Promenade aux cimetières de Paris/Père-Lachaise

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CIMETIÈRE DU PÈRE LA CHAISE,
OU
MONT-LOUIS.




Il est situé à l’extrémité des boulevards neufs, à l’est de Paris. On y arrive par la barrière d’Aulnay.

L’entrée est fort incommode, car elle se trouve dans une espèce de rue très-étroite, formée, d’un côté, par les murs de clôture, et, de l’autre, par les maisons situées hors des barrières. D’ailleurs la porte du cimetière est assez imposante, tandis que celle du Champ du Repos est mesquine et peu digne d’un lieu où reposent tant de personnes recommandables de la capitale.

On se propose de faire à ce cimetière une autre entrée, plus conforme encore à la majesté de ce grand dépôt des morts. Elle sera située dans la vallée de gauche, dont nous parlerons ci-après, presque vis-à-vis la barrière d’Aulnay, sur le boulevard, et en alignement avec la maison du père La Chaise. Déjà les premiers travaux pour élever cette nouvelle porte d’entrée sont terminés ; la maçonnerie est à plus de moitié de sa hauteur. D’après ce qu’on en voit maintenant, cette porte sera grande, et d’une élévation qui permettra de l’orner de sculptures.

En entrant par la porte actuelle de ce cimetière, on traverse d’abord une grande cour, où sont, à gauche, les logemens du concierge et du portier. De là on arrive dans le cimetière, dont la vue étonne et frappe tout individu qui y entre pour la première fois. On voit alors, encore sur la gauche, un long bâtiment qui servait autrefois de serres chaudes, et qui, maintenant, quoique tombant en ruines, renferme les ateliers d’un marbrier qui s’y est établi, et s’y occupe à faire d’avance des tombes, destinées à prendre place dans le cimetière.

L’enclos qui forme le cimetière était autrefois la propriété du fameux confesseur de Louis XIV, le père La Chaise. Le monarque voulant témoigner à son confesseur sa satisfaction, choisit cet emplacement pour lui construire une maison de campagne et un parc. Cette circonstance fit nommer ce lieu le Mont-Louis, et long-temps il a gardé cette dénomination, qui rappelait que c’était un ouvrage de Louis-le-Grand. On ne commença à lui donner le nom du père La Chaise, qu’à l’époque de la révolution, et lorsque la mode était de déclamer contre les prêtres et contre leurs œuvres.

La maison que Louis XIV avait fait bâtir pour le jésuite La Chaise, existe encore aujourd’hui ; mais depuis long-temps elle est abandonnée, et l’était bien avant même que l’on songeât à faire de son enclos un cimetière. Elle est dans un état de délabrement qui contraste singulièrement avec l’éclat dont elle devait briller, dans le temps où, sur les pas de la dévote madame de Maintenon, toute la cour se portait en foule dans le manoir du jésuite, devenu l’arbitre de Louis XIV et de toute la France. C’est dans cette maison, maintenant la retraite des chauve-souris et des oiseaux nocturnes, qu’ont été, pendant si long-temps, agitées ces vaines et futiles questions de controverse, qui ont divisé, ensanglante la France, et peut-être préparé l’horrible tempête de notre révolution. Ah ! qui eut dit à ce père La Chaise, alors si puissant, qu’un temps viendrait ou son nom, si crains, si révéré de toute la France, serait en exécration à la plus grande partie de la nation ; qu’un temps viendrait où sa maison de plaisance, fréquentée par les personnages les plus importans de l’état, serait changée en un séjour de mort et de deuil, en un cimetière ! Leçon sublime, et qui démontre de nouveau toute la vanité des choses humaines !

Cette maison du père La Chaise s’élève assez majestueusement sur la pente très-escarpée de la colline, qui forme la plus grande partie du cimetière, pareille à ces monumens construits à grands frais par les anciens, dans les déserts. Elle domine entièrement ce vaste séjour de ruines ; et, grande ruine elle-même, elle semble, par le souvenir qu’elle rappelle, être placée là, comme un jalon, sur la route du passé. Son aspect, aux yeux de ceux qui connaissent son histoire, double la tristesse et la mélancolie qu’inspire naturellement la vue d’un cimetière. Dans ce lieu, où les tombeaux se pressent les uns contre les autres avec une rapidité effrayante, elle ressemble elle-même à un vaste tombeau, d’où les victimes des Cévennes et des dragonnades poussent encore des cris de vengeance contre celui qui les persécuta.

À côté de cette maison, qui cependant n’a jamais dû être belle, et dont le seul mérite était d’être dans une magnifique position, on voit encore les traces et l’emplacement des fossés, et des bassins qui l’entouraient, et fournissaient l’eau nécessaire au service de l’intérieur et à l’arrosement des jardins. Cette eau était amenée par un petit canal souterrain, qui paraît venir des hauteurs voisines, et qui existe encore en partie. Il est situé à droite de la maison, au-dessus d’un enfoncement de terre que l’on reconnaît facilement pour un ancien bassin, et dans lequel ont crû des saules assez élevés. On descend dans le canal, par quelques marches en partie ruinées. L’eau n’y coule plus. Celle qu’on y trouve ne paraît venir que des terres supérieures. Elle sert au jardinier du cimetière, pour arroser les petits jardins qui entourent les tombeaux. Il la transporte d’un tombeau à l’autre, dans une voiture trainée par un âne. Cette eau est assez limpide et bonne à boire.

Le cimetière du père La Chaise est le plus vaste des quatre cimetières de Paris. On assure qu’il a au moins 60 ou 80 arpens d’étendue, entièrement clos de murs en pierre. Il se compose, ainsi que nous l’avons dit, principalement d’une colline. A l’entrée seulement, le terrain offre quelque apparence de plaine, et à droite, du côté de Charonne et de Vincennes, est une espèce de vallée qui, dans le temps où ce lieu était une maison de plaisance, devait être charmante. A gauche et derrière les bâtimens de la cour, est une autre plaine, où le concierge et le portier ont établi des jardins, et où se creusent journellement les fosses communes. La colline et la vallée de droite sont destinées à recevoir les tombes monumentales.

Dans le temps que ce cimetière était un lieu de plaisir, ainsi que nous l’avons déjà indiqué, sa position devait faire le charme principal de cette habitation. Il est peu d’endroits, dans les environs de Paris, dont la perspective soit aussi étendue et aussi variée. Des appartemens de sa maison, le père La Chaise dominait la capitale à l’ouest, apercevait Belleville, Montmartre et Menilmontant ; au midi, sa vue embrassait tout l’horizon de Bicêtre et de Meudon ; et, à l’est, elle planait délicieusement sur la belle plaine de Saint-Mande, Montreuil, Vincennes, et sur les rives si fertiles et si riantes de la Marne. Maintenant déserte, cette colline, qui est presque au niveau du dôme du Panthéon, présente de loin sa solitude et ses tombeaux aux voyageurs qui arrivent à Paris, par les routes du levant, du midi et du couchant ; et celui qui la visite voit, d’un même coup-d’œil, le séjour des vivans et celui des morts.

Nous l’avouerons, cette magnifique position du cimetière du père La Chaise nous paraît s’opposer à ce que l’ame puisse s’y trouver aussi vivement affectée qu’au Champ du Repos. Celui-ci, située dans le fond d’une ancienne carrière, entouré de murs qui lui dérobent la vue de tout objet environnant, invite avec bien plus d’énergie au recueillement. N’ayant autour de soi que des tombeaux, on se croit véritablement dans le séjour de la mort ; on n’est occupé que d’une seule idée, celle du trépas ; au lieu qu’au cimetière du père La Chaise, l’œil qui s’égare indistinctement, et sur la capitale, et sur les riantes campagnes qui l’entourent, en reçoit trop de distraction, et ôte à l’homme le pouvoir de s’attrister, quand, autour de lui, tout respire la vie, le luxe de la nature, et que, pour penser à la mort, il lui faut baisser la vue à ses pieds, et détourner ses regards du tableau magique qui se déroule devant lui. Aussi nous avons souvent remarqué, dans les promenades solitaires que nous avons faites à ces deux grands dépôts de la mort, cette différence que nous signalons. La tristesse et la mélancolie se lisent sur le visage de ceux qui visitent la sombre et mystérieuse vallée du Champ du Repos, tandis qu’au cimetière du père La Chaise, nous n’avons observé que de la distraction et de l’indifférence. Souvent nous avons vu rire et folâtrer dans celui-ci, et toujours, presque toujours, nous avons été émus nous-mêmes, en voyant des larmes sillonner les joues des personnes qu’une douleur vraie ou sympathique amène au Champ du Repos.

Les tombeaux que l’on rencontre dans le cimetière du père La Chaise, sont généralement constants avec plus de luxe et de magnificence qu’au Champ du Repos. On voit que ce sont, pour la plupart, des tombeaux d’apparat, élevés, par la vanité, bien plus encore que par la douleur ; car le cimetière du père La Chaise ; qui ne sert guère que depuis douze ans, est devenu le cimetière à la mode, dans ce pays où tout est soumis aux lois de cette frivole déesse. C’est là que les riches et les grands de la capitale choisissent presque tous leurs sépultures. Il n’est pas rare d’y voir des tombeaux, dont l’emplacement est concédé perpétuité aux familles des défunts. Ces concessions de terrain ne s’accordent qu’à prix d’argent, et c’est précisément la raison qui les fait rechercher. La manie de se distinguer est si bien dans la nature de l’homme, qu’il s’efforce de la satisfaire, même après sa mort. Dans la revue que nous allons faire des tombeaux les plus remarquables du cimetière du père La Chaise, nous aurons occasion de citer plusieurs de ces tombes, construites pour servir de sépulture aux générations de toute une famille.

Le terrain s’y vend au mètre carré, et chaque mètre coûte, d’après ce que nous a dit le concierge, au moins 350 francs.

Le cimetière du père La Chaise offre une singularité que n’ont point les autres cimetières de Paris. Destiné autrefois à faire les délices d’un homme puissant, il conserve encore aujourd’hui des objets qui rappellent cette destination. Ainsi, les allées d’arbres que l’on y voit indiquent les lieux d’agrément de cette propriété, tandis que les abricotiers, pruniers, poiriers et pommiers, qui aujourd’hui encore fleurissent et rapportent des fruits dans ce séjour de mort, annoncent l’endroit où était le verger du révérend père. Ce bizarre mélange de tombeaux, avec des objets qui supposent la vie de l’homme, de cyprès, de peupliers et de saules pleureurs, avec des arbres à la culture desquels la main de l’homme est nécessaire, est encore une des causes qui rendent la vue de ce cimetière moins attristante que celle du Champ du Repos.

De même que nous l’avons fait pour celui-ci, nous allons parcourir rapidement les tombes du cimetière du père La Chaise, et citer celles qui nous paraîtront présenter quelque intérêt.

I. A droite, en montant à la maison du père La Chaise, et presque à l’entrée du cimetière, on trouve un tombeau, en pierre, assez bien exécuté, et surmonté d’une petite urne ornée d’immortelles. Sur la façade septentrionale de ce tombeau, on lit cette épitaphe, copiée sur une autre du Champ du Repos (voyez no  XVIII).

ICI REPOSE
Geneviève-Euphrasie-Brigide VESQUER,
Agée de dix-sept ans sept mois.
Repose en paix, fille chérie ;
L’inexorable mort, qui termina ta vie,
De tes vertus a vu finir le cours ;
Mais, dans nos cœurs, ah ! tu vivras toujours.
Quand on connut son ame, et si belle et si tendre,
On ne peut s’empêcher de répandre des pleura ;
Mortel, qui que tu sois, foulant ici sa cendre,
Révère son asile, il est cher aux bons cœurs.

Sur la façade de l’ouest est écrit :

Enfant chéri,
Tu vécus trop peu pour ceux qui t’ont connue,
O deuil éternel !
Pleurons et prions pour elle.

Sur la façade de l’est :

Les frères et sœurs
A la plus tendre des sœurs.


II. A gauche, en montant, on voit une tombe, en forme de coffre, élevée de deux pieds, et supportée par quatre boules, aussi en pierre ; sur le côté méridional est cette inscription :

A LA MÉMOIRE
De madame Adélaïde GINOT,
Epouse de M. RAVENNEL, commissaire des guerres,
Enlevée à sa famille et à ses enfans,
Le 12 octobre 1813.

Si les vertus pouvaient prolonger la carrière,
Adélaïde, hélas ! eût vécu plus long-temps :
Elle fut tendre épouse, elle fut bonne mère ;
Plaignez son époux, ses enfans.


III. A droite, en montant, dans la même direction, on remarque un tombeau, en pierre, surmonté d’une urne, en marbre noir, sur laquelle est écrit en lettres d’or :

CINERARIUM.

Ici dort à l’abri d’un simple monument
Une amie, une épouse, une mère chérie,
Qui du bonheur des siens fit celui de sa vie,
Et fut riche des dons versés sur l’indigent.

Au-dessous de ces quatre vers, sont quatre autres vers latins, qui n’en sont que la traduction littérale :

Cara parens natoe, conjux dilecta marito,
Hoc tumulo modico dulcis amica jacet :
Illa suis vitam dedit ingeniosa beandis
Ære dato miseris dives et illa fuit.
J. F. GRACE des Isnards,
Epouse de J. A. BERGON, conseiller d’état,
Née, à Paris, le 14 septembre 1767 ;
Morte, le 17 Juin 1814.

Ce tombeau est entouré d’un fort joli jardin, cultivé avec soin. On y voit des jacinthes, des immortelles, et d’autres fleurs plantées tout récemment.


IV. Dans la même direction, en montant à droite, on rencontre un bosquet planté d’arbres, et entouré d’une grille. Au milieu s’élève une colonne, en pierre, terminée par une urne cinéraire, portant cette inscription :

ICI REPOSE
Frédéric Humbert DE LA TOUR-DUPIN,
Décédé, le 28 Janvier 1814,

Sur la pierre, qui sert de base à la colonne, on lit :

A LA MÉMOIRE D’HUMBERT
Ses amis désolés.

Nourri par les vertus, formé par la nature,
Son cœur fut généreux, et son ame était pure ;
Il aimait à compter ses jours par ses bienfaits :
Ses amis compteront les leurs par des regrets.


V. Encore en montant, à gauche, est une colonne, en marbre blanc grisâtre, surmontée d’une urne remarquable par la simplicité touchante de l’épitaphe qu’elle supporte :

ICI REPOSE
Marianne DIEDERICKE,
Comtesse de la MARK,
De Dessau en Prusse,
Décédée, le 11 juin 1814, âgée de 34 ans.
Qui l’a connue la pleure.


VI. Presque à côté de ce dernier tombeau, est, sur une base en marbre noir, un tombeau, en forme de piédestal, en marbre blanc, sur laquelle on lit :

Marie-Joseph de CHENIER,
Né, à Constantinople, en 1764 ;
Mort, à Paris, en 1811.

Nous aurons occasion de remarquer plusieurs autres tombes, qui portent des épitaphes aussi simples. Les grands hommes n’ont besoin que de leur nom, pour attirer, près du tombeau où repose leur cendre, le voyageur instruit qui connait leurs actions ou leurs ouvrages.

VII. A gauche du tombeau de Chénier, sous des arbres formant allée, est celui du Chantre des Jardins, le Virgile français. Ce tombeau de grande dimension, et construit en pierres solides, a un intérieur assez vaste. On y entre par une porte de bronze. Au-dessus de cette porte, exposée au midi, est gravée, sur la pierre, cette inscription qui dit tout :

JACQUES DELILLE.

La même inscription est répétée sur la façade septentrionale, et gravée en lettres d’or sur un marbre qui semble attendre une épitaphe digne du dernier poète français. Ce tombeau est entouré d’un jardin, le plus vaste et le mieux entretenu que nous ayons observé au cimetière du père La Chaise. Plusieurs espèces d’arbrisseaux et une foule de fleurs ornent et embellissent ce petit bosquet, consacré à la mémoire de celui dont la muse, aimable et ingénieuse, acélébré, en si beaux vers, et les charmes des jardins, et ceux de la campagne. Une grille, en fer, et fort élégante, entoure et ferme ce terrestre élysée, et des tilleuls, plants depuis long-temps, étendent leurs ombres protectrices sur ce dernier séjour du Chantre de la Nature.

Au moment où nous visitions ce monument, élevé par l’amour conjugal, à la mémoire du meilleur des hommes, des jardiniers travaillaient dans ce bosquet funéraire. La porte de bronze du caveau sépulcral était ouverte. Nous sollicitâmes et obtînmes la permission d’y entrer. Ce fut avec un respect religieux que nous pénétrâmes dans cette dernière demeure d’un homme, qui fait autant d’honneur à sa patrie par ses excellens sentimens que par son beau talent pour la poésie. Après être long-temps resté en contemplation devant le cercueil de plomb qui contient les restes mortels de Jacques Delille, nous tirâmes notre crayon, et, d’une main dirigée par l’admiration, nous écrivîmes, sur la pierre intérieure du monument, ce passage si connu d’Horace :

« Exegit monumentum
Ære perennius. »

VIII. À gauche du tombeau de Delille, dans la même allée, et pour ainsi dire sous l’ombrage des mêmes arbres, au milieu d’un petit bosquet, aussi très-bien entretenu, est une colonne, surmontée d’une urne funéraire. Sur la colonne on voit, gravée au trait, une sphère, symbole du genre de talent du décédé. Au bas on lit :

EDME MENTELLE,
Membre de l’Institut.
Décédé,
Le 20 décembre 1815,
A l’âge de 86 ans.
OΥ TAP ΛOKEINAPIΣTOΣ
AΛΛ’ EINAI ΘEΛEI.


IX. A côté du tombeau de Delille, sur la même ligne et à droite, est une tombe carrée, en marbre blanc. Sur la façade, vis-à-vis le tombeau du poète, est sculptée, en or, une lyre ; et, au bas, on fit cette inscription, aussi en lettres d’or :

André-Ernest-Modeste
GRETRY,
Né, à Liège, le 11 février 1741,
Décédé, à l’hermitage d’Emile,
Le 24 septembre 1813,
Repose
Sous ce monument,
Erigé à sa mémoire
Par ses neveux et ses nièces.

X. Un peu au-dessus de ce dernier, est un tombeau, en pierre, et presque de la même forme. Dans une niche pratiquée dans l’épaisseur de la pierre, est un buste, en marbre blanc. Au bas de ce buste est écrit :

A. F. FOURCROY.

XI. A quelque distance, et presque vis-à-vis, est un grand et vaste tombeau, surmonté d’une petite croix sur le devant, le tout en pierre. Sur la façade principale, qui donne vis-à-vis la porte d’entrée du cimetière, est gravée, en lettres d’or, sur une plaque de marbre noir, cette épitaphe :

HIC JACET
Vir omnibus desiderandus
Eduardus-Franciscus-Maria BOSQUILLON,
Lector regius necnon grœcarum litterarum, incollegio regio, professor,
Facultatis medicœ Edimburgi socius,
Qui dum vivebat œgros restituit, egens opitulatus est,
Fuit artis medicæ tironum patronus.
Amicis carus ! unica conjugis dilectissimæ cura !
Obiit, anno reparatæ salutis M. D. CCC. XIV,
Die vigesima prima novembris, ætatis vero suæ 70.
Requiescat in pace.
Hoc monumentum, amoris pignus, erigi curavit dilectissima conjux
Maria NAUDIN,
Eodem in sepulchro, jubente Deo, olim recondenda.


XII. Au-dessus, un peu à gauche, est un tombeau carré, en forme de piédestal et en pierre simple, au milieu d’un petit jardin très-bien entretenu, et entouré d’une grille. Un buste, en marbre blanc, d’une parfaite ressemblance, est placé sur cette tombe. Au bas, sur le tombeau, on lit :

Marie-Antoinette-Joseph
RAUCOURT.
15 Janvier 1815.

Derrière est écrit :

Terrain de 12 mètres
Concédé à perpétuité.

Ainsi, malgré la résistance des prêtres, qui, lors de son décès, faillirent, par leur en entêtement, causer une émeute, cette célèbre actrice, qui fait aujourd’hui un si grand vide sur la scène française, jouit paisiblement d’un petit coin du cimetière du père La Chaise, après avoir rempli la France et l’Italie de la gloire de son nom (voyez mademoiselle Chameroy, au Champ du Repos, no  X).

XIII. A côté de mademoiselle Raucourt, à gauche, est une
tombe carrée, en pierre, extrêmement simple. On y lit cette

charmante épitaphe :

ICI REPOSE
Mon meilleur ami.
C’était mon frère.
Octobre 1813.
ISABEI.


XIV. Sur une simple pierre couchée, et qui se trouve sur la hauteur, vis-à-vis l’entrée du cimetière, on lit :

M. Mte.-Sophie CARRIER,
Epouse NIVELIN, âgée de 30 ans,
Décédé, le 17 septembre 1815.

Plaignez mon sort, pour moi la vie eut peu de charmes ;
Dans des chagrins amers, j’ai passé plus d’un jour ;
A peine un doux hymen avait séché mes larmes
Que je fus appelée à ce triste séjour.

Cette épitaphe porte avec elle l’empreinte d’une douce mélancolie. On devine que de longs obstacles s’étaient opposés à son union avec son époux. Hélas ! c’étaient là ces chagrins amers qui ont hâté la fin de sa vie. Pauvre femme ! oh ! oui, en voyant ton tombeau, nous avons plaint ton sort.


XV. Sur le sommet de la colline, en allant au midi, et près le mur de clôture de l’est, est une tombe carrée, en pierre. Un marbre noir, qui forme la façade de l’ouest, présente cette inscription :

J. KOMARSVECKI,
Général de l’armée de la république,
Et du roi de Pologne,
Décédé, à Paris, le 1er février 1810.
Le roi lui accorda une confiance sans bornes ;
La diète lui décerna une récompense publique ;
Les grands le persécutèrent.


XVI. En suivant à droite, et se dirigeant vers le midi, on trouve une tombe carrée, debout, très-simple, entourée d’une petite grille, et couverte d’une pierre plate, sur laquelle ou lit :

Dans toute ma vie,
Je n’ai fait tort à personne.

Sur la tombe, debout, est cette épitaphe :

ICI REPOSE
Etienne-Antoine-Marie CHAMPION,
Comte de NANSOUTY,
Né, en Bourgogne, le 30 mai 1768,
Lieutenant-général des armées du roi,
Inspecteur-général des dragons,
Capitaine-lieutenant
De la première compagnie
Des mousquetaires de la garde du roi,
Grand cordon de la Légion-d’Honneur,
Chevalier des ordres militaires
Et royaux de Saint-Louis,
Et de Notre-Dame de Mont-Carmel,
Grand’croix de l’ordre royal
De l’aigle d’or de Wurtemberg,
Décédé, à Paris, le 12 février 1815.

Derrière ce tombeau modeste, consacré à la mémoire d’un des plus célèbres militaires français, est gravée cette courte prière, adressée sans doute par sa veuve :

Passant, priez pour lui,
Pleurez sur son fils et sur moi.
Érigé à sa mémoire
Par ses neveux et ses nièces.

A droite, en entrant dans l’espèce de vallon qui s’étend du nord au sud-ouest, et forme, de ce côté, le pied de la colline, on remarque un petit bosquet ou jardin fort bien entretenu, planté de rosiers, de fleurs, d’arbres verts, et entourant et couvrant de leur ombre une simple pierre couchée. Derrière ce bosquet, et au midi, est un petit banc ; vis-à-vis, un jeune saule pleureur étend ses branches mélancoliques vers la terre. Sur cette tombe modeste, on lit :

CI GIT
Georges-Etienne LEROUX,
Né le 4 décembre 1755 ;
Mort, le 1er avril 1815.

Vertueux, bienfaisant, tendre époux et bon père,
Il fit de ses amis autant d’admirateurs.
La mort l’enferme en vain sous cette froide pierre ;
Son souvenir vivra constamment dans nos cœurs.

Pendant que nous étions occupés à transcrire cette touchante épitaphe, une femme, en habit de deuil, et encore jeune, parut vouloir s’en approcher. Présumant que ce pouvait être la veuve du défunt, nous nous éloignâmes avec respect. Elle s’approcha du tombeau, en fit plusieurs fois le tour ; puis, s’asseyant sur le petit banc, elle se mit à tresser une couronne de fleurs, et la déposa de la manière la plus solennelle sur cette pierre, qui couvre le corps de son mari. Nous ne saurions dire combien ce spectacle nous a délicieusement émus. Ah ! dans ce siècle corrompu, il est si rare de rencontrer à Paris l’exemple d’une douleur aussi profonde, et pourtant si légitime !

XVIII. Non loin de cette dernière tombe, dans la même vallée, et tout contre le mur de clôture, est aussi un petit bosquet fermé d’une légère grille en bois. Il contient deux pots de fleurs, deux rosiers, une croix en bois, et une caisse dans laquelle est un arbuste. On ne voit ni marbre ni pierre sur cette tombe nouvellement creusée, et que l’herbe n’a pas encore recouverte. Nous ne l’eussions pas même remarquée, si, pendant que nous observions la pauvre veuve tressant sa couronne funèbre, nous n’eussions pas vu auprès de ce bosquet solitaire un officier décoré, qui, les bras croisés sur sa poitrine, et la tête penchée tristement vers la terre, semblait accablé par la douleur, ou par un autre sentiment. Il resta plus d’une demi-heure dans cette posture contemplative ; puis, levant tout-à-coup les mains au ciel, il s’en alla. Curieux de voir qui pouvait affecter aussi profondément un homme habitué à affronter la mort dans les batailles, nous nous approchâmes de ce bosquet dépourvu de tombe monumentale. Notre étonnement redoubla, en voyant qu’il n’y avait pas même d’inscription indicative ; mais il cessa bientôt quand, avec quelque attention, nous vîmes, gravé au couteau, ce nom si connu dans nos derniers troubles :

LABÉDOYÈRE.

Labédoyère ! ah ! sans doute l’officier contemplateur était un ami de ce malheureux jeune homme, qui périt victime de son égarement, qui, digne de servir la bonne cause, se laissa entrainer par ses passions et son ancien attachement à son premier chef. La douleur de l’officier nous parut alors bien naturelle ; et, tout en maudissant la cause qu’il a servie, nous nous sommes attendris au souvenir de ce jeune guerrier, qui fut aveuglé par l’esprit de parti, et nous avons regretté que la nature, en le donant des qualités les plus brillantes, ne lui eût pas donné le discernement nécessaire pour reconnaître, dans la lutte terrible à laquelle il a pris une part malheureusement trop active, ce qui pouvait être plus avantageux à sa patrie…


XIX. À gauche, et presque vis-à-vis le bosquet qui couvre les restes de Labédoyère, est un tombeau construit en marbre blanc, et élevé d’à peu près cinq pieds. Sur la face principal, on lit cette épitaphe :

ICI REPOSE
Claire-Amélie-Victoire de JONQUIÈRES,
Née, le 26 août 1813 ;
Morte, le 21 avril 1814.

Au-dessous de cette inscription, est sculpte un hibou ou chouette, oiseau nocturne, et ami des lieux solitaires et funèbres. Il tient dans ses pattes deux branches de lis. Au-dessous est cette autre inscription en vers :

Comme une frêle et tendre fleur,
J’ai vu, des le matin, la fin de ma journée ;
Je croissais pour aimer ; ce fut tout mon bonheur.
Le regret de ma perte est la seule douleur
Qu’a mes bons parens j’ai donnée.


XX. Sur le penchant de la colline, à gauche de la vallée, presque à côté du tombeau de mademoiselle de Jonquières, est celui du fils de M. Le Maire, professeur à l’école normale de Paris. Ce tombeau est de forme triangulaire, en marbre noir granit. Aux trois angles du tombeau, sont trois urnes en marbre pareil, sur lesquelles sont écrits, pater, mater, filius. Sur la façade qui est au sud-est, et dont l’urne porte filias, on lit cette inscription que M. Le Maire a compose pour son malheureux fils :

Hic sita sunt ossa
Alexandri Hectoris LE MAIRE,
Quem 18 annos peragentem,
Emerito rhetorices cursu,
Jurisprudentiæ rudimenta simul
Et philosophiæ tirocinia ineuntem,
Latinæ poëseos laude jam egregium,
Non unius palmæ puerum,
Corporis et animi dotibus florentem,
Optimæ matris delicias,
Patris magistri decus,
Improvisa mortis acerbæ vi interceptum,
Die 11 decembris 1812,
Illacrymavertunt æquales, amici ;
Etiam ignoti indoluerunt.

Du côté du nord-est, l’urne porte pater, et sur le marbre de la façade, on lit :

O generose puer,
Tu frustra puis,
In cetemo sepulchri exilio jaces ;
Sed non diù solus ibi morabere ;
Mox aderunt, quos præcessisse non decuit,
Et juxta te medium, dextra lævaque componendi.
Sub eodem et proprio cespite conquiescent ;
Hinc qui jam non pater,
Nænia solemni, sineret dolor, te prosequeretur ;
Illinc, miserrima inter omnes mater,
Quæ consolari non vult, quia non es.
Vale et nos expecta
Non longinquo digressu separatos.

A côté de ce tombeau, on trouve celui de M. Henri AGASSE, successeur et gendre de feu M. PANCKOUCKE, le plus célèbre libraire de l’Europe. Son épitaphe annonce qu’il avait des vertus qui ont honoré sa vie. Ce monument a été élevé sur les dessins de M. Peyre, architecte du gouvernement.

XXI. Sur la hauteur, est un petit bosquet parfaitement soigné, sans tombe. Du milieu de cette modeste enceinte s’élève une grosse croix en bois peint en noir, sur laquelle on lit :

ICI REPOSE
Claude dit PIERRE,
Inventeur de l’ingénieux spectacle
Mécanique et pittoresque,
Décédé, le 26 septembre 1814, âgé de 75 ans.
L’amitié reconnaissante
De ses élèves
Lui a fait ériger ce faible monument.
De profundis.


XXII. A l’extrémité supérieure du cimetière, presque en face de la maison, et près le mir de l’est, se trouve un tombeau, en pierre, entouré d’un jardin fermé d’une grille en bois, planté d’arbres verts, et accompagné d’un petit banc. La façade principale du tombeau est en marbre noir, sur lequel est gravé, en lettres d’or :

A LA MÉMOIRE
De madame Julie-Catherine GUÉRITAUT,
Veuve de M. MICHEL, docteur en médecine,
Née à Rouen, le 29 avril 1749 ;
Morte à Paris, le 15 septembre 1815.

Ci git la plus tendre des mères,
Celle qui m’adopta dans les nuits du malheur :
Je dus à ses vertus mes jours les plus prospères,
Je lui dois, à sa mort, ce tribut de douleur.

Au bas de cette épitaphe sont gravées, aussi en or, deux branches de cyprès.


XXIII. Sur le point le plus élevé du cimetière, d’où la vue s’étend et plane sur la partie orientale de Paris, et sur toute la vallée située entre cette cité et Vincennes, est un petit plateau appelé autrefois, à cause de sa superbe position, le Belvédère. Là, au milieu, et sous l’ombrage de huit tilleuls plantés en carré, est une tombe très-bien exécutée, en forme de petite maison. Sur la façade principale, qui est du côté de Paris, est gravée cette épitaphe :

FRID. MESTREZAT
Ecclesiœ Genev. alumnus,
Basil. pastor dilectus,
Paris. spes et decus,
Doctrind, eloquio, morum amœnitate
Conspicuus,
Uxori, liberis, amicis ante diem ereptus,
Die VIII maii an. MDCCCVII,
Ætatis XLVII,
Fide jam resurgens,
HIC JACET.

Sur la face opposée de ce monument, est cette autre inscription :

Il se repose de ses travaux,
Et ses œuvres le suivent.


Au sujet de cette tombe d’un ministre protestant, élevée au milieu des tombeaux catholiques, et dans l’ancienne propriété d’un des plus cruels persécuteurs du protestantisme, M. Caillot s’écrie : « O pouvoir des temps et des révolutions qu’il traine à sa suite ! un ministère de Calvin repose non loin de ce Charenton, où la religion réformée vit son temple démoli, et ses prédicateurs proscrits ! Il repose sous cette terre, où un jésuite venait sans doute souvent méditer ses plans d’intolérance et de persécution ! Oh ! si Claude et Julien pouvaient sortir de leurs tombes lointaines, et revenir sur les routes d’où ils pouvaient apercevoir les hauteurs menaçantes de Mont-Louis ! S’ils apprenaient que le tombeau d’un descendant des illustres Mestrezat de Genève domine au loin sur les alentours de Charenton, ne penseraient-ils pas d’abord que toute la France professe la doctrine qu’ils défendirent avec tant de courage ? Et quand ils sauraient qu’un Bourbon, qu’un descendant du pénitent du père La Chaise, commence à rassembler les morts dans les mêmes sépulcres, en attendant qu’il puisse déterminer les vivans à se rassembler dans les mêmes temples, quel ne serait pas leur étonnement ?… »


XXIV. À côté du monument consacré à la mémoire du ministre Mestrezat, un peu sur la gauche, l’ami des lettres, l’admirateur de la vertu peut et doit remarquer un tombeau extrêmement simple, composé d’une pierre modeste légèrement inclinée, sur laquelle est écrit :

ICI REPOSE
Marie-Sophie RISTEAU,
Veuve de J. M. COTTIN.
Décédée, le 25 août
1815.

Cette pierre unique, érigée en l’honneur de l’aimable auteur de Mathilde et de Claire d’Albe, de cette femme que ses grâces naturelles et la douceur angélique de son caractère avaient fait surnommer belle et bonne par tous ceux qui la connaissaient, est placée au milieu d’un petit bosquet, garni de rosiers et entouré d’un treillage en bois.


XXV. Sur le grand plateau de l’est, bien au-dessus de la maison, entre le tombeau de madame Cottin et la chapelle gothique sépulcrale, dont nous parlerons ci-après (voyez no XXIX.), au bord du chemin qui va du midi au nord, on trouve, à droite, une petite enceinte fermée d’un faible treillage en bois, et plantée de rosiers, de thuyas et autres arbustes parfaitement entretenus. Dans cette enceinte, entièrement dépourvue de tombe, repose sans doute une fille chérie, quoiqu’appartenant à une mère peu fortunée. Mais si les faibles moyens de cette mère tendre ne lui ont pas permis d’ériger à sa fille un monument, son cœur du moins lui a inspiré deux vers, les plus touchans peut-être que nous ayons rencontrés dans le cimetière du père La Chaise. Ils sont écrits à la main, sur une petite planche de sapin, et méritent, par leur naïve simplicité, toute l’attention de l’observateur qui ne se laisse point prévenir par le faste et la magnificence. Les voici :

De ces tristes rameaux l’ombrage solitaire,
Cache aux yeux des mortels le trésor d’une mère.

Au bas, sur une planche encore plus petite, et couronnée d’un bouquet d’immortelles, est le nom de ce trésor maternel. C’est :

LOUISE ANGELINE.


XXVI. En suivant du midi au nord le même chemin, à quelque distance sur la gauche, est un tombeau fort élégant, non encore entouré de grilles. Ce monument, construit en pierre, et supporté par quatre colonnes légères, est érigé à la mémoire d’un de ces hommes qui ont consacré leur vie entière au bien de leur patrie. On sera de notre avis en lisant cette épitaphe, gravée sur la façade du sud-ouest :

ICI REPOSE
Antoine-Augustin PARMENTIER,
Pharmacien,
Membre de l’institut de France,
Du conseil général
Des hospices civils de Paris,
L’un des inspecteurs-généraux
Du service de santé des armées,
Officier de la Légion-d’Honneur ;
Né, à Montdidier, en 1737 ;
Mort, à Paris, en 1813.

Sur la façade du nord-est :

MONUMENT
Elevé à la mémoire
D’Antoine-Augustin
PARMENTIER,
Par les pharmaciens
Civils et militaires
De France,
Ses élèves, ses amis,
Ses collègues.

Divers attributs, gravés sur la pierre, accompagnent ces deux inscriptions. Sur la première façade on voit une charrue, des épis de blé et de maïs ; sur l’autre, un fourneau surmonté d’un alambic et de son récipient. A droite de celui-ci est un panier plein de pommes de terre. Ce végétal précieux, dont M. Parmentier a, pour ainsi dire, introduit la culture en France, et qui maintenant est d’une utilité si générale, devait nécessairement être gravé sur sa tombe. C’est le plus beau titre de gloire de cet homme bienfaisant.

XXVII. A quelque distance du tombeau de M. Parmentier, en suivant le même chemin, encore sur la gauche, est un des plus beaux et des plus grands tombeaux funéraires érigés dans le cimetière du père La Chaise. Monument de l’amour conjugal, il est élevé sur un large cyppe de deux pieds de haut, en marbre noir grisâtre. Le corps de la tombe est en marbre blanc, accompagné de bas-reliefs en bronze. Le tout est entouré d’une grille élégante, et aux quatre coins sont des pins déjà forts, car ce monument est un des premiers placés dans ce cimetière. Sur la façade de l’ouest est cette inscription, gravée sur le marbre, en lettres d’or :

Monument érigé
A
Dame Adélaïde-Jacques LEBOUCHER,
Décédée, le XXIX juin
An M. DCCCV de l’ère chrétienne,
XXXI de son âge,
XIII de la république française,
I du règne de Napoléon Bonaparte,
Empereur des Français,
Roi d’Italie.
Par Michel Pierre Guyot, son époux.

Au-dessus de cette inscription est, en bronze, la figure de la défunte.

Au côté du midi, on lit cette sentence :

Tout, sur la terre, se décompose et change de forme !
La fixité est dans le ciel !

Au-dessus de cette sentence sont trois bas-reliefs, sur une même plaque de bronze. Celui de gauche représente un soleil éclairant de ses rayons un jeune rosier. Au bas est écrit, aussi sur le bronze :

Il éclaira mes premiers jours.

Celui du milieu représente une colombe, les ailes déployées, et tenant dans ses pattes une branche de myrte et une rose. Au bas :

Un chaste amour est mon bonheur.

Enfin celui de droite a pour sujet une ruche, autour de laquelle voltigent des abeilles, et environnée de rosiers en fleur. La devise est :

Loin de moi les plaisirs frivoles.

Sur la façade de l’est est, en bronze, un pélican qui s’ouvre le ventre avec son bec, pour nourrir de son sang ses petits qui l’entourent. Autour est écrit :

Je meurs pour mes enfans.

Au bas, sur le marbre, est gravée, en lettres d’or, cette inscription :

Sous ce marbre repose une épouse chérie ;
Chez qui la beauté fut à la sagesse unie :
Elle vécut trop peu ; le sort, le cruel sort,
Sans pitié, la poussa sous la faux de la mort,
Hélas ! dix jours après qu’elle eut donné la vie
A sa fille du nom de Françoise-Eugénie.
Oh ! combien ses enfans lui valurent de fleurs !
Sur sa tombe, passant, verses, verses des pleurs.

Sur la façade du nord, sont également trois bas-reliefs, sur une plaque de bronze. Celui de gauche représente un jeune rosier, dont une faux, qui est au pied, vient d’abattre la principal fleur. Au bas est écrit :

Du moins épargne mes enfans.

Une chouette on hibou occupe le bas-relief du milieu, et cette inscription se lit au-dessus :

La sagesse eut pour moi des charmes.

Le bas-relief de droite représente, au ciel, le triangle céleste, symbole de la divinité ; les rayons qui partent de ce triangle se dirigent sur un tombeau, dont le frontispice porte : D. O. M., et un papillon, aux ailes légères, image allégorique de l’ame de la défunte, monte lentement sur l’un de ses rayons. Au bas de ce dernier sujet, exécuté avec beaucoup de grâce, est écrit :

Au ciel les regrets m’accompagnent.

Enfin, sur le marbre de cette façade, aussi en lettres d’or, se lit cette dernière inscription :

L’ange de la mort veille sur cette enceinte ;
Mortel, respecte le dernier asile de ton semblable.


XXVIII. Non loin de ce dernier tombeau, un peu en descendant du côté du sud-ouest, est une tombe en pierre, élevée sur une base de quatre marches. Ce monument est orné de quatre têtes sépulcrales en bronze, faisant les quatre coins. Une ligne d’étoiles de bronze couronne les quatre faces du tombeau. Sur, celle de l’ouest est l’épitaphe suivante :

CI GIT
Jean-Louis LEFEBVRE,
Né, le 20 juillet 1773, à Epernay,
Département de la Marne ;
Décédé, le 7 décembre 1812.


Artiste ingénieux, excellent citoyen,
Esprit, vertus, talens, il eut tout en partage,
Son plaisir le plus doux fut de faire du bien,
Et pour y parvenir il mit tout un usage.

Sur la façade du midi :

D’un époux adoré, compagne infortunée,
Aux regrets les plus vifs sans cesse abandonnée,
De l’affreux désespoir redoute le poison,
Aux décrets éternels fais céder la raison.

Sur celle du nord :

Fidèles compagnons de ses nobles travaux,
Il vous rendit heureux, il partagea vos maux :
Payez à ses bontés le tribut de vos larmes ;
Pour les cœurs affligés la douleur a des charmes.

Sur celle de l’est :

Tu pleures un généreux frère,
Toi qui lui survis aujourd’hui ;
De ses enfans, tu vas être le père
Ta jeunesse trouva jadis un père en lui.
Au ciel, qui l’a ravi, ses filles désolées

Redemandent l’objet de leur affliction,
Et, de leur cœur soumis, la résignation
Verse, sur la douleur qui les tient accablées,
Le baume consolant de la religion.


XXIX. A l’extrémité orientale du cimetière, sur le bord du chemin qui va du midi au nord, et presque vis-à-vis la maison du père La Chaise, est le tombeau, en forme de chapelle, dont nous avons parlé. Bâti entièrement en pierre solide, ce monument est dans le genre gothique, et présente quelque analogie avec le tombeau d’Héloïse et d’Abeillard, que l’on voit à Paris, dans une des cours du Musée des Petits-Augustins. Une belle porte, doublée en bronze ou fer bronze, ferme ce caveau sépulcral. Aucune inscription n’indique encore à qui ce monument appartient. Mais le concierge du cimetière nous a appris que la famille Greiffuhlt l’a fait bâtir, pour lui servir de sépulture. Ce monument est le plus grand du cimetière du père La Chaise. Nous invitons les curieux à le visiter.


XXX. A quelque distance de ce monument, et sur la même ligne, au milieu d’un groupe de tombeaux nouvellement placés, est une tombe souvent visitée maintenant, et qui doit sa célébrité à sa part que l’individu qu’elle renferme a prise dans nos dernières dissentions civiles ; car cette tombe par elle-même, n’a rien qui la distingue essentiellement de celles qui l’entourent. Bâtie en pierre commune, elle est d’une forme carré-long, debout, élevée à l’extrémité orientale d’un très-petit jardin entouré d’une grille très-étroite. Quatre arbres, des sapinettes, sont plantés sur cette terre qui couvre le corps d’un homme dont la réputation fut long-temps intacte. Sur la façade occidentale de ce très-modeste monument ou lit :

CI GIT
Le Maréchal NEY,
Duc d’Elchingen,
Prince de la Moscowa,
Décédé, le 7 décembre 1815

Tout le monde connaît et l’histoire de la vie et l’histoire de la mort de celui que sa valeur avait fait surnommer le brave des braves. Trois mois ont suffi pour ternir une si belle renommée. Triste effet des guerres civiles, qui vouent toujours l’un des deux partis à l’infamie ! Mis en jugement le 9 novembre 1815, le maréchal Ney fut condamné à mort, le 6 décembre, et fusillé le lendemain 7, à 9 heures du matin, en criant : Vive la patrie ! vive la nation française ! dont il avait si étrangement compromis et le salut et le bonheur. Au moment où nous avons fait notre dernière visite au cimetière du père La Chaise (le 28 avril 1816), cette tombe était jonchée de bouquets, et de couronnes de fleurs entrelacées d’immortelles. Sur la pierre, de nombreuses inscriptions avaient été mises au crayon, et sans doute elles étaient un peu trop en harmonie avec les causes qui ont conduit le maréchal à la mort, car une main plus prudente avait pris soin de les effacer. Ces fleurs, ces couronnes, ces inscriptions nous ont semblé les derniers effets d’un parti peu dangereux, depuis qu’il se borne à honorer, à sa manière, la cendre des morts.

XXXI. Sur le grand plateau, vis-à-vis la maison du père La Chaise, à l’extrémité orientale du cimetière, entre plusieurs tombeaux vulgaires, nous en avons remarqué un, à cause de son épitaphe. Sur une simple pierre debout on lit :

A Laurence SALLIN,
Femme SAUCÉ fils,
Décédée, le 24 juillet 1815.

Tes vertus, ton esprit, ta bonté, ta jeunesse,
Et mes sains empressés, et ma rive tendresse
N’ont pas, du sort cruel, adouci la rigueur :
Hélas ! je ne puis plus espérer le bonheur.

Derrière la pierre, en dehors de la petite enceinte qui l’entoure, est un saule pleureur, et aux quatre coins on cyprès : sur la pierre également derrière, est écrit, au crayon, probablement par le fils de la défunte :

Au modèle
De toutes les vertus,
A la plus tendre des mères,
A la bienfaisance même.

Hélas ! un peu de terre me dérobe à jamais
Celle dont en tous lieux je cherche en vain les traits ;


XXXII. A côté de cette dernière, à droite ; sur un marbre debout, accompagné d’un petit jardin planté de rosiers, et entouré d’un léger treillage en bois, est écrite, en lettres d’or, cette épitaphe :

Aux portes du trépas, une mère en alarmes
Voulut voir ses enfans, pour essuyer leurs larmes ;
Elle aperçoit sa fille, embrasse ses enfans,
Et fut encore heureuse à ses derniers momens.
Sa belle ame, en quittant sa dépouille mortelle,
A laissé, dans nos cœurs, une peine éternelle.
Ses enfans,

Marie, BOITUZET, Son époux,
Pierre BOITUZET.
Félicité,
Aline.

XXXIII. A l’extrémité et sur le bord même du grand chemin du nord, est un petit jardin très-bien soigné. Aux quatre coins sont des cyprès ; le milieu contient différentes fleurs, telles que des violettes, des pensées, etc. Cette terre recouvre surement une personne dont la famille est peu favorisée de la fortune, car il n’y a pas même de pierre indicative sur ce tombeau. On y voit seulement, au bout occidental, un simulacre de tombe en planches réunies et peintes en noir, sur lesquelles est écrit, en blanc, cette épitaphe :

A LA MÉMOIRE
De Françoise BELLAY, âgée de 23 ans,
Décédée, le 13 mai 1814.

Objet de mes regrets, chaste sceur, tendre amie,
Ton ame, en paix, au ciel, va jouir du bonheur :
Je finirai sans toi le trajet de la vie ;
Mais nous nous reverrons dans un monde meilleur.
Du séjour des heureux que ton ombre chérie
Veille sur mes destins, qu’elle éclaire mes pas :
T’égaler en vertus, voilà ma seule envie.
Plains ton malheureux frère, il pleure ton trépas.

Au bas de cette tombe, en bois, sont plantés deux rosiers entrelacés et tenus courbés vers la terre par une chaîne d’immortelles blanches. Au-dessus de la tombe, est un petit Christ en Bronze.


XXXIV. En descendant de la maison du père La Chaise, au pied de l’escalier de droite, on remarque un des plus beaux monumens du cimetière. Ce tombeau est construit en marbre gris blanc, et il est élevé sur une magnifique base de même matière. Son enceinte est fermée par une grille en fer, à hauteur d’appui, et elle est couverte d’un épais gazon qui relève encore la beauté du monument. Sur la façade de l’ouest, on lit cette épitaphe :

CI GIT
Jean-Daniel-Guillaume-Joseph
LENOIR-DUFRESNE,
Né à Alençon, le 24 juin 1768 ;
Décédé, à Paris, le 22 avril 1806.

Sur la façade du nord, est cette autre inscription, aussi en lettres d’or, qui vaut mieux que la plus sublime épitaphe :

Plus de cinq mille ouvriers,
Qu’alimenta son génie, qu’encouragea son exemple,
Sont venus pleurer, sur cette tombe,
Un père, un ami.

Sur celle du midi, est cette autre, digne de la précédente :

Puissent ses mânes jouir paisiblement
Et du bien qu’il a fait, et des regrets honorables
Que l’industrie et le commerce français
Donnent à sa mémoire !

Enfin, sur la façade de l’est, est cette invitation, que suivront surement tous ceux qui savent apprécier le mérite utile et bien-faisant :

Honneur
Et
Respect
Aux cendres
D’un citoyen vertueux.

Les deux façades du nord et du sud sont ornées de bas-reliefs, gravés en creux sur le marbre, au-dessous des inscriptions. D’un côté, celui du midi, le bas-relief représente divers attributs du commerce, tels qu’un vaisseau, des ballots, etc. ; de l’autre, c’est un caducée, baguette de Mercure, dieu du commerce.

Les bas-reliefs, gravés en creux, sont jusqu’ici fort rares en France. Cependant ils conviennent beaucoup mieux à un monument qu’on veut rendre durable, que ceux, plus usités, graves en saillie. Les parties saillantes d’un objet quelconque, étant toujours celles que l’influence de l’air détruit les premières, on conçoit facilement que la sculpture rentrante doit résister davantage aux injures du temps. Les Egyptiens, dont le génie avait surtout travaillé à trouver les moyens de donner une grande durée à leurs monumens, avaient, en conséquence du principe énoncé plus haut, adopte les sculptures en creux. Tous les hiéroglyphes, dont ils surchargeaient leurs monumens avec tant de profusion, étaient gravés de cette manière. Aussi on en trouve encore qui existent depuis des milliers d’années, et c’est cette observation qui a engagé quelques-uns de nos artistes à l’adopter. Ce qui prouve, de nouveau, combien les voyages sont utiles à celui qui s’occupe de l’étude des beaux-arts. L’adoption, en France, de ce genre de sculpture égyptienne, est le fruit de l’expédition faite par Bonaparte, en Égypte, et l’on doit désirer qu’elle soit mise plus généralement en usage. Elle a, il est vrai, moins de grâce que celle en relief ; mais, nous le répétons, elle gagne en durée ce qu’elle perd sous le rapport de la beauté.

XXXV. En suivant dans la même direction, un peu sur la gauche, toujours en descendant de la maison, est un autre monument, non moins remarquable que le précédent par son exécution. Bâti en marbre gris-noir, il est de forme carrée-longue, et est surmonté d’une espèce de niche, de même matière, dans laquelle est, en bronze, le buste du défunt, vrai chef-d’œuvre de l’art, et qui de plus a le mérite (d’offrir une ressemblance parfaite. Au bas de ce buste, est le nom du décédé :

Anne-André RAVRIO.

Sur le côté où est ce buste, et qui fait face à la porte d’entrée, est cette inscription :

Mort, le 4 septembre 1814, dans sa cinquante-cinquième année.
Célèbre dans l’art du bronze-doreur,
Et connu par ses poésies fugitives.


En mourant, il fonda un prix de 3,000 francs, pour être décerné au premier qui trouvera un remède aux maux que l’emploi du mercure fait éprouver aux ouvriers doreurs.


Il descend dans la tombe en conjurant l’effet
D’un métal meurtrier, poison lent et funeste :
Son corps n’est déjà plus, mais sa vertu nous reste,
Et son dernier soupir est encore un bienfait.

Sur la façade de l’est qui forme le derrière du tombeau :

Un fils d’Anacréon a fini sa carrière ;
Il est, dans ce tombeau, pour jamais endormi :
Les enfans des beaux-arts sont privés de leur frère ;
Les malheureux ont perdu leur ami.

Sur le côté du midi :

Érigé, en vertu de concession,
A perpétuité.

Différens bas-reliefs en bronze, fournis sans doute par les élèves de Ravrio, ornent ce monument. Sur la principale face, le bas-relief de gauche est composé d’un compas, d’un pinceau, d’une sphère, d’un quart de cercle, d’une équerre, d’une règle, d’un marteau et d’un ciseau, attributs du bronze-doreur. Un tambour de basque, une marotte, un triangle, une lyre, un papier sur lequel est gravée de la musique, une flûte de Pan, attributs de la poésie, composent celui de droite. Ces deux bas-reliefs sont répétés sur la façade opposée ; et au-dessus, derrière le buste de Ravrio, est une grosse couronne de cyprès, aussi en bronze, dans le milieu de laquelle on voit on R. Aux deux côtés du monument, c’est-à-dire au midi et au nord, sont, à la partie supérieure, deux belles testes sépulcrales, encore en bronze. Ce superbe tombeau est entouré d’une grille d’un très-bon style, sur laquelle sont distribuées des têtes de pavots, de même matière que les autres ornemens.

XXXVI. En descendant à droite, presque au commencement de l’allée de tombeaux qui part des ateliers, est une simple tombe, en forme de piédestal. Construite en marbre noir, elle porte cette modeste épitaphe qui rappelle l’un de nos plus aimables chansonniers :

Pierre LAUJON,
Membre de l’Institut,
Né, à Paris, le 3 janvier 1727 ;
Mort, le 14 juillet 1811.


XXXVII. Derrière ce tombeau, à gauche, au milieu d’un petit bosquet bien entretenu, plants de rosiers, garni de fleurs, et entouré d’un grillage en bois, est un simple marbre noir, debout, sur lequel on lit, en lettres d’or :

CI GIT
Eustoquie-Thérèse DE MAIRAT
DE SAINT-CYR,
Sublime dans l’accomplissement
De tous ses devoirs,
D’une religion douce et éclairée,
Excellente fille,
Bonne et vertueuse épouse,
La plus tendre des mères ;
Elle emporte avec elle
Les plus tendres souvenirs
Et les sincères regrets
De son mari, de ses enfans,
Et de ses nombreux amis.
Après une année de souffrances aiguës,
Qu’elle a supportées avec l’héroïsme du courage
Que la religion seule peut inspirer,
Elle est allée recevoir la récompense
De sa résignation
Et de ses vertus,
Le 18 octobre 1813.

Au moment où nous visitions ce tombeau, nous y rencontrâmes le mari de la défunte, M. de Saint-Cyr, vieillard respectable, chevalier de Saint-Louis, et qui nous honore de son amitié. Trois ans se sont écoulés depuis que la mort lui a ravi sa compagne, et les pleurs de ce modèle des époux ne sont point encore taris. C’est lui, c’est son cœur qui a dicté l’épitaphe qui décore ce modeste monument de l’amour conjugal. Ses mains ont planté les arbustes qui l’ombragent, et ses mains encore donnent, tous les huit jours, à ce bosquet de la douleur, la culture et les soins qu’il réclame. Respectable vieillard, tandis qu’il nous parlait de sa femme, des pleurs coulaient sur sa tombe… ; il nous a prié de consacrer quelques lignes à la mémoire de celle qu’il regrette. C’est avec plaisir que nous nous acquittons de ce devoir d’amitié. Puisse-t-il, dans l’intérêt que sa douleur inspire à tous ses mais, trouver quelque dédommagement à ses pieds :


XXXVIII. A droite de l’allée de tilleuls, toujours en descendant de la maison, est une tombe dont l’aspect doit être cher à tous les amis des beaux-arts et de la musique italienne. Ce tombeau, construit en marbre blanc, porte sur le devant une lyre gravée en or, et au-dessous cette épitaphe, aussi gravée en lettres d’or.

CI GIT
Madame BONDINI, femme BARILLI,
Née, à Dresde, de parens italiens, le 18 octobre 1780 ;
Morte, à Paris, le 25 octobre 1813,
Egalement regrettée de sa famille,
Des amis des arts et de tous les gens de bien.


« Morte !
« Posto hai silenzio a piu suavi accents
« Che mai s’udiro. »
Petrarca.


« O mort !
« Tu as imposé silence aux plus doux accens
« Qu’on entendit jamais. »
Pétrarque.


Cette tombe est la dernière que nous ayons notée parmi les nombreux monumens que renferme le cimetière du père La Chaise. Elle nous a fait faire une remarque que déjà plusieurs autres tombes nous avaient suggérée ; c’est que les architectes chargés de construire ces dernières demeures de l’homme sur la terre, sont loin d’y apporter le soin nécessaire pour les rendre aussi solides que le demanderait leur destination. Ils réservent apparemment toute leur habileté pour la construction des demeures des vivans, et cependant l’homme qui habitera ces dernières devra les quitter un jour, tandis que le défunt, placé sous la tombe érigée en son honneur, y restera renfermé une partie de l’éternité, jusqu’au jour solennel où tous les sépulcres s’ouvriront et rendront à la vie leur proie. Le tombeau de madame Barilli, élevé depuis seulement trois ans, et dont la matière est susceptible de prendre de la solidité, est déjà tout disjoint et menace ruine. Une foule de tombes offrent ainsi toutes les marques de la destruction, avec toutes les apparences d’une création récente. Il nous semble que l’administration, chargée de la police des cimetières, devrait prendre cette remarque en considération, et faire en sorte que ceux qui sacrifient des sommes souvent considérables au luxe des tombeaux, n’aient pas, au bout de quelques années, le désagrément de voir tomber en ruines ces monumens consacrés à l’orgueil ou à la douleur.

Déjà nous avons signalé plusieurs différences qui se trouvent entre le Champ du Repos et le cimetière du père La Chaise. Quand on a parcouru ce dernier avec quelque attention, on est bientôt frappé d’une nouvelle différence. Le Champ du Repos n’est pour ainsi dire peuplé que de jeunes gens morts dans un âge où l’espérance peut encore promettre de longues années ; de jeunes époux, des vierges enlevées à l’amour de leurs parens, ou des fils qui en faisaient le bonheur et la gloire, s’offrent à chaque pas à l’œil du spectateur. Au cimetière du père La Chaise, au contraire, il n’est point rare de rencontrer les tombes de pères ou de mères de famille morts dans un âge avancé, ou après avoir traversé les premières années qui suivent l’âge mûr et celles qui le séparent de la vieillesse. Les trépas prématurés ne s’y montrent qu’à de grandes distances, et c’est à peine si, sur dix tombes, on en voit une qui rappelle des jeunes gens ou des jeunes filles ravies, à la fleur de l’âge, à l’amour et à la tendresse de ceux qui avaient élevé leur enfance ; tandis qu’à Montmartre, sur dix tombes, on en trouve neuf qui font regretter et la jeunesse et la beauté, hélas ! flétries au moment où la nature était chez eux dans toute la force de son développement. Quelle peut donc être la cause de cette différence ! comment expliquer ce phénomène, et dire pourquoi la mort frappe ici plus de jeunes gens que de vieillards, et là plus de vieillards que de jeunes gens ?

Ah ! n’en doutons pas, c’est à la différence des mœurs dans les quartiers où sont situés ces deux cimetières qu’il faut chercher la cause de ces deux résultats si différens. « C’est, dit Caillot qui a fait la même remarque que nous, à l’usage habituel des alimens les plus échauffans elles plus délicats, de ces liqueurs aussi dangereuses pour tous les tempéramens, qu’elles sont flatteuses pour tous les goûts ; c’est à cette fureur pour les spectacles, pour les fêtes, pour les promenades nocturnes, qui fait braver à un si grand nombre de jeunes hommes et de jeunes femmes, et les lois de la nature, et les conseils de la sagesse, et les menaces d’Hygie ; c’est à ces modes enfin, fruit de l’intérêt, du caprice, du luxe et de la vanité, et fléaux éternels de la santé et de la fortune, que le Champ du Repos, situé à la suite des quartiers du Palais-Royal, des rues Saint-Honoré, Vivienne, Richelieu, Montmartre, des boulevards et de la chaussée d’Antin, doit cette jeune population, déplorable ornement de ses tombeaux. O jeunes hommes ! O jeunes épouses ! si vous pensez que la mélancolie me porte à l’exagération, et que, moraliste atrabilaire, je ne cherche qu’à vous inspirer une terreur dont je ne suis pas pénétré moi-même, venez et voyez, contemplez de vos propres yeux ces tombes, et lisez la foule d’inscriptions douloureuses et instructives que des mères ou des époux inconsolables ont fait graver sur la pierre, pour indiquer l’endroit où repose la cendre de leur jeune fille ou de leur jeune époux. »

« Le cimetière du père La Chaise, situé à l’autre extrémité de Paris, et recevant principalement les habitans du Marais et du faubourg Saint-Antoine qui l’avoisinent, devait nécessairement avoir une autre population que celle du Champ du Repos. Car, dans ces quartiers, où les mœurs sont en général régulières et modérées, où la nature est rarement outragée par un régime ennemi de ses saintes lois, et contraire à son développement ; où toutes les classes de citoyens se livrent, à l’envi, à un travail assidu et bienfaisant ; où l’éloignement des spectacles, des bals et des autres rendez-vous de plaisirs, oblige les familles à ne chercher des délassemens que dans leur intérieur, ou à une courte distance de leurs foyers, où la mode inconnue ou dédaignée ne contraint personne à lui faire le sacrifice du prix de ses travaux et des fleurs de sa santé ; où tout le monde se retire, et va jouir d’un sommeil paisible et réparateur, quand ailleurs sortent les jeunes vierges et les jeunes épouses pour vaquer aux plaisirs, à l’insomnie, et souvent à l’ennui ; et enfin où règnent le silence et l’obscurité, quand, dans la chaussée d’Antin, le bruit des chars épouvante et réveille celui qui s’était abandonné aux douceurs de Morphée, et l’éclat des lumières s’efforce de lutter contre les ténèbres, les corps doivent conserver plus longtemps la vigueur de la santé, les maladies doivent être plus rares et moins dangereuses, la jeunesse doit arriver plus souvent saine et sauve à l’âge mûr, et l’âge mûr à la vieillesse, ce port naturel, et la fin de la vie humaine. »

Depuis quelque temps, cependant, on remarque aussi, dans le cimetière du père La Chaise, quelques noms qui rappellent et la jeunesse et la beauté enlevées par des morts prématurées. On a pu, parmi les épitaphes que nous avons citées, en voir quelques-unes, qui sont consacrées à des jeunes gens ravis trop tôt à la tendresse de ceux qui les avaient élevés. Mais, nous en avons fait l’observation avec plaisir, ces tombes, qui renferment de jeunes cendres, hélas ! souvent arrosées des pleurs des parens ou des amis du défunt, n’appartiennent point, pour la plupart, aux quartiers distribués à la proximité du cimetière. Elles ne se trouvent là que parce que, ainsi que nous l’avons dit plus haut, la mode à Paris, depuis quelques années, est de se faire enterrer au cimetière du père La Chaise. Ainsi ceux qui sont tombés victimes de la mode, sacrifient encore, après leur mort, à cette frivole et dangereuse déité, en désertant l’asile naturellement destiné à les recevoir et où reposent et leurs païens et leurs amis. Lisez les inscriptions gravées sur ces tombeaux, retenez le nom qu’elles recommandent à votre souvenir et à votre piété ; interrogez ensuite le gardien de ce vaste dépôt de la mort, et vous verrez qu’il tient à des familles dont le séjour est fixé dans ces quartiers, où l’irrégularité des mœurs et des usages menace à chaque instant la vie de l’homme, et trop souvent tranche le fil de ses jours, quand, à peine, elle est à la moitié de sa carrière.

En 1814, au moment où l’ennemi approchait de la capitale, la colline de Mont-Louis, ou du Cimetière du père La Chaise, parut, aux ingénieurs chargés de la défense de Paris, une position importante et digne d’être fortifiée. En conséquence, ils y établirent des batteries formidables qui furent servies, moitié par les élèves de l’école polytechnique, et moitié par les jeunes vétérinaires de l’école d’Alfort. Elles devaient balayer et tenir libre la vaste plaine qui s’étend depuis Paris jusqu’à Vincennes. Les murs de clôture de l’est furent aussi crénelés pour le même usage, et aujourd’hui encore on voit les trous qu’on avait pratiqués à cet effet. Des troupes et des canons manœuvrèrent dans le champ des morts. Des bivouacs furent établis dans cette sombre enceinte, consacrée à une paix éternelle. Des feux militaires allumés à l’entour des tombes monumentales, éclairaient, de leur lueur lugubre, cette dernière demeure des Parisiens.

Dans la journée du 30 mars, cette position du père La Chaise fut attaquée vigoureusement par deux divisions russes toutes entières. Que pouvait, contre des forces aussi supérieures, la faible garde placée autour de la maison du jésuite ? Elle fut obligée de céder : cependant ce ne fut pas sans une résistance opiniâtre de la part des braves Français, postés au cimetière du père La Chaise pour défendre ce point important. Assaillis deux fois par les troupes fraîches envoyées par le général Barclay de Tolly, ils les repoussèrent deux fois, et ce n’est qu’à la troisième que le Russes restèrent maîtres du cimetière. Le sang français avait coulé, sans doute ; mais celui de l’ennemi rougit aussi cette terre monumentale, et plus d’une tombe déposée dans le cimetière atteste, par les caractères russes qui y sont gravés, que plusieurs officiers périrent à l’attaque de la colline de Mont-Louis. Le résultat de cet avantage, remporté par le nombre sur la valeur, fut la possession de la batterie de canons qui était établie dans le cimetière, et la prise de cette position facilita beaucoup aux Russes celle du village de Charonne.

Paris ayant capitulé le soir, les Russes restèrent à Mont-Louis, et bivouaquèrent à leur tour dans cette enceinte sacrée. On s’en aperçoit facilement ; car la plupart des arbres qui formaient la grande allée du midi au nord, ont été coupés ou mutilés par eux, pour faire du feu. Nous nous étonnons que, deux années s’étant écoulées depuis cette dévastation, on n’ait point encore replanté ces arbres, qui feraient, par la suite, l’ornement du cimetière, et jetteraient de l’ombrage sur les tombeaux, exposés, sur cette colline aride, à toute l’ardeur d’un soleil brulant.

En 1815, lorsque, pour la seconde fois, l’Europe coalisée contre un seul homme venait entourer de ses nombreux bataillons la capitale de la France, les petites barrières de Paris ayant été fermées, du 24 juin au 8 juillet, par ordre du gouvernement provisoire, et l’administration des pompes funèbres craignant d’exposer ses employés à être surpris ou blessés par les troupes ennemies, arrêta qu’on cesserait de porter les corps au cimetière du père La Chaise. Elle fit rouvrir l’ancien cimetière de la paroisse Sainte-Marguerite, et c’est dans ce lieu que furent inhumés ceux qui moururent pendant les quinze jours qui précédèrent l’entrée du roi dans Paris.