Portrait de Thomas Jefferson

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THOMAS JEFFERSON[1].

Thomas Jefferson naquit le 2 avril 1743, au comté d’Albemarle, en Virginie. On sait peu de choses de ses ancêtres, qui ont dû émigrer de bonne heure en Amérique, puisque son grand-père y avait vu le jour. Au sortir du collége, Jefferson, qui n’avait hérité que d’un modique patrimoine, étudia le droit sous le chancelier Wythe, et fut nommé membre de la législature provinciale, à l’âge de vingt-un ans. Il suivait avec succès la carrière du barreau, lorsque la révolution venant à éclater, il en embrassa la cause avec ardeur. Il fut élu membre de la Convention qui nomma les délégués de Virginie au premier congrès ; mais une maladie ne lui permettant pas de prendre part à l’élection, il transmit à l’assemblée des instructions qu’il avait rédigées pour les délégués. Cet écrit fit une telle réputation à son auteur, que la législature le chargea, en 1775, de répondre à la proposition de conciliation, adressée aux colonies par lord North. La franchise et l’indépendance, qui règnent dans cette réponse, irritèrent le gouvernement : Jefferson fut mis hors la loi par la chambre des lords d’Angleterre, et excepté de l’amnistie générale que le roi accordait à ses sujets rebelles.

La même année, Jefferson fut appelé à siéger au congrès qui se réunit à Philadelphie. Là, il vit pour la première fois Franklin, John Adams, et les autres chefs de la révolution américaine ; et quand cette assemblée forma enfin le projet de renverser le gouvernement colonial et de proclamer l’indépendance (4 juillet 1776), ce fut encore à Jefferson qu’elle confia le soin d’en rédiger la déclaration. Peu après il résigna sa place dans le congrès pour en accepter une dans la chambre des délégués de Virginie (octobre 1776). Chargé de revoir les anciennes lois de la province, et de les adapter au nouvel ordre politique, il y travailla sans relâche durant plus de deux ans. Jefferson avait introduit dans son projet de déclaration d’indépendance, une éloquente protestation contre la traite des noirs, que le congrès avait cru devoir supprimer. Dans le Code Virginien, il en proclama l’abolition, et s’il ne put obtenir la radiation du mot esclavage, ce n’est pas faute de l’avoir énergiquement combattu.

Appelé peu après au poste de gouverneur de la Virginie, il en remplit les fonctions pendant deux ans. En 1781, il publia, à l’invitation de M. de Marbois, ses admirables Notes sur la Virginie, dont l’abbé Morellet donna, la même année, une traduction française. Porté de nouveau au congrès, en 1783, il fut envoyé l’année suivante, avec Franklin et Adams, pour établir des relations de commerce avec les puissances de l’Europe. Jefferson tenta inutilement de conclure un traité avec la Grande-Bretagne, et, après le retour de Franklin, il lui succéda à l’ambassade de France. Il était encore à Paris lorsque la révolution y éclata. Les chefs de l’assemblée constituante étant partagés sur la question de savoir s’il convenait ou non de diviser la législature, s’en rapportèrent à la décision de Jefferson. En conséquence Sieyès, Barnave, Mounier et autres se rendirent auprès de lui. Jefferson leur recommanda fortement la division. La majorité toutefois en décida autrement.

À son retour en Amérique, Washington l’invita à se charger du portefeuille de la secrétairerie d’état (avril 1790). Jefferson eut en quelque sorte à créer ce département, et il plaça bientôt les relations diplomatiques des États-Unis sur le pied le plus respectable. Ayant renoncé à cet emploi, le 1er janvier 1794, il se retira au sein de sa famille, où il se livra à des travaux littéraires, jusqu’en 1797, qu’il fut nommé vice-président de la République. Quatre ans après (mars 1801) il fut élevé à la magistrature suprême, et, en 1805, à l’expiration de ses pouvoirs, il fut de nouveau appelé à l’exercer pendant quatre ans.

Jefferson arriva à la présidence dans un moment où la violence des partis était extrême. Il se fit remarquer par sa douceur et sa modération. C’est de son temps que furent posées les bases de ce système de gouvernement, qui, par l’expérience, a été trouvé le plus capable d’accélérer le bonheur et la prospérité de l’Amérique du nord. Il abolit les droits intérieurs, rapporta la loi contre les étrangers, qu’il déclara incompatible avec les véritables intérêts de l’Union, admit les principes les plus libéraux dans les relations commerciales avec les puissances étrangères, réduisit les dépenses de l’état, et acquitta 33 millions et demi de la dette publique. Sous son administration, les États-Unis firent acquisition de la Louisiane ; tout le continent de l’Amérique septentrionale fut exploré, par Lewis et Clarke, jusqu’à l’Océan pacifique ; le major Pike visita les sources du Mississipi et de l’Arkansas ; le colonel Freeman remonta le cours de la rivière Rouge et les voyageurs Hunter et Dunbar reconnurent les bords de la Washita. C’est aussi à Jefferson que la république doit la fondation de la célèbre académie militaire de Westpoint. Les indigènes trouvèrent en lui un ami et un protecteur. Les Cherokées surtout furent l’objet constant de sa sollicitude, et les progrès qu’ils ont faits dans les arts de la vie civilisée sont en grande partie son ouvrage.

À l’expiration de sa seconde présidence, Jefferson se retira sur sa plantation de Monticello, où il reprit ses occupations et ses études favorites. Ses loisirs cependant ne furent point perdus pour son pays. Il les consacra à la fondation de l’université de Virginie, qui est aujourd’hui une des plus célèbres de l’Union. Mais cette vie si belle, si glorieuse et si utile à sa patrie fut empoisonnée sur son déclin par des soucis qu’il chercha à dérober à la connaissance de ses compatriotes. Sa longue carrière politique, qui l’avait constamment empêché de vaquer à ses affaires privées, la modicité des honoraires attachés aux fonctions publiques qu’il avait remplies, l’obligation où elles le mettaient d’exercer une hospitalité dispendieuse, et des malheurs imprévus, avaient tellement dérangé sa fortune, que dans ses vieux jours, le spectre hideux de la pauvreté, pour nous servir de l’expression d’un de ses biographes, vint s’asseoir à son foyer domestique. Jefferson était même sur le point de se voir priver par d’avides créanciers des seuls moyens d’existence qui lui restaient, lorsque la mort l’enleva le 4 juillet 1826, cinquantième anniversaire de l’indépendance, dans la quatre-vingt-quatrième année de son âge.

Jefferson était versé dans l’histoire et les langues anciennes et modernes, l’économie politique, les mathématiques, la chimie, la physique, l’astronomie, les arts mécaniques, et tous les genres de littérature. Il était membre de l’Institut de France et des principales sociétés savantes des États-Unis.

  1. Le portrait qui accompagne cette notice paraîtra d’autant plus digne d’attention qu’il a été gravé par un polonais,M. Olcezezyuski, d’après un dessin inédit de Kosciuszko ; et qu’il est accompagné de la signature même de Jefferson. Nous en devons la communication à l’obligeance de M. Jarry de Maney.