :

« (9 janvier 1838)… Nous avons lu avec un plaisir bien vif et bien général votre Discours ; cela transportait un peu auprès de vous et faisait assister à votre Cours autant qu’il se peut dans l’éloignement. Tout le monde en a été très content, y compris M. de Chateaubriand. On lui avait dénoncé une phrase comme attentatoire à la majesté du XVIIe siècle : c’est celle où vous montrez le XVIe et le XVIIIe se réunissant en dépit de ce qu’il a interposé entre eux. Mme Récamier et moi avons pris la phrase pour la défendre. J’ai expliqué l’ensemble de votre pensée qui, exprimée rapidement, prêtait peut-être à une fausse interprétation. Je vous donne ces détails pour vous montrer combien le morceau a vivement préoccupé vos amis. Du reste, satisfaction complète de tous : M. et Mme Lenormant charmés, Ballanche, l’aristarque M. Paul idem[1]. Mme Lenormant aime particulièrement l’exposition, d’un dramatique si simple et si touchant, où Bérulle, saint Vincent de Paul et le fondateur de la Communauté de Saint-Nicolas-du-Chardonnet délibèrent sur ce qu’il y a à faire pour la religion. Mme Récamier préfère la seconde partie ; elle aime aussi particulièrement le contraste de la double scène qui suivit la mort de M. de Saci et celle de la mère Agnès : ici les Sœurs, là les Messieurs pouvant seuls achever les chants. — Les gens graves louent votre style d’être plus sévère, plus simple que jamais ; Le Prévost[2] est de ce nombre ; il vous louait hier avec effusion, mais cœurs incirconcis l’arrêtait ; je lui ai dit que c’était un langage reçu en thèse religieuse, et Mme Lenormant m’a appuyé. M. Lenormant est aussi dans les plus satisfaits.

« J’ai rencontré Cousin qui était très-content et réclamait seulement une plus grande place pour l’Oratoire. Quant à moi, j’espère avoir saisi mieux que personne, par l’habitude que j’ai de votre esprit et de votre âme, toute la portée de vos moindres paroles, être entré plus que personne dans tout ce que votre Discours indique et fait pressentir. Quoi que vous en disiez, tout est vôtre, bien vôtre, dans vos points de vue. Seulement, il m’a été bien doux, par moments, de trouver dans la manière de disposer votre sujet, quelque peu d’une méthode semblable. Cela m’a fait un plaisir de vanité et d’amitié tout ensemble, comme si l’on trouvait qu’un ami a pris quelque chose de notre accent par un long commerce. N’en prenez pas trop, cher S.-B., n’emprisonnez pas trop vos ailes diaprées de poète dans mes étuis de critique. Je ne voudrais pas que dans l’ouvrage les divisions, Politique, Philosophie, Théologie, fussent aussi séparées. Mais je vois par le peu que vous me dites de votre Cours qu’il n’en est rien ; le mélange de ces différentes choses et leur entrelacement me paraît un des charmes de votre sujet et un bonheur pour la souplesse de votre talent…, »

Il me semble que rien ne peut mieux expliquer et faire comprendre l’attrait que ce monde de Mme Récamier avait pour tous ceux qui y étaient une fois entrés. L’esprit, le cœur, le talent, l’amour-propre, tout en vous y trouvait des points d’appui multi

  1. M. Paul David, bien connu depuis la publication de la Correspondance de Mme Récamier.
  2. M. Auguste Le Prévost, le savant antiquaire normand.