Quelques Odes de Hafiz/1

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Traduction par A.L.M. Nicolas.
Ernest Leroux (Bibliothèque orientale elzévirienne, LXXIIIp. 2-5).
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I


Attention, ô échanson ! fais circuler la coupe, invite les convives à boire, car, vois-tu, l’amour nous a d’abord semblé chose facile, mais ensuite que de difficultés se sont présentées !


Grâce à ce délicieux parfum que le zéphyr détache de cette belle chevelure, de ces boucles empreintes de musc, torses en tous sens, tous les cœurs sont inondés de sang[1] !


Imprègne de vin le tapis de la prière, si c’est le chef de la taverne[2] qui t’y convie, car celui qui suit une route n’ignore ni son chemin, ni l’état des étapes qu’il parcourt[3].


De quelle joie, de quel repos veut-on que je jouisse en cette demeure de ma mie, lorsqu’à chaque instant les grelots de la caravane me convient à me préparer au départ[4] !


La nuit est profonde, le danger des vagues et des tourbillons de la vie est pressant. Quelle idée peuvent se faire de notre pitoyable état ceux qui, allégés de tout, se trouvent en repos au bord de cette mer ?


Tous mes actes accomplis de mon propre gré m’ont conduit à la déconsidération. Oh ! comment eut-il pu rester caché ce secret de mon cœur qui fait en ce moment le sujet de toutes les conversations ?


Veux-tu jouir de la présence divine, ô Hafiz ? ne t’absente pas un instant de celle de ta bien-aimée. Dès que tes regards la rencontrent, renonce au monde, abandonne-le pour la suivre.


  1. Le musc est, d’après les Persans, du sang extrait du nombril de la gazelle. Le poète a voulu établir un certain rapport entre ce sang parfumé et celui dont les cœurs sont inondés par la violence de l’amour qui les embrase.
  2. Le Mourchid, c’est-à-dire le guide spirituel que doit prendre tout Saleq.
  3. Une variante de texte d’un autre manuscrit peut se traduire par : « Car celui qui nous guide n’ignore pas la route et connaît le chemin que nous avons à suivre dans cette voie. »
  4. On peut traduire aussi : « De quelle joie, de quel repos veut-on que je jouisse en cette demeure de ma mie lorsqu’à chaque instant les grelots de la caravane m’annoncent son prochain départ ! » Mais je pense que la première leçon est plus poétique et surtout plus conforme à la philosophie du poète.