Premier essai pour déterminer les variations de température qu’éprouvent les gaz en changeant de densité

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PREMIER ESSAI

Pour déterminer les variations de température qu’éprouvent les gaz en changeant de densité, et considérations sur leur capacité pour le calorique.

Par M. Gay-Lussac.
Lu à l’Institut le 15 septembre 1806.


Dans les recherches que nous avons publiées, M. Humboldt et moi, sur les moyens eudiométriques et l’analyse de l’air atmosphérique[1], nous avions reconnu que l’inflammation d’un mélange de gaz oxigène et de gaz hydrogène par l’étincelle électrique, ne produisoit point une inflammation complette, lorsque les deux gaz étoient entre eux comme 10 est à 1. Dans cette expérience, en remplaçant par de l’azote l’excédant du gaz oxigène nécessaire à la saturation du gaz hydrogène, la combustion s’arrêtoit encore à très-peu près au même point. Guidés par des considérations particulières, nous avions été conduits à penser que ce phénomène dépendoit de ce que le calorique, dégagé dans la combinaison, se trouvant absorbé par les parties de chaque gaz qui n’y étoient pas entrées, la température se trouvoit abaissée au-dessous du point nécessaire à la combustion ; d’où il résultoit conséquemment que l’inflammation devoit s’arrêter. Et comme nous avions vu le gaz azote produire, sous ce rapport, des effets presque identiques avec ceux que produisoit le gaz oxigène, nous avions présumé que ces deux gaz n’arrêtoient la combustion au même point que parce qu’ils avoient sûrement une capacité égale pour le calorique. Nous n’avions pu alors vérifier nos soupçons sur les autres gaz ; mais comme on est naturellement porté à généraliser, nous avions conservé l’opinion, moi en particulier, qu’il étoit très-possible que tous les gaz eussent la même capacité pour le calorique. De retour à Paris, du voyage que j’avois fait, avec M. Humboldt, en Italie et en Allemagne, j’ai été très-impatient de faire des expériences plus directes pour voir jusqu’à quel point nos premières conjectures étoient fondées, persuadé que, quel qu’en fût le résultat, je n’aurois pas fait un travail inutile. J’ai communiqué, mon projet à M. Berthollet, qui m’a beaucoup engagé à l’exécuter, et il y a pris lui-même, ainsi que M. Laplace, le plus vif intérêt. S’il est flatteur pour moi de pouvoir citer ici ces deux illustres savans, qui m’honorent de leur estime, je dois déclarer en même tems que je dois beaucoup à leurs conseils éclairés. C’est à Arcueil, dans le cabinet de physique de M. Berthollet, que mes expériences ont été faites. Elles m’ont conduit, sur la capacité des gaz, à des résultats inattendus, contraires à ceux que j’avois soupçonnés, et m’ont fait connoître plusieurs phénomènes nouveaux qui paroissent devoir être très-importans pour la théorie de la chaleur.

En partant de ces deux faits, que les gaz se dilatent tous également par la chaleur, et qu’ils occupent des espaces qui sont entre eux en raison inverse des poids qui les compriment ; j’ai pensé, avec M. Dalton[2], qu’en les mettant tous dans les mêmes circonstances, et en diminuant également la pression qui leur seroit commune, on pourroit voir, par les changemens de température que produiroient les augmentations de volume, s’ils avoient ou non des capacités égales pour le calorique. C’est dans ce but que j’ai employé l’appareil suivant.

J’ai pris deux ballons à deux tubulures, chacun de douze litres de capacité. À l’une des tubulures de chaque ballon étoit adapté un robinet, et à l’autre un thermomètre à alcool très-sensible, dont les degrés centigrades pouvoient être facilement divisés en centièmes. Je me suis d’abord servi du thermomètre à air, construit d’après les principes de M. le comte de Rumford, ou d’après ceux de M. Leslie ; mais quoique infiniment plus sensible que celui à alcool, plusieurs inconvéniens auxquels je puis remédier maintenant, m’avoient fait préférer ce dernier, parce qu’il me donnoit des résultats plus comparables. Pour éviter les effets de l’humidité, j’ai mis dans chaque ballon du muriate de chaux desséché. Voici maintenant la disposition de l’appareil pour chaque expérience. Le vide étant fait dans les deux ballons, et m’étant assuré qu’ils le retenoient exactement, je remplissois l’un d’eux avec le gaz sur lequel je voulois opérer. Environ douze heures après, j’établissois entre eux une communication au moyen d’un tuyau de plomb, et en ouvrant les robinets, le gaz se précipitoit alors dans le ballon vide jusqu’à ce que l’équilibre de pression fût rétabli de part et d’autre. Pendant ce tems, le thermomètre éprouvoit des variations que je notois avec soin.

J’ai commencé mes expériences avec cet appareil sur l’air atmosphérique, et j’ai pu observer, avec MM. Laplace et Berthollet, que l’air, en entrant du ballon plein dans le ballon vide, a fait monter le thermomètre, comme plusieurs physiciens l’ont déja annoncé. On savoit que l’air en se dilatant, lorsqu’on diminue la pression qu’il éprouve, absorbe du calorique, et réciproquement qu’en se condensant il en dégage. De là quelques physiciens avoient conclu que la capacité de l’air dilaté pour le calorique, est plus grande que celle de l’air condensé, et qu’un espace vide doit renfermer plus de calorique que le même espace occupé par de l’air. En considérant des poids égaux de ce fluide, sous des pressions différentes et à des températures égales, il n’y a pas de doute qu’il ne renferme d’autant plus de calorique qu’il est plus dilaté, puisqu’en se dilatant il en absorbe continuellement. Mais quand on considère des volumes égaux, rien n’autorise à croire que la même chose doit avoir lieu. Si en effet, dans notre expérience, l’air dilaté qui reste dans le ballon plein a absorbé du calorique, celui qui en est sorti en a emporté, et il n’est pas prouvé que la quantité de celui qui est absorbé soit plus grande que celle qui a été emportée. Par conséquent, l’opinion de ceux qui croient qu’un espacé vide contient plus de calorique qu’un espace plein d’air, et qui n’est appuyée que sur ces considérations, est absolument sans fondement. On ne peut croire, avec M. Leslie, que c’est l’air resté dans le récipient, à cause du vide imparfait, qui, venant à éprouver une grande réduction de volume par l’effet de celui qu’on y fait entrer, donne naissance à toute cette chaleur. S’il en étoit ainsi, il faudroit qu’en en introduisant un très-petit volume dans un récipient vide, il y eût une quantité de calorique absorbée, égale à-peu-près à celle dégagée lorsque le récipient est vide à cette même quantité d’air près, et qu’on le laisse remplir entièrement. Mais, bien loin de là, il se dégage toujours de la chaleur. Il peut paroître indifférent au premier abord que ce soit d’un espace vide ou occupé par de l’air très-dilaté, que soit dégagé le calorique lorsque l’air pénètre dans cet espace ; mais il me semble que pour la théorie de la chaleur il est de la plus grande importance d’en connoître la source. Pour moi, malgré le vide le plus parfait que j’aie pu produire dans un de mes récipiens, j’ai toujours vu le thermomètre s’élever d’une manière très-marquée lorsque l’air de l’autre s’y est précipité, et je ne puis m’empêcher de conclure que la chaleur ne vient point de celui qui pouvoit y être resté.

M’étant assuré de ce fait important, que plus un espace est vide, et plus il s’en dégage de la chaleur lorsque l’air extérieur y pénètre, j’ai cherché à déterminer, par des expériences exactes, quelle relation il y avoit entre le calorique absorbé dans l’un des récipiens et celui dégagé dans l’autre, et comment ces variations de température dépendoient de celles de la densité de l’air. Pour abréger, j’appellerai n°. 1 le ballon où est enfermé le gaz qui fait le sujet de l’expérience, et n°. 2 celui qui est vide. C’est dans le premier qu’il se produit du froid, et dans le second de la chaleur. À chaque expérience, j’ai noté exactement le thermomètre extérieur et le baromètre ; mais l’un n’ayant varié qu’entre 19 et 21 degrés centigrades, et l’autre qu’entre 0m,755 et 0m,765, les corrections qu’il y auroit à faire dans les résultats sont très-peu considérables, et peuvent être négligées. Pour voir quel rapport il y avoit entre les densités de l’air et les variations de température qui leur sont dues, j’ai opéré successivement sur de l’air dont les densités décroissoient comme les nombres 1, ½, ¼, etc. Pour cela, après avoir fait passer l’air du récipient n°. 1 dans le récipient vide n°. 2, j’ai fait de nouveau le vide dans ce dernier, et j’ai attendu que l’équilibre de température fût parfaitement rétabli de part et d’autre. À cause de l’égalité de capacité des deux récipiens, la densité de l’air se trouvoit alors réduite à moitié. En ouvrant les robinets, l’air s’est encore partagé entre les deux ballons, et sa densité a été réduite au quart. J’aurois pu la porter ainsi successivement au huitième, au seizième, etc. ; mais je me suis borné à la réduire au huitième ; car au-delà les variations de température, qui vont sans cesse en diminuant, auroient pu difficilement être observées avec exactitude. Le tableau suivant renferme les résultats moyens de six expériences que j’ai faites sur l’air atmosphérique.

Densité de l’air
exprimée par le baromètre.
Froid produit
dans le ballon n°. 1.
Chaleur produite
dans le ballon n°. 2.
0m,76 0°,61 0°,58
0m,38 0°,34 0°,34
0m,19 0°,20 0°,20

Je ne rapporte dans ce tableau que la moyenne des résultats, parce que les plus grands écarts au-dessus ou au-dessous de cette moyenne n’ont été que de 0,05, la densité de l’air étant exprimée par 0m,76 : quand les densités étoient exprimées par 0m,38 et 0m,19, ils ont été beaucoup plus petits.

En comparant maintenant les résultats, nous voyons que le calorique absorbé par l’air du ballon n°. 1, dans la première expérience, est 0°,61, tandis que celui qui est dégagé dans le récipient n°. 2, est seulement 0°,58. La différence entre ces deux nombres est déja assez petite pour qu’on pût l’attribuer à quelques circonstances dont on peut entrevoir l’influence, ou même aux erreurs de l’observation ; mais si on considère les résultats qui sont compris dans la deuxième et la troisième colonnes horisontales, on voit que les variations de température sont parfaitement égales entre elles. Je me crois donc suffisamment autorisé à conclure que lorsqu’on fait passer un volume donné d’air d’un récipient dans un autre qui soit vide et de même capacité, les variations de température sont égales de part et d’autre dans chaque récipient.

Les nombres 0,61, 0,34 et 0,20 qui expriment ces variations de température ne suivent pas exactement le rapport des densités de l’air ; ils diminuent suivant une loi moins rapide. Mais si nous considérons que dans chaque expérience le tems nécessaire, pour que tout l’effet fût produit, a été d’environ deux minutes, et que les refroidissemens ou les échauffemens sont d’autant plus grands dans le même tems, que la différence de température des milieux est plus grande, nous concevrons pourquoi le nombre 0,20 s’écarte plus d’être le art de 0,61 que, 0,34 d’en être la moitié. Et si nous voulons admettre cette cause comme celle qui produit ces différences, nous conclurons qu’il est probable que lorsqu’on condense ou dilate l’air, les variations de température qu’il éprouve sont proportionnelles à ses variations de densité :

Si donc le nombre 0,20 a été moins influencé par les causes d’erreur que les deux autres, il doit être plus exact qu’eux ; et par conséquent, d’après le rapport que nous venons d’établir, le nombre 0,61, qui exprime les variations de température de l’air quand sa densité est 0m,76, est trop foible, et il devroit être porté au moins à 0,80. Toutefois ce dernier nombre n’exprime pas encore exactement tout le calorique qui a été absorbé ou dégagé. Pour avoir une idée de sa quantité, il faudroit avoir égard aux masses des récipiens et du thermomètre, qui sont très-considérables par rapport à celle de l’air. Un thermomètre à air, placé dans les mêmes circonstances que le thermomètre à alcool, a indiqué 5°,0, au lieu de 0°,61 qu’a indiqué ce dernier. Comme je dois revenir par la suite sur cet objet, d’après des expériences qui auront été dirigées uniquement vers ce but, je ne m’y arrêterai pas plus longtems ; je remarquerai seulement que la chaleur dégagée ou absorbée est très-grande, comparée à la masse de l’air.

Pour éviter les effets de l’humidité, j’ai été obligé de me servir de deux récipiens, dans l’un desquels étoit du muriate de chaux pour dessécher l’air. Mais quand j’ai fait entrer directement l’air extérieur dans le récipient vide, les effets thermométriques ont été presque doublés ; ce qui s’accorde encore avec la loi que nous venons d’établir.

Cette loi, que les effets thermométriques suivent le même rapport que les densités de l’air, nous conduit à conclure qu’en diminuant ou en augmentant subitement un espace parfaitement vide, il ne s’y produira aucune variation de température. J’ai ainsi diminué l’espace vide d’un large tube barométrique, dans lequel j’avois placé une des boules d’un thermomètre à air très-sensible, et soit en inclinant le baromètre, soit en le redressant, je n’ai apperçu aucun changement de température.

Après ces expériences, il étoit extrêmement intéressant de savoir ce qui arriveroit avec le gaz hydrogène, dont la pesanteur spécifique est si différente de celle de l’air atmosphérique. J’ai rempli le récipient n°. 1 de ce gaz, et après l’avoir laissé douze heures en contact avec le muriate de chaux, pendant lesquelles j’ai eu soin de remplacer, par de nouveau gaz, le vide que laissoit la vapeur à mesure qu’elle étoit absorbée, j’ai ouvert la communication avec le récipient vide n°. 2. L’écoulement du gaz hydrogène a été instantané, comparativement à celui de l’air atmosphérique, et les variations de température ont été beaucoup plus considérables. L’ouverture de communication entre les deux ballons étoit restée la même pour les deux gaz, et en faisant attention à la grande différence de leurs pesanteurs spécifiques, il n’étoit pas difficile d’y reconnoître la vraie cause de l’inégalité des tems des écoulemens. Lorsqu’en effet deux fluides également comprimés s’échappent par deux petits orifices égaux, leurs vitesses sont en raison inverse de la racine carrée de leurs densités. Si donc on veut, dans nos expériences, que les tems des écoulemens soient égaux, il faudra que les orifices soient entre eux comme les racines carrées des densités.

M. Leslie, fondé sur ces considérations, en avoit conclu une méthode très-élégante pour déterminer les pesanteurs spécifiques des fluides élastiques. Qu’on conçoive une vessie pleine d’un gaz, et pouvant communiquer au moyen d’un robinet à très-petite ouverture, avec une cloche pleine d’eau et reposant sur un bain très-large du même liquide. En ouvrant le robinet, le gaz passe de la vessie dans le récipient, parce qu’il n’y a plus équilibre de pression, et il lui faut un certain tems pour déprimer l’eau et la faire parvenir à un point donné. En notant le tems qu’il faut à chaque gaz pour que l’eau arrive au même point, les pesanteurs spécifiques seront en raison directe des carrés des tems employés[3].

Pour pouvoir comparer les effets des différens gaz par rapport aux variations de température qu’ils peuvent produire en changeant de volume, il étoit nécessaire de rendre les circonstances égales pour tous, et de modifier par conséquent mes appareils. Il falloit d’abord avoir un moyen de mesurer le tems de l’écoulement pour une ouverture donnée, et d’en avoir ensuite un autre pour varier les ouvertures, afin d’avoir le tems de l’écoulement constant.

Pour remplir le premier objet, j’ai placé un petit disque de papier de deux centimètres de diamètre sous l’ouverture du robinet du ballon vide. Ce disque est supporté par un anneau de fil de fer, portant un petit prolongement pour lui servir de levier et soutenir un contrepoids. Deux fils de soie servent d’axe au levier et tendent, par une légère torsion qu’on leur a fait éprouver, à ramener le disque à une position horisontale qu’un arrêt l’empêche de dépasser dans un sens. Quand un gaz entre dans le ballon, il frappe le disque, lui fait prendre une position verticale qu’un second arrêt l’empêche aussi de dépasser, et le tems de l’écoulement du gaz se mesure par celui qu’emploie le disque pour revenir à l’horisontalité.

Pour varier l’ouverture à volonté, j’avois prié M. Fortin de me construire un petit appareil dont voici une courte description. C’est un disque métallique dans lequel est une ouverture terminée par deux cercles concentriques et par deux rayons faisant un angle un peu moindre que 180°. Un second disque demi-circulaire tourne à frottement sur le premier, et dans ses diverses positions intercepte plus ou moins de l’ouverture. Au moyen de cette disposition et de divisions gravées sur le contour de chaque disque, il est facile de la faire varier à volonté, et d’une quantité parfaitement déterminée.

Comme je n’avois pas tenu compte du tems dans mes expériences sur l’air atmosphérique, je les ai recommencées sous ce point de vue, et j’ai trouvé constamment que le tems de l’écoulement étoit de 11″. Ce tems n’a pas varié avec la densité de l’air, et cela devoit être ; mais il n’en est pas moins curieux de voir la théorie si bien confirmée par l’expérience.

Pour le gaz hydrogène, j’ai donc diminué l’ouverture jusqu’à ce que le tems de l’écoulement fût égal à celui de l’air atmosphérique. Malgré cette égalité de circonstances, les variations de température ont été très-différentes, comme on va le voir par les résultats moyens de quatre expériences.

Densité
du gaz hydrogène exprimée par le baromètre.
Froid produit
dans le ballon no. 1.
Chaleur produite
dans le ballon no. 2.
0m,76 0°,92 0°,77
0m,38 0°,54 0°,54

Le froid produit dans le ballon où étoit le gaz hydrogène, au lieu d’être 0°,61, comme pour l’air atmosphérique, a été 0°,92, et la chaleur, au lieu d’être 0°,58, s’est trouvée de 0°,77. La différence qu’il y a entre 0,92 et 0,77 est beaucoup plus grande que celle de 0,61 à 0,58 ; mais comme il n’est pourtant pas probable que les variations de température qui sont dues au gaz hydrogène, suivent entre elles un autre rapport que celles qui sont dues à l’air atmosphérique, je suis porté à croire que la différence de 0,77 à 0,92 tient uniquement à quelque circonstance de l’expérience. On va voir en effet, que lorsque les températures s’éloignent moins en dessus ou en dessous de celles du milieu ambiant, il y a une plus grande égalité dans leur intensité.

La densité du gaz hydrogène se trouvant réduite à moitié dans les deux ballons, j’ai fait le vide dans le n°. 2, et après le rétablissement d’une température uniforme, je l’ai fait communiquer de nouveau avec le n°. 1. Je suppose ici que je n’ai fait qu’une expérience ; mais c’est effectivement le résultat moyen de quatre expériences que je considère. La chaleur absorbée a été 0°,54, et celle dégagée également 0°,54. Ce nombre est au-dessus de la moitié de celui 0,92 qu’a donné la première expérience, et leur différence est plus grande que celle qu’ont présentée les deux nombres correspondans 0°,34 et 0°,61 dans les expériences sur l’air atmosphérique ; ce qui me semble confirmer encore que c’est lorsque les variations de température sont très-grandes, que les erreurs sont aussi les plus fortes. Il me semble donc que lorsque le gaz hydrogène éprouve des variations de volume, par un accroissement ou par une diminution des poids qui le compriment, les variations de température qui en résultent suivent la même loi que celles dues à l’air atmosphérique, mais qu’elles sont beaucoup plus considérables.

Je ferai remarquer à cette occasion que M. Leslie, dont l’ouvrage sur la chaleur renferme de très-belles expériences et beaucoup de vues nouvelles, a été induit en erreur par quelque cause particulière lorsqu’il a vu le gaz hydrogène qu’il faisoit entrer dans un récipient vide à un dixième près d’air atmosphérique, produire le même effet que ce dernier quand il le lui substituoit. Nous venons de voir que les variations de température que produisent ces deux fluides élastiques sont très-différentes, et que par conséquent la conclusion qu’il avoit tirée, qu’ils contiennent sous le même volume la même quantité de calorique, tombe d’elle-même[4].

M’étant assuré, autant qu’il étoit en moi, des variations de température qui accompagnent celles des densités du gaz hydrogène, je me suis occupé du gaz acide carbonique.

Après avoir déterminé, par quelques essais, l’ouverture convenable pour que le tems de l’écoulement fût de 11″, comme pour ceux de l’air atmosphérique et du gaz hydrogène, j’ai opéré comme pour ces derniers gaz, et j’ai formé de la même manière le tableau suivant, qui renferme les résultats moyens de cinq expériences. Il est à remarquer que lorsque le gaz acide carbonique se précipitoit dans le ballon vide, il faisoit entendre un grand sifflement. Il est en général d’autant plus grand, que les gaz ont plus de pesanteur spécifique.

Densité du gaz
acide carbonique exprimée par le baromètre.
Froid produit
dans le ballon n°. 1.
Chaleur produite
dans le ballon n°. 2.
0m,76 0°,56 0°,50
0m,38 0°,30 0°,31

Les variations de température, soit positives, soit négatives, approchent beaucoup, comme on voit, d’être égales et de suivre la loi des densités ; mais elles sont plus petites que celles de l’air atmosphérique, et, à plus forte raison que celles du gaz hydrogène.

De même le gaz oxigène a donné, dans une seule expérience, il est vrai, mais faite avec beaucoup de soins, les résultats suivans :

Densité du gaz
oxigène exprimée par le baromètre.
Froid produit
dans le ballon n°. 1.
Chaleur produite
dans le ballon n°. 2.
0m,76 0°,58 0°,56
0m,38 0°,31 0°,32

Jusqu’à présent je n’ai pu donner plus d’étendue à mes expériences. Si nous comparons cependant les résultats que nous avons obtenus, nous serons en état d’en tirer de nouvelles conséquences à la suite de celles que nous avons déja énoncées.

Toutes circonstances égales d’aillers, nous reconnoîtrons en effet que les variations de température produites par les changemens de volume des gaz sont d’autant plus grandes, que les pesanteurs spécifiques de ces derniers sont plus petites. Ces variations sont moindres pour le gaz acide carbonique que pour le gaz oxigène ; moindres pour le gaz oxigène que pour l’air atmosphérique ; et beaucoup moindres enfin pour ce dernier que pour le gaz hydrogène, qui est le plus léger de tous. De plus, si nous remarquons que tous les gaz se dilatent également par la chaleur, et que, dans nos expériences, en occupant des volumes plus grands, mais égaux, ils ont absorbé des quantités de calorique d’autant plus grandes qu’ils ont moins de pesanteur spécifique, nous tirerons cette conséquence importante, savoir, que les capacités des gaz pour le calorique, sous des volumes égaux, suivent un rapport croissant quand leurs pesanteurs spécifiques diminuent. Mes expériences ne m’ont point encore appris quelle est la nature de ce rapport. Je regarde cependant comme possible de le déterminer, et j’espère en faire un sujet d’expériences particulier.

Le gaz hydrogène seroit donc celui de tous les gaz connus qui auroit le plus de capacité pour le calorique, si toutefois je ne me fais point illusion sur les résultats de mes expériences. Et puisque les gaz oxigène et azote diffèrent peu en pesanteur spécifique, il en résulteroit qu’ils auroient à très-peu-près la même capacité pour le calorique. Voilà pourquoi dans le Mémoire déja cité, sur l’analyse de l’air, nous avions trouvé que ces deux gaz arrêtoient à très-peu-près au même point la combustion du gaz hydrogène. Voilà encore pourquoi j’ai trouvé récemment que le gaz hydrogène l’arrête plutôt que l’oxigène et l’azote. Il seroit curieux de connoître exactement l’influence de chaque gaz pour arrêter la combustion du gaz hydrogène, et je compte aussi faire à ce sujet de nouvelles recherches.

En rapprochant les divers résultats que j’ai fait connoître dans ce Mémoire, je crois pouvoir présenter comme très-probables les conséquences suivantes qui en découlent naturellement.

1°. Lorsqu’un espace vide vient à être occupé parun gaz, le calorique qui se dégage n’est point dû au peu d’air qu’on pourroit supposer y être resté.

2°. Si l’on fait communiquer deux espaces déterminés, dont l’un soit vide et l’antre plein d’un gaz, les variations thermométriques qui ont lieu dans chaque espace sont égales entre elles.

3°. Pour le même gaz, ces variations thermométriques sont proportionnelles aux changemens de densité qu’il éprouve.

4°. Les variations de température ne sont pas les mêmes pour tous les gaz. Elles sont d’autant plus grandes, que leurs pesanteurs spécifiques sont plus petites.

5°. Les capacités d’un même gaz pour le calorique diminuent sous le même volume avec sa densité.

6°. Les capacités des gaz pour le calorique, sous des volumes égaux sont d’autant plus grandes, que leurs pesanteurs spécifiques sont plus petites.

Je crois devoir rappeler encore que je ne présente ces conséquences qu’avec la plus grande réserve, sentant moi-même combien j’ai encore besoin de varier mes expériences, et combien il est facile de s’égarer dans l’interprétation des résultats : mais quoique les nouvelles recherches dans lesquelles elles m’ont engagé soient immenses, je ne me laisserai point rebuter par leur difficulté.




  1. Journal de Physique, tom. 60.
  2. Journal des Mines, tom. 13, p. 257.
  3. An experimental inquiry into the nature and propagation of heat, by John Leslie, pag. 534.
  4. An experimental inquiry, etc. pas. 533.