Rapport de la Cour des comptes sur l’affaire des Avions renifleurs

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LE RAPPORT INTEGRAL DE LA COUR DES COMPTES SUR L’AFFAIRE DES AVIONS RENIFLEURS

Rapport confidentiel de la Cour des comptes sur certaines opérations de l’entreprise de recherches et d’activités pétrolières. de l’Entreprise de Recherches et d’Activités pétrolières (ERAP), etablissement public, relève de la pleine compétence de la Cour des Comptes. Pour les exercices 1977, 1978 et 1979, le rapport sur les comptes et la gestion de l’ERAP a été confié à M. François GIQUEL, conseiller référendaire. Le Président de l’ERAP en a été informé par lettre du Premier président de la Cour des Comptes en date du 24 décembre 1979.

L’analyse des comptes sociaux de l’ERAP fit très vite apparaître l’évolution apparemment aberrante de l’un des postes du compte d’exploitation générale :

— sous-compte 636 : études, recherches et documentation technique
— 1977 : 3,6 millions de francs
— 1978 : 126,4 millions de francs
— 1979 : 198,5 millions de francs

Par sa soudaineté et son importance (à titre de comparaison, le dividende versé à l’Etat pour ces mêmes années est respectivement de 21, 45 et 185 millions de francs), un tel phénomène appelait nécessairement des questions.

Au moment où il s’apprêtait à les poser aux services comptables de l’établissement, le rapporteur fut prévenu par le Président de la Chambre compétente que les « études et recherches » figurant dans les écritures de l’ERAP en 1977-1980 correspondaient à une opération exceptionnelle et hautement confidentielle, dont les grandes lignes avaient été portées à la connaissance de la Cour par les dirigeants d’Elf-Aquitaine le 22 janvier 1979.

Aussi convenait-il, tout en exerçant la totalité des pouvoirs dont dispose la Haute Juridiction, d’observer des règles particulières dans l’instruction de cette affaire afin qu’un secret absolu put être conservé tant au sein du Groupe d’Etat où quelques personnes seulement, nommément désignées, étaient informées, qu’à l’égard des ministères de tutelle. Les dispositions nécessaires a cet égard ont été prises au sein même de la Cour.

Si ces conditions — et en particulier l’impossibilité de conserver ou reproduire les pièces écrites — ont ralenti et complique le déroulement de l’enquête, le rapporteur a pu néanmoins s’entretenir aussi longuement que nécessaire avec toutes les personnes qu’il a souhaitées entendre (cf liste ci-jointe) et avoir accès, sinon a tous les documents possibles et souhaitables (car aucun dossier exhaustif n’avait été préalablement constitue), du moins a tous ceux dont il venait à apprendre ou dont il supposait l’existence. Aucun refus de communication ne lui a jamais été oppose. Pour les sociétés dont la gestion avait ete assurée par Elf-Aquitaine, les comptes sociaux et pièces justificatives lui ont été présentes.

Le présent rapport s’efforce de rassembler et d’analyser les observations qui ont pu être faites au cours de cette instruction, en examinant successivement : — les faits (lre partie) — les coûts et modalités de financement (2e partie) — les responsabilités (3e partie).

Au tout début de l’année 1976, les dirigeants de l’ERAP furent approchés par les représentants d’un important groupe financier européen qui attirèrent leur attention sur une invention scientifique susceptible de bouleverser la recherche pétrolière.

Un inventeur belge, le Comte Alain de VILLEGAS, avait mis au point des appareils permettant de « voir » sous terre, jusqu’à plusieurs milliers de mètres de profondeur, et d’identifier à coup sûr des matières d’une importance économique considérable : gaz, pétrole, eau, certains minerais. Aucune précision n’était donnée sur la nature des phénomènes physiques ainsi appréhendés, et la théorie scientifique susceptible de les expliquer. A plus forte raison, on ne pouvait fournir le moindre renseignement ni sur la technologie mise en œuvre, ni sur les appareils utilisés.

Mais le groupe en question, qui finançait les travaux et essais de M. de VILLEGAS depuis 1969, affirmait avoir obtenu des résultats réellement surprenants d’abord dans la recherche de l’eau, en 1972-1973 (en Espagne), puis dans la prospection des hydrocarbures. En 1974-1975, des campagnes aériennes s’étaient déroulées en Europe, au Brésil, en Afrique du Sud. On avait décelé des possibilités de « gisement » en Irlande, en Suisse.

En Afrique du Sud, le « gisement » découvert par le nouveau procédé n’avait malheureusement pu être atteint par un premier forage : les évaluations de profondeur n’étaient pas encore assez précises. Mais l’inventeur avait donné d’autres preuves de la valeur de son procédé. Le résultat (négatif) de deux forages qui étaient en cours dans un autre périmètre avait été annoncé l’avance par M. de Villegas ; des tests sur l’importance de certaines mines d’or, dont l’une faisait encore l’objet d’estimations, s’etaient révélés exacts ; enfin, une autre expérience sur une zone de stockage souterrain d’hydrocarbures avait été jugée réussie par les experts gouvernementaux Sud-africains qui étaient seuls à en connaître les données.

Aussi proposait-on à l’ERAP de faire un essai, sans bourse délier, et de se décider au vu des résultats.

Pourquoi s’adresser à une entreprise pétrolière extérieure ? C’est que l’invention paraissait sinon totalement au point, du moins suffisamment établie, et que le moment était venu de passer à une exploitataion à grande échelle, avec les moyens humains et matériels, les connaissances techniques, le métier des professionnels de l’industrie pétrolière.

Pourquoi l’ERAP ?

Maître Jean VIOLET, ancien avocat au barreau de Paris (1), conseil juridique du groupe financier parrain, et qui était de longue date en relation avec l’ERAP, faisait valoir que la chose n’allait pas de soi, que les divergences existaient au sein de ce groupe (où figuraient des intérêts italiens, espagnols, etc.), mais qu’il y avait précisément une chance à saisir pour la France. M. Antoine PINAY, appelé en renfort, c efendait la même cause. Il fallait faire vite, sous peine de voir l’invention partir vers d’autres pays. On parlait d’Exxon.

Si l’essai était juge satisfaisant par les experts de l’ERAP, on fonderait une société que le président de l’Union des Banques Suisses (2), M. Philippe de WECK, personnalité de premier plan, présiderait en personne.

L’ACCORD DU 28 MAI 1976 ET SON APPLICATION

LES FAITS — EXPOSE CHRONOLOGIOUE

Le président de l’ERAP, M. GUILLAUMAT, fit préparer dans le plus grand secret un programme d’expérimentations dans le Sud-Ouest par une équipe restreinte, de haut niveau, comprenant M. Gilbert RUTMAN, Directeur Général de la branche Exploration-Production, M. Paul ALBA, Directeur de l’informatique, M. Maurice JEANTET, Directeur de la Mission France (Exploration-Production ) et M. Claude FABRE, Directeur du Domaine Minier.

Les premières démonstrations

Le programme de reconnaissance aérienne prévoyait le survol de sites où l’ERAP connaissait l’existence de petits gisements d’hydrocarbures : — LANNEMEZAN (gaz) — BONREPOS (huile) — CASTERA Lou (huile) — BAZORDAN (gaz)

Peur le procédé de détection à terre, deux sites furent présentés à l’épreuve : — Lannemezan, « forage à grande profondeur ayant présenté un important incident, entraînant une bifurcation » ; — Bonrepos, « gisement composé de deux couches d’huile superposées ».

Les essais auxquels l’ERAP donna le nom de code « opération Aix » (3), se déroulèrent entre le 30 avril et le 7 mai 1976.

Le dispositif au aéroporté A — que les inventeurs baptisèrent « Delta » — permettait la prospection à grande altitude (5 à 7 000 mètres) ; il fonctionnait en principe à la verticale, et signalait par un « couinement » sonore plus ou moins intense la présence d’un gisement d’hydrocarbures. A l’époque, l’appareil Delta ne donnait aucune image exploitable.

L’appareillage B — baptisé « Oméga » — était un dispositif de reconnaissance de détail au sol donnant des images fixes (en noir et blanc) sur une petite console de visualisation. Les observateurs n’avaient évidemment pas accès à la partie essentielle, soigneusement dissimulée aux regards sous une tente, mais seulement à la console (placée à quelque distance dans une camionnette). A l’aide d’un crayon magnétique, posé sur tel ou tel point de l’image d’un « gisement », ils pouvaient interroger l’appareil sur trois paramètres : profondeur (en mètres), épaisseur du gisement (en mètres), teneur en hydrocarbures (celle-ci notée seulement sur une échelle arbitraire allant du plus léger au plus lourd). Après traitement informatique, le décodeur donnait une réponse immédiate.

Les représentants de l’ERAP furent stupéfaits de la qualité et de la précision des résultats. Leur rapport, qui ne fut consigné par écrit que le 30 mai, en témoigne :

(Lors du survol des quatre sites de Lannemezan, Bonrepos, Castera Lou, et Bazordan).

« Dans chaque cas, le procédé A a correctement indiqué la présence d’hydrocarbures et donné une évaluation convenable de leur profondeur.

Le test a été compliqué par le survol, non prévu au programme, des sites de St-Marcet (vieux gisement de gaz totalement décomprimé) et Plagne (structure reconnue sans hydrocarbures) : dans ces deux cas-là également, les réponses furent correctes (c’est-à-dire présence d’une faible quantité de gaz, et absence d’hydrocarbures).

(En reconnaissance terrestre) à Lannemezan, le procédé B détecte à 100 mètres près le niveau de la bifurcation. A Bonrepos, le procédé B retrouve les deux couches d’huile et fournit une mesure exacte de la position des cuvelages métalliques reliant le gisement à la surface. »

Aussi peuvent-ils conclure :

« Les possibilités qualitatives des procédés A et B nous paraissent étonnantes et apportent une mutation dans les techniques de prospection.

Leur emploi demandera naturellement une adaptation, ainsi que la détermination des limites techniques que nous ne connaissons pas encore, notamment en matière d’évaluation quantitative ».

Le Président Guillaumat, considérant d’une part le bilan des essais, d’autre part la qualité des personnalités et des intérêts financiers qui soutenaient M. de Villegas, décida de signer pour une période d’un an un accord avec la société FISALMA et M. de Week, Président du conseil d’administration de l’Union des Banques Suisses, agissant es-qualités de fondé de pouvoir de la société Fisalma S.A Panama, ce qui fut fait le 28 mai 1976 à Zurich.

Le 2 juin 1976, le Président de la République fut informé, lors d’une visite conjointe de M. Guillaumat et de M. Pinay, des perspectives que paraissait ouvrir le nouveau procédé de prospection, « réalisation technique extraordinaire dont quatre directeurs de la maison avaient pu éprouver les résultats dans le Sud-Ouest pendant huit jours », et des modalités de « l’accord que le groupe Elf-Aquitaine a signé le 28 mai, à Zurich, avec le Président de l’Union des Banques Suisses se portant fort pour d<* groupes techniques et financiers ». Il fut exposé que des protections extraordinaires devaient être prises pour assurer le secret de l’accord et des opérations, conduisant l’ERAP à « méconnaître les obligations de contrôle administratif et financier et de contrôle des changes » jusqu’à ce que, comme on l’espérait, « l’entente avec l’inventeur et ses parrains financiers (puisse être) consolidée et étendue. » Le Premier ministre fut à son tour informé le 8 octobre 1976.

Le contenu de l’accord de mai 1976

L’article 1 donne au groupe Elf-Aquitaine « l’exclusivité d’emploi des procédés Delta et Oméga pendant un an », ou, plus exactement, « pendant une période de douze mois de travail effectif dans des conditions normales d’emploi du personnel et des matériels » ; mais l’usage meme des procédés et des appareils reste l’affaire de la société Fisalma. Celle-ci s’engage à fournir les équipements scientifiques et les. personnels nécessaires à la mise en œuvre des procédés, et Elf-Aquitaine, les frais de campagne (logement, nourriture, voyages, déplacements), ainsi que les moyens de transport et de travail aériens, terrestres ou maritimes.

L’exclusivité d’emploi s’étend à toutes les possibilités techniques des procédés, essentiellement la recherche des hydrocarbures liquides et gazeux et, dans toute la mesure du possible, la recherche des minerais.

Selon l’article 5, « en contrepartie de l’exclusivité accordée et des services rendus, Fisalma recevra d’Elf-Aquitaine, directement ou par l’intermédiaire de toute société commise à cet effet, une rémunération définitivement acquise de 200 millions de francs suisses, payable en quatre versements égaux de 50 millions (15 juin 1976, 15 octobre 1976, 15 février, et 15 juin 1977) à l’« Union des Banques Suisses ».

En cas de découverte de pétrole au cours de cette première période, une rémunération complémentaire serait servie à Fisalma, mais elle restait à définir en fonction des résultats obtenus, l’article 6 se contentant d’affirmer qu’« Elf-Aquitaine et Fisalma détermineront ensemble un montant équitable de cette rémunération, ainsi que les modalités ne paiement ».

Mais surtout de part et d’autre on s’engage à observer le secret le plus absolu tant sur l’accord lui-même que sur le procédé et les expérimentations, au point que Fisalma se fait même reconnaître un droit « d’agrément (...) sur tous les membres du personnel Elf-Aquitaine qui interviendraient dans l’exécution de l’accord », (art.7 protection du secret) et que « les deux parties refusent le principe de toute procédure judiciaire » en cas de litige (art.8 entente et arbitrage). Enfin, les signataires « insistent sur le fait que leur accord est conclu dans un esprit tout particulier de coopération » et conviennent de « rechercher en commun, en temps utile, la meilleure mamere de consolider les résultats du travail effectue au cours de la période de validité de l’accord ».

D’ores et déjà est constituée une société simple de droit suisse — équivalent de nos associations « type 1901 » — mais non déclarée, associant M. Philippe de Week, Président, M. Pien. Guillaumat et M. Alain de Villegas, afin de donner aux parties intéressées uni structure de rencontre et de discussioi plus large.

L’ERAP s’acquitta de ses obligations financières aux dates prévues, par le canal d’une société domiciliée au Liechstenstein, Sidana Establishment mise à sa disposition par l’U.B.S. L’U.B.S prêtait à Sidana les fonds nécessaires grâce à des dépôts d’ega montant d’une filiale du groupe, II SOCAP NH (4), qui disposait d’une trésorerie importante, de sorte que rien n’apparut dans les comptes de l’ERAP de la S.N.E.A. et que les autorités de tutelle administrative et financière ignorèrent tout de l’opération.

Les campagnes de prospection

En raison des délais nécessaires pour aménager et équiper le DC-3 loué pour ! circonstance, l’utilisation du procède ne fut commencée que dans la deuxième quinzaine de juin 1976 par des survols Delta dans la région de Lacq (30 heures de vol environ entre le 22 et le 29 juin). Aucun compte-rendu détaillé ne fut semble-t-il, établi, mais de nombreux sites intéressants furent décelés, ce qui incita le groupe pétrolier à prendre un permis de recherche sur une structure anomalique autour de Montegut.

Après un mois de repos, une nouvelle campagne aérienne, plus importante et destinée à couvrir systématiquement l’ensemble de la Mer d’Iroise et de l’off-shore breton, eut lieu du 3 août au ... septembre (plus de 50 heures de vol).

L’ERAP était représenté par M. Mau... JEANTET et par M. Paul ALB... désormais chargé de diriger sur le plan technique l’ensemble de « l’operation Aix » (5). Celui-ci se montra inquiet ... critique devant les méthodes de travail plutôt artisanales de l’inventeur et de son équipe : déréglage des appareils, retards incessants, absence de toute rigueur scientifique dans la conduite et le suivi des travaux.

Les moyens humains

L’équipe technique de Fisalma comprenait, outre le Comte de Villegas lui-même, son fils Tanguy, simple aide opérateur, M. Philippe Halleux, pilote en meme temps qu’homme de confiance de M. de villegas, et M. Aldo Bonassoli de nationalité italienne, qui travaillait depuis plus de quinze ans auprès de M. Villegas. Présenté par celui-ci comme un exécutant, son « mécanicien de génie », il apparut très vite comme le véritable maître d’œuvre des procédés Delta et Oméga : seul capable de monter les appareils, de les régler, de les faire fonctionner, de les réparer et, au laboratoire de Bruxelles, de les améliorer sans cesse. Un peu plus tard, il s’y adjoignit un autre pilote (belge), et un mécanicien, M. M... de nationalité française. Enfin, la fille de M. Villegas était le plus souvent présente lors des campagnes de prospection.

Les conditions dans lesquelles s’était déroulée la campagne de la Mer d’Iroise incitèrent le groupe Elf-Aquitaine à détacher à titre permanent l’un de ses géologues pour préparer, suivre les missions, aider surtout les inventeurs à interpréter les résultats obtenus. M. M... géologue confirmé, qui représentait le Groupe en Suisse (il est lui-meme de nationalité suisse), fut affecté, à cette tâche (6) en octobre 1976. Un deuxième géologue, M. M..., vint le rejoindre en juin 1977, non sans provoquer chez M. de Villegas un vif mécontentement.

A partir de novembre 1976, un dossier technique détaillé put donc être établi à l’issue de chaque campagne, et un rapport de synthèse, régulièrement dressé.

Enfin, le responsable des problèmes de sécurité au sein du groupe, M. ... avait été chargé personnellement, dés les premiers essais de mai 1976, tout à la fois de la préparation logistique des campagnes (réservation d’hôtels, location des véhicules, etc.), de la protection du secret et de la sécurité des personnes. Par la force des choses, et vu le caractère de MM. de Villegas et Bonassoli, son rôle s’élargit souvent sur le plan des rapports humains entre les deux parties intéressées.

Afin de donner une base administrative et financière à l’opération, tout en maintenant le secret nécessaire, le groupe Elf-Aquitaine, eut recours à l’une de ses filiales suisses, la société UNINDUS, qui était tombée en sommeil. A compter du 1er octobre 1976, le Bureau de Paris — bientôt transformé en Etablissement de plein exercice — put fonctionner dans ses propres locaux, avenue Franklin-Roosevelt. Doté d’un directeur en la personne de M. M... et d’une secrétaire à mi-temps, UNINDUS prit en charge, pour le compte d’Elf-Aquitaine, toutes les dépenses qui lui incombaient en vertu de l’accord de mai 1976. Seuls les frais de location de l’avion furent supportés par l’ERAP.

Les moyens matériels et techniques

Pour les missions de l’année 1976, un avion DC-3 — celui-là même qui avait servi aux premiers essais - fut loué au mois par l’ERAP à une Compagnie privée dê Toulouse, UNI-AIR, et aménagé selon les besoins des inventeurs. Les pilotes de la compagnie convoyaient l’appareil entre la France et Bruxelles, mais lors des missions Delta, les pilotes belges de Fisalma étaient seuls aux commandes.

Au début de l’année 1977, fut utilisé exclusivement un Fokker-27, appartenant à la Compagnie Européenne de Recherches (C.E.R.), que M. de Villegas avait fondée à Bruxelles pour l’occasion.

Ainsi l’équipe Fisalma, pilotes et techciens et bientôt les géologues de l’ERAP pouvaient décoller de Bxuxelles pour chaque nouvelle mission, emportant les équipements Delta et Oméga. Le dédouanement se faisait habituellement à l’aéroport de Beauvais.

Les nouveaux procédés et les appareils Delta et Oméga étaient mis en œuvre par les inventeurs « dans des conditions de secret rigoureux », non seulement vis-à-vis de l’extérieur, mais plus encore à l’égard des représentants d’Elf-Aquitaine, ne leur permettant pas de « connaître autre chose que ce qui nous a été dit ou que nous avons pu apercevoir, c’est-à-dire peu de choses jusqu’ici ». (Rapport de synthèse de la « Section Géologie » — Elf-Aquitaine — septembre 1977). Et, plus loin, le même rapport évoque « l’appareillage dont nous ne pouvons voir, et encore depuis peu, que les racks de commande et les écrans... »

En effet, à bord de l’avion, seuls les cadrans et les boutons de commande extérieurs étaient visibles, et les techniciens SNEA n’avaient d’autre rôle et d’autre possibilité que de suivre les images qui apparaissaient sur un écran de visualisation. A terre, le déchargement, la mise en place et le réglage des appareils étaient faits par l’équipe Fisalma : le principal d’entre eux, qui émettait et/ou captait les mystérieux rayonnements, était toujours placé sous une tente, dont il ne fallait s’approcher à aucun prix, car il y avait danger à intercepter le rayon... L’équipement de visualisation, était placé à quelque distance, dans une camionnette de location ; là aussi les géologues n’avaient le droit que de regarder l’écran. De toute façon, les missions étaient généralement brèves, surtout les campagnes de prospection terrestre (mission Oméga). Pour un site donné, on déterminait une, deux, parfois trois « stations de visées » : sur une station, chaque visée ou série de visées ne prenait guère plus d’une heure eu deux.

Résultats obtenus

Au total, sous le régime de l’accord de mai 1976, ont été faites : — 16 missions Delta — 14 missions Oméga (cf. liste jointe en annexe)

Elles se sont toutes déroulées en France, sauf un survol rapide au large de l’Espagne (Côte Cantabrique) voulu par M. de Villegas, et une mission en Suisse (Linden) pour régler un nouvel appareil Oméga à images couleur.

A l’exception des deux premières missions Delta (Lacq, juin 1976 et Mer d’Iroise, août-septembre 1976), un dossier technique fut établi par la « Section Géologie » sur chaque campagne, son déroulement, ses résultats, dossier qui comptent notamment les documents cartographiques et géologiques utilisés pour préparer la mission et ’cs photos Polaroïc. du sous-sol prises au cours de la mission, interprétées et commences.

Un premier rapport de synthèse — « Le procédé VDS. Bilan des premiers résultats, octobre 1976 — septembre 1977 » — fut établi en septembre 1977.

— La première constation de ceux qui ont suivi toutes les campagnes est que les conditions de travail et de collaboration avec les inventeurs sont difficiles et ne permettent pas d’avancer aussi vite qu’il serait souhaitable : inventeurs « très jaloux de leur secret », impossibilité d’obtenir la moindre information ni sur le procédé scientifique, ni sur les appareils, ni sur la chaîne de calcul (« qui permet, sous des conditions qui paraissent très limitatives, d’arriver à l’identification de certains couches du sous-sol — eaux souterraines, hydrocarbures et houille, sel, quelques minerais — en fonction de la profondeur »), « méfiance exacerbée des inventeurs », etc.

— La deuxième est que « technologie des appareils semble fragile ». Les appareils sont des « prototypes qui se dérèglent facilement ; ils sont sensibles à dé nombreuses influences extérieures (conditions atmosphériques, nuages, givre, altitude, présence dé ferrailles, variations de champs magnétiques, lignes électriques, etc.) Les réglages dans la période qui précède une mission semblent très délicats ; chaque fois, les inventeurs ont beaucoup de mal à retrouver une efficacité optimum (...) Enfin les appareils sont sujets à des pannes mineurs fréquentes, ou graves parfois. »

— La troisième porte sur la précision et la reproductivité des résultats obtenus par les procédés VDS. Avec l’appareil Delta, si les images obtenues d’un même site au cours de plusieurs missions distinctes sont très comparables et permettent d’identifier la forme d’un gisement donné avec certitude (la « chauve-souris » de Lacq, la « salamandre » de Montegut, etc...), « la localisation des gîtes à terre est actuellement précise à 8 ou 10 kilomètres près, et en mer, à 14 km, voire un peu plus ».

En ce qui concerne les indications de nature, de profondeur, d’épaisseur et de teneur, leur précision, mesurée par rapport aux gisements connus d’Aquitaine, varie suivant les paramètres : « très convenable » pour la nature des hydrocarbures, « un bon ordre de grandeur » pour la profondeur, à quelques centaines de mètres près, tantôt par, défaut, tantôt par excès, « tout à fait fantaisiste » pour les teneurs. Les épaisseurs, elles, « s’écartent notablement » des épaisseurs réelles.

Avec l’appareillage Oméga, les images en plan conservent une ferme aisément reconnaissable : les variations « restent mineures à l’intérieur d’une même mission » ; d’une mission à l’autre, les contours du gite et la position des satellites varient mais « dans de faibles proportions ». Dans les profils, les images sont de plus en plus détaillées, et le pouvoir séparateur de l’appareil va en s’améliorant, mais « des distorsions importantes subsistent, comme si l’image composée était, par nature, déformable ». Comme en Delta, « les profondeurs donnent un bon ordre de grandeur, tandis que les épaisseurs supportent une erreur importante.

En définitive, « la version Delta, aéroportée, permet la sélection de zones favorables à la prospection, dans l’aménagement du domaine minier, mais elle ne doit pas être utilisée directement pour l’implantation de forages, étant donné l’incertitude de localisation et d’échelle... Sa version Oméga est l’outil approprié pour localiser le gîte au sol et pour avoir une idée raisonnable de la succession des terrains et de leur configuration tectonique. Avec son aide, des implantations de forage peuvent être décidées. Les opérations Oméga étant délicates et de mise en œuvre lente, il y a là une limitation de la méthode qui ne pourra être levée qu’en multipliant appareils et équipes ».

Ceci dit, « la qualité des informations reçues par les appareils est bien évidemment d’un intérêt extraordinaire », et les auteurs du rapport de septembre 1977 s’estiment en droit de conclure que le procédé VDS est « indubitablement adapté à l’exploration des couches du sous-sol », et, plus loin : « l’invention, bien que tout à fait extraordinaire, souffre de défauts de jeunesse importants qui en limitent l’utilisation ».

Le rapporteur de la Cour, qui a consulté les dossiers techniques de 15 missions de cette période, peut attester le caractère spectaculaire des résultats obtenus : les photos Polaroid isolées ou assemblées pour reconstituer l’image d’un site, soit en plan soit en coupe, permettent de voir distinctement non seulement une succession de couches géologiques, mais tel ou tel puits, ancien ou en cours de forage, qui les traverse : le changement de diamètre des tubages, les sabots, les cimentations sont parfaitement reconnaissables même pour le profane. La comparaison avec les données réelles connues des géologues et foreurs d’Elf-Aquitaine (généralement jointes au dossier technique) fait apparaître l’exactitude, la précision de l’image photographiée.

Ainsi, lors d’une séance de démonstration faite en décembre 1976 à l’intention des plus hauts dirigeants d’Elf-Aquitaine, une visée fut faite en Oméga sur le puits


Liste des personnalités rencontrées M. ALBIN CHALANDON. Président de l’Erap (1977-1980) Président de la SNEA M. Pierre GUILLAUMAT, ancien Président de l’ERAP et de la SNEA M. Gilbert RUTMAN, Vice-President de l’ERAP et de la SNEA M. Pierre MICHAUX, Secrétaire Général de la SNEA M. Jacques BONNET DE LA TOUR, Directeur financier M. Paul ALBA, Directeur des Energies Nouvelles (DIENIC) M. Maurice JEANTET, Directeur de la Mission France M. ... Directeur P.S./i. M. ... Ad’oint au Directeur des Energie* Nouvelles M. ... ancien chef du Service de la Comptabilité M. ... gcologue M. ... géologue M, ... physicien — autres personnalités M. Jean-Yves HABERER, Directeur du Trésor M. Jean-Pierre CAPRON, Directeur des Hydrocarbures M. Jules HOROWITZ, Directeur de l’institut de Recherche Fondamentale du Commissariat à l’Energie Atomique M. Bernard PERRIN, Cr.ef de la Mission de Contrôle Me Jean VIOLET

(1) qu’il a abandonné en 1995 pour raison de santé

(2) L’Union de Banques Suisses (UBS) est le deuxième groupe bancaire suisse. Fait exceptionnel, dans les milieux bancaires zurichois, l’homme qui venait d’ac cedet en 1996 à la présidence de l’UBS était un francophone — de surcroit très francophile — et un catholique.

(3) Les dépenses concernant les frais de mission des représentants de l’ERAB furent prises en charge par la SNEA, avant d’être réimputees en fin d’exercice, à une filiale suisse du groupe, la société UNINDUS, qui devait devenir te support de l’opération pour Elf-Aquitaine. la location de l’avion — un DC 3 — et son aménagement furent payés par l’ERAP

(4) La SOCAP-NH, qui a son siège aux Nouvelles Hébrides, centralisait à l’époque toutes les opérations de négoce de pétrole brut pour le compte du groupe Elf-Aquitaine. C’est une filiale a 100% de SOCAP Limited — qui a son siège à Jersey — elle-même filiale à 100% de la SOFAX, filiale à 100% de SNEA. Le rôle de la SOCAP NH est aujourd’hui assumé par une nouvelle filiale de SOCAP LTD, constitués en 1999 aux Bermudes : SOCAP Inter national LTD.

(5) Tout en conservant des fonctions de Directeur de l’informatique au sein du groupe. Il ne pouvait donc se consacrer à plein temps à sa mission secrète, ne serait-ce que pour ne pas donner l’éveil à ses collaborateurs. Celle situation dura jusqu’à juin 1998, où M. Alha devint officiellement Président d’UNINDUS.

(6) Pendant le dernier trimestre de l’année 1976, M. M... ne fit que se joindre aux missions de détection sur le terrain. A partir de 1979, il s’etablit à Bruxelles et permanence, ne rejoignant son domicile près de Bêle que le week-end.