Protévangile de Jacques/Édition Garnier

La bibliothèque libre.


Pour suivre l’ordre historique des matières, nous plaçons au second rang le Protévangile de Jacques, qui est le dix-neuvième de la notice. Fabricius avertit qu’il a retouché la version de Postel, et qu’il a mis entre deux crochets [……] ce qui ne se trouve pas dans le grec.


PROTÉVANGILE


ATTRIBUÉ À JACQUES[1], SURNOMMÉ LE JUSTE,


FRÈRE DU SEIGNEUR[2].


I. — Dans les histoires des douze tribus d’Israël, on voit que Joachim était fort riche, et offrait à Dieu des doubles offrandes, disant en soi-même : Que mes facultés soient celles de tout le peuple pour la rémission de mes péchés auprès de Dieu, afin qu’il ait pitié de moi ! Or, le grand jour du Seigneur approchait, et les enfants d’Israël offraient leurs dons ; et Ruben s’éleva contre lui, disant : Il ne vous est pas permis d’offrir votre don, parce que vous n’avez point eu d’enfant en Israël. Joachim en fut très-attristé, et il s’en alla voir la généalogie des douze tribus d’Israël, disant en soi : Je verrai dans les tribus d’Israël si je suis le seul qui n’ai point eu d’enfant en Israël. C’est pourquoi, en examinant, il vit que tous les justes en avaient eu ; et il se ressouvint du patriarche Abraham, à qui, dans ses derniers jours, Dieu avait donné un fils Isaac. Alors Joachim, étant tout triste, n’alla point voir sa femme ; mais il se retira dans le désert, où, ayant dressé des tentes, il jeûna quarante jours et quarante nuits[3], disant en soi-même : Je ne mangerai ni ne boirai jusqu’à ce que le Seigneur mon Dieu m’ait regardé ; mais mon oraison sera ma nourriture[4].

II. — Or son épouse Anne pleurait de deux pleurs et était accablée d’un double chagrin, disant : Je pleure ma viduité et ma stérilité. Le grand jour du Seigneur étant donc arrivé, Judith, sa servante, lui dit : Jusqu’à quand enfin affligerez-vous votre âme ? Il ne vous est pas permis de pleurer, parce que c’est le grand jour du Seigneur[5]. Prenez donc ce diadème que m’a donné la maîtresse où j’allais travailler à la journée, et parez-en votre tête ; car, comme je suis votre servante, vous avez une forme royale ; et Anne lui dit : Laissez-moi[6], car je n’en ferai rien ; Dieu m’a trop humiliée. Prenez bien garde qu’il ne vous ait été donné par quelque voleur, et que Dieu ne m’implique dans votre péché. Judith, sa servante, lui répondit : Que vous dirai-je ? est-ce que je vous souhaite un plus grand mal, puisque vous n’écoutez pas ma voix ? Car c’est avec raison que Dieu vous a rendue stérile, pour ne vous point donner de fils en Israël. Et Anne en fut très-attristée ; et ayant quitté ses habits de deuil, elle orna sa tête et se vêtit de ses habits de noces[7] ; et sur les neuf heures, elle descendit dans son jardin pour se promener ; et voyant un laurier, elle s’assit dessous, et fit ses prières au Seigneur Dieu, disant : Dieu de mes pères, bénissez-moi, et écoutez mon oraison, comme vous avez béni le sein de Sara[8], et lui avez donné un fils Isaac.

III. — Et, regardant vers le ciel, elle vit dans le laurier un nid de moineau, et elle se plaignit en elle-même, et dit : Hélas ! que je suis malheureuse ! [à qui puis-je être comparée ?] qui est-ce qui m’a engendrée, ou quelle mère m’a enfantée pour que je naquisse ainsi maudite devant les enfants d’Israël ? car ils m’accablent de reproches et d’insultes ; ils m’ont chassée du temple du Seigneur mon Dieu. Hélas ! que je suis malheureuse ! [à qui suis-je devenue semblable ? Je ne puis point être comparée aux oiseaux du ciel, parce que les oiseaux sont féconds en votre présence, Seigneur ; car ce qui est en moi, je le remets en vous. Hélas ! que je suis malheureuse ! à qui puis-je être comparée ?] Je ne puis être comparée avec les animaux mêmes de la terre, parce qu’ils sont féconds en votre présence, Seigneur. Hélas ! que je suis malheureuse ! à qui suis-je semblable ? Je ne puis être comparée avec les eaux, parce qu’elles sont fécondes en votre présence [car les eaux elles-mêmes, tant claires que flottantes, vous louent avec les poissons de la mer]. Mais, hélas ! que je suis malheureuse ! à qui puis-je être comparée ? Je ne puis être comparée avec la terre parce que la terre porte ses fruits en son temps, et vous bénit, Seigneur.

IV. — Et voici que l’ange du Seigneur vola vers elle en lui disant : Anne, Dieu a exaucé votre prière ; vous concevrez et vous enfanterez, et votre enfant sera célèbre dans tout le monde ; mais Anne dit : Le Seigneur mon Dieu est vivant : soit que j’engendre garçon ou fille, je l’offrirai au Seigneur notre Dieu[9], et il servira dans les choses sacrées tous les jours de sa vie. Et voici que deux anges vinrent en lui disant : Joachim, votre mari, vient avec ses troupeaux ; car l’ange du Seigneur est descendu vers lui, disant : Joachim, Joachim, le Seigneur a exaucé votre prière, descendez d’ici. Voici que Anne votre femme concevra dans son sein ; et Joachim descendit, et il appela ses bergers, disant : Apportez-moi ici dix agneaux femelles [pures et sans taches], et elles seront pour le Seigneur mon Dieu ; et amenez-moi douze veaux purs, et ils seront pour les prêtres et pour le clergé, soit pour l’assemblée des vieillards ; et apportez-moi cent boucs, et les cent boucs seront pour tout le peuple. Et voici que Joachim vient avec ses troupeaux, et Anne se tenait debout sur la porte, et elle vit Joachim qui venait avec ses troupeaux ; et, accourant, elle s’attacha à son cou, disant : À présent je connais que le Seigneur Dieu m’a extrêmement bénie ; car moi qui étais veuve, je ne suis plus veuve, et moi qui étais stérile, j’ai conçu dans mon sein. Et Joachim se reposa dans sa maison le premier jour.

V. — Le lendemain il offrit ses dons, disant en soi-même : Si le Seigneur Dieu me bénit, la lame du prêtre[10] me le fera connaître ; [et Joachim offrit ses dons], et fit attention à la lame [soit à l’éphod ou au rational] du prêtre, lorsqu’il fut admis à l’autel du Seigneur, et il ne vit point de péché en soi ; et Joachim dit : À présent j’ai connu que Dieu a eu pitié de moi, et m’a remis tous mes péchés ; et il descendit justifié[11] de la maison du Seigneur, et il vint dans sa maison. Ainsi, Anne conçut, et ses six mois furent accomplis ; mais au neuvième mois, Anne enfanta, et dit à la sage-femme : Qu’est-ce que j’ai enfanté ? Elle dit : Une femme ; et Anne dit : Mon âme est magnifiée à cette heure-ci, et elle se recoucha. Or, les jours étant accomplis, Anne fut purifiée, et elle allaitait sa fille, et nomma son nom Marie.

VI. — Or, la petite fille se fortifiait de jour en jour, et lorsqu’elle eut six mois, sa mère la posa par terre pour essayer si elle se tiendrait debout ; et elle fit sept pas en marchant, et elle vint dans le sein de sa mère ; et Anne dit : Le Seigneur mon Dieu est vivant, parce que vous ne marcherez pas sur la terre jusqu’à ce que je vous aie présentée au temple du Seigneur ; et elle fit la sanctification dans son lit ; et tout ce qui est souillé, elle avait soin de le séparer d’elle à cause d’elle, et elle appela des filles d’Hébreux sans tache, et elles la soignaient. Et la première année de la petite fille s’accomplit ; et Joachim fit un grand repas[12] ; et il y invita les princes des prêtres, et les scribes, et tout le sénat, et tout le peuple d’Israël. Et il offrit des [présents] aux princes des prêtres ; et ils le bénirent, disant : Dieu de nos pères, bénissez cette jeune fille, et donnez-lui un nom célèbre éternellement dans toutes les générations. Et tout le peuple dit : Soit fait, soit fait, ainsi soit-il. Et il la présenta aux prêtres ; et ils la bénirent, disant : Dieu très-haut, regardez cette petite fille, et bénissez-la d’une bénédiction qui n’ait point de relâche. Sa mère la prit et lui donna à téter ; et[13] Anne fit un cantique au Seigneur Dieu, disant : Je chanterai louange au Seigneur mon Dieu, parce qu’il m a visitée, et m’a délivrée de l’opprobre de mes ennemis, et le Seigneur Dieu m’a donné un fruit de sa grande miséricorde en sa présence. Qui est-ce qui annoncera aux fils de Ruben qu’Anne allaite ? [Écoutez, écoutez ; douze tribus d’Israël, parce que Anne allaite.] Et elle la recoucha dans le lieu de sa sanctification, et elle sortit, et elle les servait. Et ayant achevé le festin, ils se retirèrent tout joyeux [et ils lui donnèrent le nom de Marie] en glorifiant le Dieu d’Israël.

VII. — Or, la petite fille avançait en âge, et lorsqu’elle eut deux ans, Joachim dit à Anne son épouse : Introduisons-la dans le temple de Dieu, afin que nous rendions notre vœu que nous avons promis, de peur que Dieu ne nous l’enlève ou ne s’irrite contre nous. Et Anne dit : Attendons la troisième année, de peur que la petite fille ne demande son père et sa mère. Et Joachim dit : Attendons. Et la petite fille eut trois ans, et Joachim dit : Appelez des petites filles des Hébreux sans tache, et qu’elles reçoivent en particulier des lampes ; et qu’elles soient allumées, de peur que la petite fille ne se retourne en arrière, et que son esprit ne soit détourné du temple de Dieu. Et ils firent ainsi, jusqu’à ce qu’elles entrèrent dans le temple. Et le prince des prêtres la reçut, et la baisa, et dit : Marie, le Seigneur a magnifié votre nom dans toutes les générations, et dans les derniers jours le Seigneur manifestera en vous le prix de sa rédemption[14] aux enfants d’Israël. Et il la plaça sur le troisième degré de l’autel ; et le Seigneur Dieu répandit sa grâce sur elle ; et elle tressaillit de joie en dansant avec ses pieds, et toute la maison d’Israël la chérit.

VIII. — Et ses parents descendirent, admirant et louant Dieu, parce que la petite fille ne s’est pas retournée vers eux. Or, Marie était comme une colombe élevée dans le temple du Seigneur, et elle recevait sa nourriture de la main d’un ange. Lorsqu’elle eut douze ans, il se tint [dans le temple du Seigneur] un conseil des prêtres, disant : Voilà que Marie a douze ans dans le temple du Seigneur ; que lui ferons-nous, de peur que la sanctification du Seigneur notre Dieu ne soit peut-être souillée ? Et les prêtre dirent à Zacharie : Prince des prêtres, présentez-vous à l’autel du Seigneur, et priez pour elle ; et tout ce que Dieu vous aura manifesté, nous le ferons. Et le prince des prêtres, ayant pris sa longue tunique à douze clochettes, entra dans le saint des saints, et pria pour elle. Et voici que l’ange du Seigneur se présenta, lui disant : Zacharie, Zacharie, sortez, et convoquez les veufs du peuple ; et qu’ils apportent chacun une verge[15] ; et elle sera donnée en garde pour femme à celui à qui Dieu aura montré un signe. Or des crieurs le publièrent par toute la région de la Judée, et la trompette du Seigneur sonna[16], et tous accoururent.

IX. — Or, Joseph, ayant jeté sa hache, sortit au-devant d’eux ; et s’étant assemblés ils s’en allèrent au grand prêtre, ayant pris leurs verges. Ainsi recevant d’eux leurs verges, il entra dans le temple, et pria. Et ayant achevé l’oraison, il prit les verges et sortit. Alors il les rendit à chacun d’eux, et il n’y apparut aucun signe. Mais Joseph reçut la dernière verge, et voici qu’une colombe sortit de la verge, et vola sur la tête de Joseph. Et le grand prêtre dit à Joseph : Vous êtes choisi par le sort divin pour prendre la vierge du Seigneur en garde chez vous. Joseph s’en défendait, disant : J’ai des fils, et je suis vieux ; mais elle est très-jeune : de là je crains de devenir ridicule aux enfants d’Israël. Mais le grand prêtre dit à Joseph : Craignez le Seigneur votre Dieu, et ressouvenez-vous quelles grandes choses Dieu fit[17] contre Dathan, et Abiron, et Coré, comment la terre s’ouvrit, et les dévora à cause de leur contradiction. Maintenant donc craignez Dieu, Joseph, de peur que ces choses ne soient dans votre maison. Joseph, effrayé, la reçut, et lui dit : Marie, voici que je vous prends du temple du Seigneur, et je vous laisserai à la maison, et j’irai pour exercer ma profession de charpentier [et je reviendrai à vous]. Et que le Seigneur vous conserve [tous les jours].

X. — Or, il se tint un conseil des prêtres, disant : Faisons un voile [ou un tapis] pour le temple du Seigneur. Et le prince des prêtres dit : Appelez-moi des vierges sans tache, de la tribu de David. S’en allant donc et cherchant, ils trouvèrent sept vierges. Et le prince des prêtres se ressouvint de Marie, qu’elle était de la tribu de David, et sans tache devant Dieu. Et le prince des prêtres dit : Tirez-moi au sort laquelle filera du fil d’or [d’amiante] et de fin lin [et de soie], et d’hyacinthe, et d’écarlate, et de la vraie pourpre ; et Zacharie se ressouvint de Marie, qu’elle était de la tribu de David ; et la vraie pourpre [et l’écarlate] échut à Marie par le sort ; et [les ayant reçues] elle s’en alla dans sa maison. Or, dans ce même temps, Zacharie perdit la parole[18]. Et Samuel prit sa place, jusqu’à ce que Zacharie recommença à parler. Marie ayant reçu la pourpre [et l’écarlate] fila.

XI. — Et ayant pris une cruche, elle sortit puiser de l’eau[19]. Et voici une voix qui lui dit : Je vous salue, pleine de grâce[20], le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes. Or, Marie regardait à droite et à gauche pour savoir d’où venait cette voix. Et, toute tremblante, elle entra dans sa maison, et quitta sa cruche ; et ayant pris la pourpre, elle s’assit sur sa chaise pour travailler. Et voici que l’ange du Seigneur se présenta devant elle, disant : Ne craignez point, Marie, vous avez trouvé grâce auprès du Seigneur. Et l’entendant, Marie s’entretenait en soi-même de ces pensées : Si je concevrai par le Dieu vivant, et j’enfanterai comme chaque femme engendre ? Et l’ange du Seigneur dit : Il n’en sera pas ainsi, ô Marie ! car le Saint-Esprit viendra sur vous, et la vertu de Dieu vous couvrira de son ombre. C’est pourquoi le saint qui naîtra de vous[21] sera appelé le fils du Dieu vivant. Et vous lui donnerez le nom de Jésus : car c’est lui qui sauvera son peuple de leurs péchés. Et voici que votre cousine Élisabeth a conçu son fils dans sa vieillesse : et ce mois-ci est le sixième pour celle qui était appelée stérile, parce que tout ce que je vous dis ne sera pas impossible auprès de Dieu. Et Marie dit : Voici la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon votre parole.

XII. — Et ayant achevé la pourpre et l’écarlate, elle l’apporta au grand prêtre. Il la bénit, et dit : Ô Marie ! votre nom est magnifié, et vous serez bénie dans toute la terre. Marie, ayant conçu une grande joie, s’en alla vers Élisabeth, sa cousine, et frappa à sa porte. Et Élisabeth, l’entendant, accourut à la porte, et lui ouvrit, et dit[22] : Et d’où me vient ce bonheur que la mère du Seigneur vienne à moi ? Car ce qui est en moi a tressailli et vous a béni. Or[23] Marie elle-même ignorait ces mystères, dont l’archange Gabriel lui avait parlé. Et, regardant le ciel, elle dit : Qui suis-je, pour que toutes les générations me disent ainsi bienheureuse ? Mais de jour en jour son ventre grossissait ; et, frappée de crainte, Marie s’en alla dans sa maison, et se cacha des[24] enfants d’Israël. Elle avait seize ans lorsque ces mystères s’accomplissaient.

XIII. — Au bout de son sixième mois, voici que Joseph vint de ses ouvrages de charpente ; et, entrant dans sa maison, il la vit enceinte, et le visage abattu [il se jeta par terre, et pleura amèrement] disant : De quel front regarderai-je le Seigneur Dieu ? Or quelle prière ferai-je pour cette petite fille, laquelle j’ai reçue vierge du temple du Seigneur Dieu, et je ne l’ai pas gardée ? Qui m’a trompé ? Qui a fait ce mal dans ma maison ? Qui a captivé et séduit la vierge ? Ne m’est-il pas arrivé une histoire pareille à celle d’Adam ? Car à l’heure de son bonheur, le serpent entra et trouva Ève seule, et il la séduisit : oui, oui, pareille chose m’est arrivée. Et Joseph se releva de terre ; et, ayant pris Marie, il lui dit : Ô vous qui étiez si agréable à Dieu, pourquoi avez-vous fait cela, et avez-vous oublié le Seigneur votre Dieu, vous qui avez été élevée dans le saint des saints ? Pourquoi avez-vous avili votre âme, vous qui receviez votre nourriture de la main des anges[25] ? Pourquoi avez-vous fait cela ? Mais elle pleurait très-amèrement, disant : Je suis pure, et n’ai point connu d’homme. Mais Joseph lui dit : Eh ! d’où vient donc ce que vous avez dans le sein ? Et Marie répondit : Le Seigneur mon Dieu est vivant ; je ne sais d’où cela me vient.

XIV. — Et Joseph fut tout interdit et persistait dans cette pensée. Que ferai-je d’elle ? Et Joseph dit en soi-même : Si je cache son péché, je serai trouvé coupable dans la loi du Seigneur[26] ; si je la dénonce à la vue de tous les enfants d’Israël, je crains que cela ne soit pas juste, et que je ne sois trouvé livrant le sang innocent à un jugement de mort. Que ferai-je donc d’elle ? Assurément je l’abandonnerai en cachette. Et la nuit le surprit. Et voici que l’ange du Seigneur lui apparaît en songe, disant : Ne craignez point de recevoir cette jeune fille, car ce qui est né en elle est du Saint-Esprit : elle enfantera donc un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus, car ce sera lui qui sauvera son peuple de leurs péchés. Joseph se leva donc après ce songe, et glorifia le Dieu d’Israël qui lui a fait cette grâce ; et il garda la jeune fille.

XV. — Or, le scribe Annas vint à Joseph, et lui dit : Pourquoi n’avez-vous pas assisté à l’assemblée ? Et Joseph lui dit : J’étais fatigué du chemin, et je me suis reposé le premier jour. Et, s’étant retourné, le scribe vit Marie enceinte, et il s’en alla courant au prêtre, et lui dit : Joseph, à qui vous rendez témoignage, a grandement péché. Et le prêtre dit : Qu’est-ce que c’est ? Et il lui dit : Il a souillé la vierge qu’il avait reçue du temple du Seigneur, et a dérobé ses noces, et ne les a point déclarées aux enfants d’Israël. Et le prince des prêtres, répondant, dit : Joseph a-t-il fait cela ? Et le scribe Annas dit : Envoyez des ministres, et ils la trouveront enceinte. Et les ministres y allèrent, et trouvèrent comme il leur dit ; et ils l’amenèrent ainsi que Joseph en jugement, et le prêtre dit : Marie, pourquoi avez-vous fait cela ? et pourquoi avez-vous avili votre âme, et avez-vous oublié le Seigneur votre Dieu, vous qui avez été élevée dans le saint de saints, qui avez reçu votre nourriture de la main de l’ange, qui avez entendu ses mystères [et qui avez tressailli de joie en sa présence] ; pourquoi avez-vous fait cela ? Mais elle pleurait amèrement, disant : Le Seigneur mon Dieu est vivant, parce que je suis pure en présence du Seigneur, et je ne connais point d’homme. Et le prêtre dit à Joseph : Pourquoi avez-vous fait cela ? Et Joseph dit : Le Seigneur Dieu est vivant [et son Christ[27] est vivant], parce que je suis pur d’elle. Et le prêtre dit : Ne dites point un faux témoignage[28], mais dites vrai ; vous avez dérobé ses noces, et ne les avez point manifestées aux enfants d’Israël ; et vous n’avez point incliné votre tête sous la main toute-puissante[29] afin que votre race fût bénie. Et Joseph se tut.

XVI. — Et le prêtre lui dit [encore une fois] : Restituez la vierge que vous avez reçue du temple du Seigneur ; et Joseph fondait en larmes ; et le prêtre dit : Je vous ferai boire de l’eau de conviction[30] ; et votre péché sera manifesté devant vos yeux. Et le prêtre ayant pris de l’eau en fit boire à Joseph, et l’envoya dans les montagnes ; et il revint sain ; [il en fit aussi boire à Marie, et l’envoya de même dans les montagnes ; et elle revint saine.] Et tout le peuple admira qu’il ne se fût point manifesté en eux de péché. Et le prêtre dit : Dieu n’a point manifesté votre péché, et moi, je ne vous juge pas ; et il les renvoya absous. Joseph ayant donc reçu Marie, s’en alla dans sa maison tout joyeux, et glorifiant le Dieu d’Israël.

XVII. — Or, on publia un décret d’Auguste César pour faire inscrire tous ceux qui étaient à Bethléem[31]. Et Joseph dit : J’aurai soin de faire inscrire mes enfants ; mais que ferai-je de cette petite fille ? [Comment l’inscrirai-je ?] L’inscrirai-je comme ma femme ? [Elle n’est point ma femme, car je l’ai reçue du temple du Seigneur pour la conserver.] Comme ma fille ? mais [tous] les enfants d’Israël savent qu’elle n’est pas ma fille. Qu’en ferai-je ? assurément au jour du Seigneur je ferai comme le Seigneur voudra. Et Joseph sella une ânesse, et la fit monter sur l’ânesse. Or, Joseph[32] et Simon suivaient à trois milles. Et Joseph, se retournant, la vit triste, et il dit en soi-même : Peut-être que ce qui est en elle l’attriste. Et, s’étant retourné une seconde fois, Joseph la vit riante, et il lui dit : Ô Marie, qu’est-ce qui est cause que je vois votre face tantôt joyeuse, et tantôt triste ? et Marie dit à Joseph : C’est que je vois devant mes yeux deux peuples[33], un qui pleure et qui gémit, mais l’autre qui tressaille de joie et qui rit. Et il vint à mi-chemin ; et Marie lui dit : Descendez-moi de l’ânesse, parce que ce qui est en moi me presse pour sortir. Et il la descendit de l’ânesse et lui dit : Où vous conduirai-je, parce que le lieu est désert ? Or, Marie dit encore une fois à Joseph : Emmenez-moi, car ce qui est en moi me presse extrêmement ; et aussitôt il l’emmena.

XVIII. — Et trouvant là une caverne, il l’y fit entrer, et la laissa en garde à son fils ; et il sortit pour chercher une sage-femme juive dans la région de Bethléem. Or, comme Joseph était en marche, il vit le pôle ou le ciel arrêté, et l’air tout interdit, et les oiseaux du ciel s’arrêtant au milieu de leur course. Et, regardant à terre, il vit une marmite de viande dressée, et des ouvriers assis à table, dont les mains étaient dans la marmite ; et mâchant ils ne mâchaient pas, et ceux qui portaient les mains à la tête ne prenaient rien, et ceux qui présentaient à leur bouche n’y portaient rien, mais les faces de tous étaient attentives en haut. Et voici que des brebis étaient dispersées, [elles n’avançaient point, mais] elles étaient arrêtées. Et le berger levant la main pour les frapper avec sa verge, sa main restait en haut. Et, regardant dans le torrent du fleuve, il vit les museaux des boucs qui approchaient à la vérité de l’eau, mais qui ne buvaient pas, [enfin toutes choses en ce moment étaient détournées de leur cours].

XIX. — Et voici qu’une femme descendant des montagnes lui dit : Je vous dis, ô homme, où allez-vous ? Et il dit : Je cherche une sage-femme juive. Et elle lui dit : Êtes-vous d’Israël, vous ? Et il dit : Oui. Mais elle dit : Quelle est celle qui accouche dans la caverne ? Et il dit : C’est ma fiancée. Et elle dit : N’est-elle pas votre femme ? Et Joseph dit : Elle n’est point ma femme ; mais c’est Marie, élevée dans le saint des saints, dans le temple du Seigneur ; et elle m’est échue par le sort, et elle a conçu du Saint-Esprit. Et la sage-femme lui dit : Cela est-il vrai ? Il lui dit : Venez et voyez. Et la sage-femme alla avec lui. Et elle s’arrêta devant la caverne. Et voici qu’une nuée lumineuse ombrageait la caverne ; et la sage-femme dit : Mon âme a été magnifiée aujourd’hui, parce que mes yeux ont vu des choses étonnantes, et le salut est né à Israël. Or, tout d’un coup la nuée fut dans la caverne, et une grande lumière, de sorte que leurs yeux ne la supportaient pas ; mais peu à peu la lumière se modéra, de sorte que l’enfant fut aperçu, et il prenait les tétons de sa mère Marie, et la sage-femme s’écria, et dit : Ce jour d’aujourd’hui est grand pour moi, parce que j’ai vu ce grand spectacle. Et la sage-femme sortit de la caverne, et Salomé se trouva à sa rencontre. Et la sage-femme dit à Salomé : J’ai un grand spectacle à vous raconter ; une vierge a engendré celui que sa nature ne comporte pas [et cette vierge demeure vierge]. Et Salomé dit : Le Seigneur mon Dieu est vivant ; si je n’examine pas sa nature, je ne croirai pas qu’elle a enfanté.

XX. — Et la sage-femme, entrant, dit à Marie : Couchez-vous, car un grand combat se prépare pour vous. Et lorsque Salomé l’eut touchée dans le lieu même, elle sortit, disant : Malheur à moi impie et perfide, parce que j’ai tenté le Dieu vivant ; et voici que ma main [brûlante de feu] tombe de moi ! Et elle fléchit les genoux vers Dieu, et dit : Dieu de nos pères, souvenez-vous de moi, parce que je suis de la race d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob ; et ne me déshonorez pas devant les enfants d’Israël, mais rendez-moi à mes parents ; car vous savez, Seigneur, que c’était en votre nom que j’employais [tous] mes soins [et mes vacations], et je recevais de vous ma récompense. Et l’ange du Seigneur se présenta à elle, disant : [Salomé, Salomé,] le Seigneur vous a exaucée ; présentez votre main à l’enfant, et portez-le, car il sera pour vous le salut et la joie. Et Salomé s’approcha et le porta, disant : Je l’adorerai, parce qu’il est le grand roi né en Israël. Et [ayant porté l’enfant] tout d’un coup Salomé fut guérie, et la sage-femme sortit de la caverne, justifiée. Et voici qu’une voix lui dit : N’annoncez pas les grandes choses que vous avez vues, jusqu’à ce que l’enfant entre dans Jérusalem. Et Salomé se retira justifiée.

XXI. — Et voici que Joseph fut prêt à sortir [en Judée]. Et il se fit un grand tumulte à Bethléem, parce que des mages vinrent d’Orient, disant : Où est le roi des Juifs qui est né ? Car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l’adorer. Et Hérode l’entendant, il fut extrêmement troublé, et il envoya des ministres aux mages. Et il fit venir les grands prêtres, et les interrogeait, disant : Comment est-il écrit touchant le Christ roi ? Où naît-il ? Ils lui disent : En Bethléem de Juda. Car c’est ainsi qu’il est écrit[34] : Et vous, Bethléem, terre de Juda, vous n’êtes pas la moindre parmi les princes de Juda, car c’est de vous qu’il me sortira un chef qui gouvernera mon peuple d’Israël. Et il les renvoya, et interrogea les mages, leur disant : Quel signe avez-vous vu touchant le roi engendré ? dites-le-moi. Et les mages lui dirent : Sa grande étoile est née, et a brillé sur les étoiles du ciel, de telle sorte qu’elle les a fait disparaître au point qu’on ne les voyait plus. Et ainsi nous avons connu qu’il est né un grand roi à Israël ; et nous sommes venus l’adorer. Or Hérode dit : Allez, et cherchez-le soigneusement ; et si vous le trouvez, redites-le-moi, afin que, venant moi-même, je l’adore. Et les mages sortirent, et voici que l’étoile qu’ils avaient vue en Orient les conduisait jusqu’à ce que [elle entra dans la caverne ; et] elle s’arrêta sur le haut de la caverne. [Et les mages virent l’enfant avec Marie sa mère ; et ils l’adorèrent.] Et tirant des dons de leurs bourses, il lui donnèrent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Et ayant reçu réponse d’un ange de ne pas revenir à Hérode, ils retournèrent dans leur pays par un autre chemin.

XXII. — Mais Hérode, irrité de ce qu’il avait été trompé par les mages, envoya des homicides tuer tous les enfants[35] qui étaient dans Bethléem depuis deux ans et au-dessous ; et Marie, apprenant que l’on tuait les enfants, frappée de crainte, prit l’enfant, et l’ayant enveloppé de langes, elle le coucha dans la crèche des bœufs[36], parce qu’il n’y avait point de place pour lui dans l’hôtellerie. Or, Élisabeth apprenant que son fils [Jean] était recherché, elle monta sur les montagnes, et regardait de tous côtés où elle le cacherait, et il n’y avait pas de lieu secret ; et Élisabeth, gémissant, dit d’une voix haute : Ô montagne de Dieu[37], recevez la mère avec le fils ; car Élisabeth ne pouvait pas monter, et tout d’un coup la montagne se divisa et la reçut. Une lumière les éclaira, car l’ange du Seigneur était avec eux qui les gardait.

XXIII. — Or Hérode cherchait Jean, et il envoya des ministres à Zacharie [son père], qui servait à l’autel, disant : Où avez-vous caché votre fils ? Mais il répondit, disant : Je suis prêtre servant Dieu, et j’assiste au temple du Seigneur ; je ne sais point où est mon fils ; et les ministres s’en allèrent et rapportèrent toutes ces choses à Hérode ; et étant en colère, il dit : Son fils doit régner sur Israël ; et il envoya une seconde fois à Zacharie, disant : Dites-nous la vérité ; où est votre fils ? Ne savez-vous pas que votre sang est sous ma main ? Et les ministres allèrent, et en firent le rapport à Zacharie même ; mais il dit : Dieu est témoin que je ne sais où est mon fils. Si vous voulez, répandez mon sang ; car Dieu recevra mon esprit, parce que vous répandez le sang innocent. Zacharie fut tué dans les vestibules du temple de Dieu et de l’autel, auprès de l’enclos, et les enfants d’Israël ne savaient pas quand il avait été tué.

XXIV. — Et les prêtres allèrent à l’heure de la salutation, et selon la coutume ; la bénédiction de Zacharie ne vint pas au-devant d’eux, et les prêtres attendaient pour le saluer et bénir le Très-Haut. Or, comme il tardait [ils craignaient d’entrer ; mais] un d’eux eut le courage d’entrer dans le saint où était l’autel, et il vit le sang caillé ; et voici qu’une voix cria : Zacharie est tué, et son sang ne sera point effacé jusqu’à ce qu’il vienne un vengeur. Ce qu’ayant entendu, il craignit, et étant sorti, il rapporta aux prêtres [que Zacharie est tué ; et, l’entendant et devenant plus hardis], ils entrèrent et virent le fait, et les lambris du temple poussant des hurlements, et ils étaient entr’ouverts du haut jusqu’en bas[38]. On ne trouva point son corps ; mais son sang, dans les vestibules du temple, était devenu comme de la pierre ; et, tout tremblants, ils sortirent, et annoncèrent au peuple que Zacharie avait été tué ; et toutes les tribus du peuple l’apprirent, et portèrent le deuil, et le pleurèrent trois jours et [trois nuits ; mais après trois jours] les prêtres tinrent conseil, lequel ils mettraient à sa place ; et le sort vint sur Siméon : car il avait été assuré par un oracle du Saint-Esprit qu’il ne verrait point la mort qu’il ne vît le Christ en chair.

XXV. — Et moi, Jacques, qui ai écrit cette histoire, voyant dans Jérusalem un tumulte qu’avait excité Hérode[39], je me retirai dans le désert jusqu’à ce que le tumulte fût apaisé dans Jérusalem. Or je glorifie Dieu, qui m’a donné la tâche d’écrire cette histoire ; mais que sa grâce soit avec ceux qui craignent le Seigneur [Jésus-Christ], à qui la gloire et la force [avec le Père éternel, et l’Esprit-Saint, bon et vivifique, maintenant et toujours, et] dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


  1. Voyez ci-devant, page 457, n° xix.
  2. Voyez la note 6 de la page 462.
  3. Moses, Exod., ch. xxiv, v. 18 ; ch. xxxiv, v. 28 ; et Deut., ch. xix, v. 9 et 11 ; Élias, II, Reg., ch. xix, v. 8 ; Jesus, Matth., ch. iv, v. 2. (Note de Voltaire.)
  4. Joan., ch. iv, v. 34. (Id.)
  5. Ps. cxvii, v. 24. (Note de Voltaire.)
  6. Matth., ch. iv, v. 10. (Id.)
  7. Judith, x, v. 3. (Note de Voltaire.)
  8. Genes., xxi, v. 2. (Id.)
  9. Samuel, i, ult. (Note de Voltaire.)
  10. Exod., ch. xxviii, v. 36. (Id.)
  11. Luc, ch. xviii, v. 14. (Id.)
  12. Genes., chap. xxi, v. 8. (Note de Voltaire.)
  13. I., Sam. 2 ; Luc. i. (Id.)
  14. Matth., chap. xx, v. 28. (Note de Voltaire.)
  15. Num., xvii. (Id.)
  16. Levit., xxv, v. 9. (Id.)
  17. Num., xvi. (Note de Voltaire.)
  18. Luc, i, v. 20. (Id.)
  19. Genes., xxiv, v. 15. (Id.)
  20. Luc, i. v. 28. (Note de Voltaire.)
  21. Luc, i. v. 35. (id.)
  22. Luc, i, v. 43. (Note de Voltaire.)
  23. Luc, ii, v. 33 et 50. (Id.)
  24. Luc, i, v. 24. (Note de Voltaire.)
  25. Supra, chap. viii. (Id.)
  26. Deutéronome, xxii, v. 13. (Note de Voltaire.)
  27. I. Sam., xii, v. 3 et 5. (Id.)
  28. Exod., xx, v. 16. (Id.)
  29. I. Pet. ep., ch. v, v. 6. (Id.)
  30. Num., v, v. 18. (Note de Voltaire.)
  31. Luc., ii, v. 1. (Id.)
  32. Marc., vi, v. 3. Ce Joseph est aussi nommé Joses, et les quatre frères de Jésus sont Jacques, Joseph, Judas, et Simon. (Id.)
  33. Genes., xxv, v. 23. (Id.)
  34. Mich., v, v. 2 ; Matth., ii, v. 6. (Note de Voltaire.)
  35. Les Arabes disent aussi qu’un roi des Perses fit mourir tous les enfants à cause de Daniel. Bochart, part. i, Hieroz., 1. et c. iii. (Note de Voltaire.)
  36. Luc, ii, v. 7. (Id.)
  37. Apocal., vi, v. 16. (Id.)
  38. Matth., xxvii, v. 51. (Note de Voltaire.)
  39. Act. xii, v. 1 et 2 (Id.)