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Histoires extraordinaires/Révélation magnétique

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Traduction par Charles Baudelaire.
Histoires extraordinairesMichel Lévy fr. (p. 353-370).


RÉVÉLATION MAGNÉTIQUE


Bien que les ténèbres du doute enveloppent encore toute la théorie positive du magnétisme, ses foudroyants effets sont maintenant presque universellement admis. Ceux qui doutent de ces effets sont de purs douteurs de profession, une impuissante et peu honorable caste. Ce serait absolument perdre son temps aujourd’hui que de s’amuser à prouver que l’homme, par un pur exercice de sa volonté, peut impressionner suffisamment son semblable pour le jeter dans une condition anomale, dont les phénomènes ressemblent littéralement à ceux de la mort, ou du moins leur ressemblent plus qu’aucun des phénomènes produits dans une condition anomale connue ; que, tout le temps que dure cet état, la personne ainsi influencée n’emploie qu’avec effort, et conséquemment avec peu d’aptitude, les organes extérieurs des sens, et que néanmoins elle perçoit, avec une perspicacité singulièrement subtile et par un canal mystérieux, des objets situés au delà de la portée des organes physiques ; que, de plus, ses facultés intellectuelles s’exaltent et se fortifient d’une manière prodigieuse ; que ses sympathies avec la personne qui agit sur elle sont profondes ; et que finalement sa susceptibilité des impressions magnétiques croit en proportion de leur fréquence, en même temps que les phénomènes particuliers obtenus s’étendent et se prononcent davantage et dans la même proportion. Je dis qu’il serait superflu de démontrer ces faits divers, où est contenue la loi générale du magnétisme, et qui en sont les traits principaux. Je n’infligerai donc pas aujourd’hui à mes lecteurs une démonstration aussi parfaitement oiseuse. Mon dessein, quant à présent, est en vérité d’une tout autre nature. Je sens le besoin, en dépit de tout un monde de préjugés, de raconter, sans commentaires, mais dans tous ses détails, un très-remarquable dialogue qui eut lieu entre un somnambule et moi.

J’avais depuis longtemps l’habitude de magnétiser la personne en question, M. Vankirk, et la susceptibilité vive, l’exaltation du sens magnétique, s’étaient déjà manifestées. Pendant plusieurs mois, M. Vankirk avait beaucoup souffert d’une phtisie avancée, dont les effets les plus cruels avaient été diminués par mes passes, et, dans la nuit du mercredi, 15 courant, je fus appelé à son chevet.

Le malade souffrait des douleurs vives dans la région du cœur et respirait avec une grande difficulté, ayant tous les symptômes ordinaires d’un asthme. Dans des spasmes semblables, il avait généralement trouvé du soulagement dans des applications de moutarde aux centres nerveux ; mais, ce soir-là, il y avait eu recours en vain.

Quand j’entrai dans sa chambre, il me salua d’un gracieux sourire, et, quoiqu’il fût en proie à des douleurs physiques aiguës, il me parut absolument calme quant au moral.

— Je vous ai envoyé chercher cette nuit, dit-il, non pas tant pour m’administrer un soulagement physique que pour me satisfaire relativement à de certaines impressions psychiques qui m’ont récemment causé beaucoup d’anxiété et de surprise. Je n’ai pas besoin de vous dire combien j’ai été sceptique jusqu’à présent sur le sujet de l’immortalité de l’âme. Je ne puis pas vous nier que, dans cette âme que j’allais niant, a toujours existé comme un demi-sentiment assez vague de sa propre existence. Mais ce demi-sentiment ne s’est jamais élevé à l’état de conviction. De tout cela ma raison n’avait rien à faire. Tous mes efforts pour établir là-dessus une enquête logique n’ont abouti qu’à me laisser plus sceptique qu’auparavant. Je me suis avisé d’étudier Cousin ; je l’ai étudié dans ses propres ouvrages aussi bien que dans ses échos européens et américains. J’ai eu entre les mains, par exemple, le Charles Elwood de M. Brownson. Je l’ai lu avec une profonde attention. Je l’ai trouvé logique d’un bout à l’autre ; mais les portions qui ne sont pas de la pure logique sont malheureusement les arguments primordiaux du héros incrédule du livre. Dans son résumé, il me parut évident que le raisonneur n’avait pas même réussi à se convaincre lui-même. La fin du livre a visiblement oublié le commencement, comme Trinculo son gouvernement. Bref je ne fus pas longtemps à m’apercevoir que, si l’homme doit être intellectuellement convaincu de sa propre immortalité, il ne le sera jamais par les pures abstractions qui ont été si longtemps la manie des moralistes anglais, français et allemands. Les abstractions peuvent être un amusement et une gymnastique, mais elles ne prennent pas possession de l’esprit. Tant que nous serons sur cette terre, la philosophie, j’en suis persuadé, nous sommera toujours en vain de considérer les qualités comme des êtres. La volonté peut consentir, — mais l’âme, — mais l’intellect, jamais.

Je répète donc que j’ai seulement senti à moitié, et que je n’ai jamais cru intellectuellement. Mais, dernièrement, il y eut en moi un certain renforcement de sentiment, qui prit une intensité assez grande pour ressembler à un acquiescement de la raison, au point que je trouve fort difficile de distinguer entre les deux. Je crois avoir le droit d’attribuer simplement cet effet à l’influence magnétique. Je ne saurais expliquer ma pensée que par une hypothèse, à savoir que l’exaltation magnétique me rend apte à concevoir un système de raisonnement qui dans mon existence anormale me convainc, mais qui, par une complète analogie avec le phénomène magnétique, ne s’étend pas, excepté par son effet, jusqu’à mon existence normale. Dans l’état somnambulique, il y a simultanéité et contemporanéité entre le raisonnement et la conclusion, entre la cause et son effet. Dans mon état naturel, la cause s’évanouissant, l’effet seul subsiste, et encore peut-être fort affaibli.

Ces considérations m’ont induit à penser que l’on pourrait tirer quelques bons résultats d’une série de questions bien dirigées, proposées à mon intelligence dans l’état magnétique. Vous avez souvent observé la profonde connaissance de soi-même manifestée par le somnambule et la vaste science qu’il déploie sur tous les points relatifs à l’état magnétique. De cette connaissance de soi-même on pourrait tirer des instructions suffisantes pour la rédaction rationnelle d’un catéchisme.

Naturellement, je consentis à faire cette expérience. Quelques passes plongèrent M. Vankirk dans le sommeil magnétique. Sa respiration devint immédiatement plus aisée, et il ne parut plus souffrir aucun malaise physique. La conversation suivante s’engagea. — V dans le dialogue représentera le somnambule, et P, ce sera moi.


P. Êtes-vous endormi ?

V. Oui, — non. Je voudrais bien dormir plus profondément.

P. (après quelques nouvelles passes). Dormez-vous bien, maintenant ?

V. Oui.

P. Comment supposez-vous que finira votre maladie actuelle ?

V (après une longue hésitation et parlant comme avec effort). J’en mourrai.

P. Cette idée de mort vous afflige-t-elle ?

V (avec vivacité). Non, non !

P. Cette perspective vous réjouit-elle ?

V. Si j’étais éveillé, j’aimerais mourir. Mais maintenant il n’y a pas lieu de le désirer. L’état magnétique est assez près de la mort pour me contenter.

P. Je voudrais bien une explication un peu plus nette, monsieur Vankirk.

V. Je le voudrais bien aussi ; mais cela demande plus d’effort que je ne me sens capable d’en faire. Vous ne me questionnez pas convenablement.

P. Alors, que faut-il vous demander ?

V. Il faut que vous commenciez par le commencement.

P. Le commencement ! Mais où est-il, le commencement ?

V. Vous savez bien que le commencement est Dieu. (Ceci fut dit sur un ton bas, ondoyant, et avec tous les signes de la plus profonde vénération.)

P. Qu’est-ce donc que Dieu ?

V (hésitant quelques minutes). Je ne puis pas le dire.

P. Dieu n’est-il pas un esprit ?

V. Quand j’étais éveillé, je savais ce que vous entendiez par esprit. Mais maintenant, cela ne me semble plus qu’un mot, — tel, par exemple, que vérité, beauté, — une qualité enfin.

P. Dieu n’est-il pas immatériel ?

V. Il n’y a pas d’immatérialité ; — c’est un simple mot. Ce qui n’est pas matière n’est pas, — à moins que les qualités ne soient des êtres.

P. Dieu est-il donc matériel ?

V. Non. (Cette réponse m’abasourdit.)

P. Alors qu’est-il ?

V. (après une longue pause, et en marmottant). Je le vois, — je le vois, — mais c’est une chose très-difficile à dire. (Autre pause également longue.) Il n’est pas esprit, car il existe. Il n’est pas non plus matière, comme vous l’entendez. Mais il y a des gradations de matière dont l’homme n’a aucune connaissance, la plus dense entraînant la plus subtile, la plus subtile pénétrant la plus dense. L’atmosphère, par exemple, met en mouvement le principe électrique, pendant que le principe électrique pénètre l’atmosphère. Ces gradations de matière augmentent en raréfaction et en subtilité jusqu’à ce que nous arrivions à une matière imparticulée, — sans molécules, — indivisible, — une ; et ici la loi d’impulsion et de pénétration est modifiée. La matière suprême ou imparticulée non-seulement pénètre les êtres, mais met tous les êtres en mouvement, — et ainsi elle est tous les êtres en un, qui est elle-même. Cette matière est Dieu. Ce que les hommes cherchent à personnifier dans le mot pensée, c’est la matière en mouvement.

P. Les métaphysiciens maintiennent que toute action se réduit à mouvement et pensée, et que celle-ci est l’origine de celui-là.

V. Oui ; je vois maintenant la confusion d’idées. Le mouvement est l’action de l’esprit, non de la pensée. La matière imparticulée, ou Dieu à l’état de repos, est, autant que nous pouvons le concevoir, ce que les hommes appellent esprit. Et cette faculté d’automouvement — équivalente en effet à la volonté humaine — est dans la matière imparticulée le résultat de son unité et de son omnipotence ; comment, je ne le sais pas, et maintenant je vois clairement que je ne le saurai jamais ; mais la matière imparticulée, mise en mouvement par une loi ou une qualité contenue en elle, est pensante.

P. Ne pouvez-vous pas me donner une idée plus précise de ce que vous entendez par matière imparticulée ?

V. Les matières dont l’homme a connaissance échappent aux sens, à mesure que l’on monte l’échelle. Nous avons, par exemple, un métal, un morceau de bois, une goutte d’eau, l’atmosphère, un gaz, le calorique, l’électricité, l’éther lumineux. Maintenant, nous appelons toutes ces choses matière, et nous embrassons toute matière dans une définition générale ; mais, en dépit de tout ceci, il n’y a pas deux idées plus essentiellement distinctes que celle que nous attachons au métal, et celle que nous attachons à l’éther lumineux. Si nous prenons ce dernier, nous sentons une presque irrésistible tentation de le classer avec l’esprit ou avec le néant. La seule considération qui nous retient est notre conception de sa constitution atomique. Et encore, ici même, avons-nous besoin d’appeler à notre aide et de nous remémorer notre notion primitive de l’atome, c’est-à-dire de quelque chose possédant dans une infinie exiguïté la solidité, la tangibilité, la pesanteur. Supprimons l’idée de la constitution atomique, et il nous sera impossible de considérer l’éther comme une entité, ou au moins comme une matière. Faute d’un meilleur mot, nous pourrions l’appeler esprit. Maintenant, montons d’un degré au delà de l’éther lumineux, concevons une matière qui soit à l’éther, quant à la raréfaction, ce que l’éther est au métal, et nous arrivons enfin, en dépit de tous les dogmes de l’école, à une masse unique, — à une matière imparticulée. Car, bien que nous puissions admettre une infinie petitesse dans les atomes eux-mêmes, supposer une infinie petitesse dans les espaces qui les séparent est une absurdité. Il y aura un point, — il y aura un degré de raréfaction, où, si les atomes sont en nombre suffisant, les espaces s’évanouiront, et où la masse sera absolument une. Mais la considération de la constitution atomique étant maintenant mise de côté, la nature de cette masse glisse inévitablement dans notre conception de l’esprit. Il est clair, toutefois, qu’elle est tout aussi matière qu’auparavant. Le vrai est qu’il est aussi impossible de concevoir l’esprit que d’imaginer ce qui n’est pas. Quand nous nous flattons d’avoir enfin trouvé cette conception, nous avons simplement donné le change à notre intelligence par la considération de la matière infiniment raréfiée.

P. Il me semble qu’il y a une insurmontable objection à cette idée de cohésion absolue, — et c’est la très-faible résistance subie par les corps célestes dans leurs révolutions à travers l’espace, — résistance qui existe à un degré quelconque, cela est aujourd’hui démontré, — mais à un degré si faible, qu’elle a échappé à la sagacité de Newton lui-même. Nous savons que la résistance des corps est surtout en raison de leur densité. L’absolue cohésion est l’absolue densité ; là où il n’y a pas d’intervalles, il ne peut pas y avoir de passage. Un éther absolument dense constituerait un obstacle plus efficace à la marche d’une planète qu’un éther de diamant ou de fer.

V. Vous m’avez fait cette objection avec une aisance qui est à peu près en raison de son apparente irréfutabilité. — Une étoile marche ; qu’importe que l’étoile passe à travers l’éther ou l’éther à travers elle ? Il n’y a pas d’erreur astronomique plus inexplicable que celle qui concilie le retard connu des comètes avec l’idée de leur passage à travers l’éther ; car, quelque raréfié qu’on suppose l’éther, il fera toujours obstacle à toute révolution sidérale, dans une période singulièrement plus courte que ne l’ont admis tous ces astronomes qui se sont appliqués à glisser sournoisement sur un point qu’ils jugeaient insoluble. Le retard réel est d’ailleurs à peu près égal à celui qui peut résulter du frottement de l’éther dans son passage incessant à travers l’astre. La force de retard est donc double, d’abord momentanée et complète en elle-même, et en second lieu infiniment croissante.

P. Mais dans tout cela, — dans cette identification de la pure matière avec Dieu, n’a-t-il rien d’irrespectueux ? (Je fus forcé de répéter cette question pour que le somnambule pût complètement saisir ma pensée.)

V. Pouvez-vous dire pourquoi la matière est moins respectée que l’esprit ? Mais vous oubliez que la matière dont je parle est, à tous égards et surtout relativement à ses hautes propriétés, la véritable intelligence ou esprit des écoles et en même temps la matière de ces mêmes écoles. Dieu, avec tous les pouvoirs attribués à l’esprit, n’est que la perfection de la matière.

P. Vous affirmez donc que la matière imparticulée en mouvement est pensée ?

V. En général, ce mouvement est la pensée universelle de l’esprit universel ; cette pensée crée ; toutes les choses créées ne sont que les pensées de Dieu.

P. Vous dites : en général.

V. Oui, l’esprit universel est Dieu ; pour les nouvelles individualités, la matière est nécessaire.

P. Mais vous parlez maintenant d’esprit et de matière comme les métaphysiciens.

V. Oui, pour éviter la confusion. Quand je dis esprit, j’entends la matière imparticulée ou suprême ; sous le nom de matière, je comprends toutes les autres espèces.

P. Vous disiez : pour les nouvelles individualités la matière est nécessaire.

V. Oui, car l’esprit existant incorporellement, c’est Dieu. Pour créer des êtres individuels pensants, il était nécessaire d’incarner des portions de l’esprit divin. C’est ainsi que l’homme est individualisé ; dépouillé du vêtement corporel, il serait Dieu. Maintenant, le mouvement spécial des portions incarnées de la matière imparticulée, c’est la pensée de l’homme, comme le mouvement de l’ensemble est celle de Dieu.

P. Vous dites que, dépouillé de son corps, l’homme sera Dieu ?

V. (Après quelque hésitation). Je n’ai pas pu dire cela, c’est une absurdité.

P. (Consultant mes notes). Vous avez affirmé que, dépouillé du vêtement corporel, l’homme serait Dieu.

V. Et cela est vrai. L’homme ainsi dégagé serait Dieu, il serait désindividualisé ; mais il ne peut être ainsi dépouillé, — du moins il ne le sera jamais ; — autrement, il nous faudrait concevoir une action de Dieu revenant sur elle-même, une action futile et sans but. L’homme est une créature ; les créatures sont les pensées de Dieu, et c’est la nature d’une pensée d’être irrévocable.

P. Je ne comprends pas. Vous dites que l’homme ne pourra jamais rejeter son corps.

V. Je dis qu’il ne sera jamais sans corps.

P. Expliquez-vous.

V. Il y a deux corps : le rudimentaire et le complet, correspondant aux deux conditions de la chenille et du papillon. Ce que nous appelons mort n’est que la métamorphose douloureuse ; notre incarnation actuelle est progressive, préparatoire, temporaire ; notre incarnation future est parfaite, finale, immortelle. La vie finale est le but suprême.

P. Mais nous avons une notion palpable de la métamorphose de la chenille.

V. Nous, certainement, mais non la chenille. La matière dont notre corps rudimentaire est composé est à la portée des organes de ce même corps, ou, plus distinctement, nos organes rudimentaires sont appropriés à la matière dont est fait le corps rudimentaire, mais non à celle dont le corps suprême est composé. Le corps ultérieur on suprême échappe donc à nos sens rudimentaires, et nous percevons seulement la coquille qui tombe en dépérissant et se détache de la forme intérieure, et non la forme intime elle-même ; mais cette forme intérieure, aussi bien que la coquille, est appréciable pour ceux qui ont déjà opéré la conquête de la vie ultérieure.

P. Vous avez dit souvent que l’état magnétique ressemblait singulièrement à la mort. Comment cela ?

V. Quand je dis qu’il ressemble à la mort, j’entends qu’il ressemble à la vie ultérieure, car, lorsque je suis magnétisé, les sens de ma vie rudimentaire sont en vacance, et je perçois les choses extérieures directement, sans organes, par un agent qui sera à mon service dans la vie ultérieure ou inorganique.

P. Inorganique ?

V. Oui. Les organes sont des mécanismes par lesquels l’individu est mis en rapport sensible avec certaines catégories et formes de la matière, à l’exclusion des autres catégories et des autres formes. Les organes de l’homme sont appropriés à sa condition rudimentaire, et à elle seule. Sa condition ultérieure, étant inorganique, est propre à une compréhension infinie de toutes choses, une seule exceptée, — qui est la nature de la volonté de Dieu, c’est-à-dire le mouvement de la matière imparticulée. Vous aurez une idée distincte du corps définitif en le concevant tout cervelle ; il n’est pas cela, mais une conception de cette nature vous rapprochera de l’idée de sa constitution réelle. Un corps lumineux communique une vibration à l’éther chargé de transmettre la lumière ; cette vibration en engendre de semblables dans la rétine, lesquelles en communiquent de semblables au nerf optique ; le nerf les traduit au cerveau, et le cerveau à la matière imparticulée qui le pénètre ; le mouvement de cette dernière est la pensée, et sa première vibration, c’était la perception. Tel est le mode par lequel l’esprit de la vie rudimentaire communique avec le monde extérieur, et ce monde extérieur est, dans la vie rudimentaire, limité par l’idiosyncrasie des organes. Mais, dans la vie ultérieure, inorganique, le monde extérieur communique avec le corps entier, — qui est d’une substance ayant quelque affinité avec le cerveau, comme je vous l’ai dit, — sans autre intervention que celle d’un éther infiniment plus subtil que l’éther lumineux ; et le corps tout entier vibre à l’unisson avec cet éther et met en mouvement la matière imparticulée dont il est pénétré. C’est donc à l’absence d’organes idiosyncrasiques qu’il faut attribuer la perception quasi illimitée de la vie ultérieure. Les organes sont des cages nécessaires où sont enfermés les êtres rudimentaires jusqu’à ce qu’ils soient garnis de toutes leurs plumes.

P. Vous parlez d’êtres rudimentaires, y a-t-il d’autres êtres rudimentaires pensants que l’homme ?

V. L’incalculable agglomération de matière subtile dans les nébuleuses, les planètes, les soleils, et autres corps qui ne sont ni nébuleuses, ni soleils, ni planètes, a pour unique destination de servir d’aliment aux organes idiosyncrasiques d’une infinité d’êtres rudimentaires ; mais, sans cette nécessité de la vie rudimentaire, acheminement à la vie définitive, de pareils mondes n’auraient pas existé ; chacun de ces mondes est occupé par une variété distincte de créatures organiques, rudimentaires, pensantes ; dans toutes, les organes varient avec les caractères généraux de l’habitacle. À la mort ou métamorphose, ces créatures, jouissant de la vie ultérieure, de l’immortalité, et connaissant tous les secrets, excepté l’unique, opèrent tous leurs actes et se meuvent dans tous les sens par un pur effet de leur volonté ; elles habitent, — non plus les étoiles qui nous paraissent les seuls mondes palpables, et pour la commodité desquelles nous croyons stupidement que l’espace a été créé, mais l’espace lui-même, cet infini dont l’immensité véritablement substantielle absorbe les étoiles comme des ombres et pour l’œil des anges les efface comme des non-entités.

P. Vous dites que, sans la nécessité de la vie rudimentaire, les astres n’auraient pas été créés. Mais pourquoi cette nécessité ?

V. Dans la vie inorganique, aussi bien que généralement dans la matière inorganique, il n’y a rien qui puisse contredire l’action d’une loi simple, unique, qui est la Volition divine. La vie et la matière organiques, — complexes, substantielles et gouvernées par une loi multiple, — ont été constituées dans le but de créer un empêchement.

P. Mais encore, — où était la nécessité de créer cet empêchement ?

V. Le résultat de la loi inviolée est perfection, justice, bonheur négatif. Le résultat de la loi violée est imperfection, injustice, douleur positive. Grâce aux empêchements apportés par le nombre, la complexité ou la substantialité des lois de la vie et de la matière organiques, la violation de la loi devient jusqu’à un certain point praticable. Ainsi la douleur, qui est impossible dans la vie inorganique, est possible dans l’organique.

P. Mais en vue de quel résultat satisfaisant la possibilité de la douleur a-t-elle été créée ?

V. Toutes choses sont bonnes ou mauvaises par comparaison. Une suffisante analyse démontrera que le plaisir, dans tous les cas, n’est que le contraste de la peine. Le plaisir positif est une pure idée. Pour être heureux jusqu’à un certain point, il faut que nous ayons souffert jusqu’au même point. Ne jamais souffrir serait équivalent à n’avoir jamais été heureux. Mais il est démontré que dans la vie inorganique la peine ne peut pas exister ; de là la nécessité de la peine dans la vie organique. La douleur de la vie primitive sur la terre est la seule base, la seule garantie du bonheur dans la vie ultérieure, dans le ciel.

P. Mais encore il y a une de vos expressions que je ne puis absolument pas comprendre : l’immensité véritablement substantielle de l’infini.

V. C’est probablement parce que vous n’avez pas une notion suffisamment générique de l’expression substance elle-même. Nous ne devons pas la considérer comme une qualité, mais comme un sentiment ; c’est la perception, dans les êtres pensants, de l’appropriation de la matière à leur organisation. Il y a bien des choses sur la terre qui seraient néant pour les habitants de Vénus, bien des choses visibles et tangibles dans Vénus, dont nous sommes incompétents à apprécier l’existence. Mais, pour les êtres inorganiques, — pour les anges, — la totalité de la matière imparticulée est substance, c’est-à-dire que, pour eux, la totalité de ce que nous appelons espace est la plus véritable substantialité. Cependant, les astres, pris au point de vue matériel, échappent au sens angélique dans la même proportion que la matière imparticulée, prise au point de vue immatériel, échappé aux sens organiques.


Comme le somnambule, d’une voix faible, prononçait ces derniers mots, j’observai dans sa physionomie une singulière expression qui m’alarma un peu et me décida à le réveiller immédiatement. Je ne l’eus pas plus tôt fait, qu’il tomba en arrière sur son oreiller et expira, avec un brillant sourire qui illuminait tous ses traits. Je remarquai que moins d’une minute après son corps avait l’immuable rigidité de la pierre ; son front était d’un froid de glace, tel sans doute je l’eusse trouvé après une longue pression de la main d’Azraël. Le somnambule, pendant la dernière partie de son discours, m’avait-il donc parlé du fond de la région des ombres ?