Recueil des lettres missives de Henri IV/1572/3 octobre ― À nostre tressainct pere le pape

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1572. — 3 octobre. – Ire.

Orig. autographe. – Arch. secrètes du Vatican. Copie de M. le comte Marini, archiviste de la Sainte Église Romaine. Envoi de M. l’ambassadeur de France à Rome.

Cop. – B. R. Fonds Béthune, Ms. 8691, fol. 64 recto. – Suppl. Fr. Ms. 1569, fol. 1 recto.

Imprimé. – Mémoires de l’Estat de France sous Charles neufiesme, tom. I, fol. 538 verso , édition de Meidelbourg, 1578, in-8o.


À NOSTRE TRESSAINCT PERE LE PAPE[1].

Tressainct Pere, L’esperance que j’ay de la paternelle affection que porterés tousjours, comme vicaire de Dieu en terre, à ce que ses enfans, desvoyés pour quelque temps de nostre mere saincte Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, et se repentans, y soient benignement recueillis et receus, a tellement vaincu le doubte qu’aultrement je pouvois avoir de la juste severité de Vostre Saincteté, qu’apres avoir esté conforté tant par le Roy trez chrestien, que par la sage et prudente admonition de la Royne, madame ma belle-mere, Messieurs freres du Roy, monsieur le cardinal de Bourbon, mon oncle, et de mon cousin, monsieur le duc de Montpensier, en ceste persuasion, je me suis finalement resolu que, Vostredicte Saincteté me recognoissant pour l’ung des siens par les premieres marques que j’ay receues en ladicte Eglise en la foi de laquelle j’ay esté baptisé[2], et ne m’imputant l’institution qui depuis m’a esté donnée, dont il n’estoit point en moy, veu mon bas aage[3], de faire jugement ou ellection, elle ne desdaignera de m’ouvrir les bras de son indulgence, et, en recevant la confession de ceste mienne penitence, reduction, et obeissance comme je l’ay icy tesmoignée et protestée en la presence du nonce de Vostre Saincteté[4], me recevoir au giron d’icelle Eglise dont je vous recongnois chef, et me tenir et reputer desormais pour trez humble, trez obeissant et trez devot fils, comme j’en supplie trez-humblement Vostredicte Saincteté, à laquelle j’espere rendre bien tost solemnelle soubmission pareille à celle de mes predecesseurs roys[5], sitost qu’il luy plaira l’avoir agreable, ainsy qu’elle l’entendra par le gentilhomme que depesche à present le sieur cardinal de Bourbon, mon oncle, tant pour cest effect qu’aussi pour supplier trez-humblement Vostredicte Saincteté de ma part, qu’en apprenant le mariage dont il a pleu au Roy m’honorer avecques Madame sa sœur, nous en donner et octroyer, pour la consanguinité qui est entre nous, la dispense qui sera necessaire, avecques telle absolution que nous et nostre posterité en demeurions deschargez envers Dieu et Vostre Saincteté[6]. Laquelle, Tressainct Pere, je supplie le Createur vouloir longuement conserver et maintenir au bon regime et gouvernement de sa saincte Eglise.

Escript à Paris, ce iije jour d’octobre 1572[7].

Vostre trez humble, trez obeissant et trez devot fils, le Roy de Navarre,
HENRY.



  1. Grégoire XIII (Hugues Buoncompagno), élu le 13 mai 1572, mort le 10 avril 1585. Il avait fait tirer le canon du château Saint-Ange et allumer des feux de joie à la nouvelle de la Saint-Barthélemy. Le tableau qu’il fit faire à cette occasion portait pour inscription : Pontifex Colignii necem probat. La lettre de tendre et respectueuse soumission qu’adresse à ce pontife le jeune roi de Navarre était la conséquence forcée de l’abjuration qui lui fut imposée, avec menace de mort, par le roi son beau-frère, la nuit du 24 août précédent.
  2. « Ce xiiije de decembre 1553, madicte dame Jehanne, princesse de Navarre, accoucha de son second fils à Pau en Bearn, entre une ou deux heures apres menuict. Lequel fut baptisé le mardi vje jour de mars audict an, audict lieu de Pau ; et furent ses parrains, le Roy de Navarre, son grand-pere, qui le nomma Henry, et monseigneur le cardinal de Vendosme, son oncle paternel ; et fut sa marraine, la sœur du Roy de Navarre, veufve de feu monsr de Rohan. » (B. R. Fonds Du Puy, ms. 88. Journal des naissances et morts des princes de Bearn, par l’evesque d’Oloron. Copie collationnée et signée Loménie.)
  3. Ce prince n’avait, en effet, que neuf ans, lorsqu’à la fin de l’année 1563 sa mère embrassa ouvertement la religion protestante dans laquelle elle le fit instruire.
  4. Antoine-Marie Salviati, fils de Laurent Salviati et de Constance Conti, d’une ancienne et illustre famille de Florence, était petit-neveu du pape Léon X et cousin issu de germain de Catherine de Médicis. Il fut évêque de Saint-Papoul, en succédant à ses deux oncles, les cardinaux Jean et Bernard Salviati ; il assista au concile de Trente, fut deux fois nonce en France, et, le 23 décembre 1583, reçut du pape Grégoire XIII le chapeau, comme cardinal-prêtre du titre de Sainte-Marie in Aquiro. Son mérite le fit surnommer le grand cardinal. Il mourut à Rome le 28 avril 1602. Sa tante Marie Salviati épousa Cosme de Médicis, duc de Florence ; elle a été la grand’mère de Marie de Médicis, femme de Henri IV.
  5. Voy. la lettre du 18 décembre 1573.
  6. Marguerite de France, fille de Henri II et de Catherine de Médicis, née le 14 mai 1552, morte à Paris le 27 mars 1615, était petite-nièce de Marguerite d’Angoulême, mère de Jeanne d’Albret, par conséquent le jeune roi de Navarre et sa femme étaient cousins issus de germains. Charles IX et Catherine de Médicis, pour satisfaire l’impatience de l’amiral de Coligny, au sujet de ce mariage, feignirent d’avoir reçu des lettres du cardinal de Lorraine, ambassadeur de France à Rome, anonçant que les dispenses venaient d’être accordées et qu’on les recevrait par le premier courrier. D’après cela, le cardinal de Bourbon passa outre, et maria son neveu avec Marguerite, le 18 août 1572. (Voir les Mémoires de l’Estat de France, t. I, f. 248 recto et 262 verso.) Dans l’acte de ce mariage, le roi de Navarre prit les titres de très-haut et très-puissant Henry de Bourbon, premier prince du sang royal et maison de France, roy de Navarre, empereur des Espagnes, duc de Vendosme, de Beaumont et d’Albret, etc. prince de Bearn, comte de Foix, d’Armignac, de Bigorre, etc. (Voir Legrain, Décade du roy Henry le Grand, l. II.)
  7. Le pape répondit de Rome au roi de Navarre le 1er novembre 1572. Dans cette lettre, assez longue et d’un ton très-paternel, il dit au jeune roi : « Tout ce que vous avez de richesses, de dons d’esprit, de grandeur et de puissance (dont vous estes… heureusement accomply), vous le refererez et en userez à la plus grande louange de Dieu. »