Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Proserpine

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Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 133-135).


LXV[1]

PROSERPINE[2]


Après avoir conté en peu de mots l’enlèvement de Proserpine (dans les fêtes de Proserpine) :


Sois donc propice aux tiens, vierge, épouse sacrée,
Ô Junon des enfers qu’une mère éplorée,
Sur un axe rapide attelé de serpents,
Les flambeaux à la main, rechercha si longtemps.
Déesse, tu n’es pas étrangère à cette île.
N’es-tu pas, comme nous, enfant de la Sicile ?
Que de fois, retournant de leurs bruyants travaux,
Les Cyclopes d’Etna chargés de leurs marteaux

Te trouvaient, les pieds nus, assise dans la plaine,
Ramassant des cailloux au sein d’une fontaine !
Ils aimaient tour à tour, et tu ne fuyais pas,
À porter ton enfance en leurs robustes bras.
Si jamais dans les cieux l’enfant d’une immortelle
Est au vœu maternel indocile et rebelle,
On appelle un cyclope, et Mercure à l’instant
Vient, imite leur voix ; il fait peur à l’enfant,
Qui, ses mains sur les yeux, plus doux et moins colère,
Se rejette en criant vers le sein de sa mère[3].
Souvent, sur les genoux de ses frères nerveux[4],
Tranquille, tu jouais avec leurs noirs cheveux.
Ils riaient de te voir, de ta main enfantine,
Arracher la toison de leur vaste poitrine.

Callim. In Di, (Callimaque, hymne à Diane).

Cette idée de Proserpine enfant suggéra celle-ci :

Une petite fille
Tressant quelques joncs frais, prison d’une cigale.

Après avoir mis dans la bouche d’une poétesse un chant pour Proserpine, le lui faire terminer ainsi :

Salut, reine des morts, femme du Dieu d’enfer,
Souterraine Junon, fille de Jupiter !

Et lorsque le tombeau m’ouvrira ton empire,
De silence et d’oubli n’accuse point ma lyre,
Comme au sage Thébain, divin chantre des dieux.
Mon ombre, pour venir en songe harmonieux
Dicter des vers tardifs consacrés à ta gloire,
N’aura point à sortir de la porte d’ivoire[5].

(V. Pausanias)[6].

  1. Ed. G..de Chénier.
  2. C’est un titre que nous ajoutons pour relier ces fragments.
  3. L’auteur a signalé ainsi ces huit vers en disant : Ces huit vers ne valent rien, il faut les mieux faire et les transporter ailleurs.
    (G. de Chénier.)
  4. Le manuscrit porte pour variante ce vers, qui était la première idée de l’auteur :

    Mais toi, sur les genoux de ces frères nerveux. (Id.)
  5. Pausanias raconte le songe de Pindare qui avait oublié Proserpine dans les hymnes qu’il composa en l’honneur des dieux, et ensuite le songe de la vieille qui écrit l’hymne que le poète mort lui dicte en l’honneur de la déesse.
  6. M. France, dans l’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 10 août 1864, a publié d’autres vers où il est question de Proserpine, d’après une copie faite, dit-il, sur un manuscrit même d’André. Voici ces vers, dont M G. de Chénier a contesté l’authenticité :
    Proserpine incertaine…
    Sur sa victime encor suspendait ses ciseaux,
    Et le fer, respectant ses longues tresses blondes,
    Ne l’avait pas vouée aux infernales ondes.
    Iris, du haut des cieux, sur ses ailes de feu,
    Descend vers Proserpine : « Oui, qu’à l’infernal dieu
    Didon soit immolée ; emporte enfin ta proie.
    ...............
    Elle dit ; sous le fer soudain le crin mortel
    Tombe ; son œil se ferme au sommeil éternel,
    Et son souffle s’envole à travers les nuages.